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Le baume du Pérou, c’est vraiment pas le Pérou !

> 09 janvier 2018

Le baume du Pérou, c’est vraiment pas le Pérou !

Le baume du Pérou se présente sous la forme d’un liquide noir, de consistance sirupeuse, à odeur de vanille et de cannelle. Ce baume « découle spontanément ou à l’aide d’incisions » pratiquées dans l’écorce de Myroxylon balsanum pereirae, un arbre qui peut mesurer de 25 à 30 mètres de haut (Dorvault F., 23e édition, Vigot, Paris, 2089 pages).

Bien avant la conquête du Nouveau Monde par les Conquistadors, le baume du Pérou constituait un trait d’union entre les pays du nord et ceux du sud de l’Amérique (Bjoern M. Hausen, Tua Simatupang, Gabriele Bruhn, Petra Evers, Wilfried A. Koenig, Identification of new allergenic constituents and proof of evidence for coniferyl benzoate in Balsam of Peru, American Journal of Contact Dermatitis, 6, 4, 1995, Pages 199-208). « On sait, par une bulle papale conservée dans les archives de Tzalco, que le baume noir (balzamo negro) était si fort estimé qu’en 1562, Pie IV et Pie V, en 1571, autorisèrent le clergé à se servir de ce baume précieux dans la consécration du saint chrême (sagrada chrisma), et déclarèrent que c’était un sacrilège de blesser ou de détruire les arbres qui le produisaient. » (S. Piesse, Histoire des parfums, Baillière, 1890, 371 pages).

Produit principalement dans la République du Salvador, le baume n’a de péruvien que son nom. Expédié en Europe à partir du port péruvien de Callao, durant l’époque de l’occupation espagnole, le baume a gardé définitivement cette estampille.

Au début du XXe siècle, le baume du Pérou est présenté comme une véritable panacée. Expectorant, vulnéraire, cicatrisant, antiseptique, il est recommandé en cas de tuberculoses osseuse et cutanée, en cas d’eczéma, de gale, d’engelures, d’escarres, de bronchites, de laryngites… Administré par voie orale ou par voie topique, rien ne semble lui résister. Quelques formules sont tout particulièrement mises en avant dans le Lancet. Ces formules sont très simples. Pour une pommade, prévoir du baume du Pérou et 10 fois son volume en huile de ricin ou bien mélanger une partie de baume du Pérou et 2 parties de lanoline et de vaseline. Pour réaliser ce que l’auteur de l’article baptise du nom d’émulsion, il faut incorporer 10 grammes de baume de Pérou, 250 mL d’huile d’olive, 15 grammes de solution de saccharine, 350 mL de glycérine, 150 grammes de gomme d’acacia et de l’eau (qsp 1 L). Le baume du Pérou se déguste, enfin, en sirop ; celui-ci est composé de 100 grammes de baume du Pérou, de 100 mL d’alcool, de 150 mL de glycérine, de 10 grammes de carbonate de magnésium, de 700 grammes de sucre et d’eau (qsp 1L) (Anonyme, The therapeutic value of balsam of Peru, The Lancet, 181, 4666, 1913, Pages 335-336).

Le baume du Pérou ne se cantonne pas au domaine médical, il est également fort apprécié dans le domaine de l’esthétique.

Ernest Monin met ainsi le baume du Pérou à toutes les sauces. A la sauce cosmétique, ce baume permet de confectionner un masque « que l’on applique le soir sur la région à dérider », à base de glycérine, de lanoline, d’ichthyocolle, d’extrait de ratanhia, de baume du Pérou et d’amidon de riz. A la sauce pharmaceutique, le baume du Pérou permet aussi bien de traiter les « gerçures par le froid », que la couperose, le psoriasis lingual, « la mollesse, la blancheur ou l’atonie des gencives » ou encore de réaliser « une formule pour enduire les dentiers. » (L’Hygiène de la beauté Paris, Doin, 366 pages)

Le dictionnaire médical et pratique des soins de beauté publié par la marque Tho-Radia (1935) emmène son lecteur faire une promenade de santé de la lettre A comme Ablutions (« Matin et soir, on doit laver son visage, ses mains et ses pieds, sans oublier les autres parties du corps, dont la propreté est indispensable. [...] ») à la lettre Z comme Zona (« Eruption unilatérale et fébrile de vésicules d’herpès suivant le trajet d’un nerf. [...] »). La méthode Tho -Radia est, selon les publicités, « embellissante parce que curative ». La frontière entre cosmétique et médicament n’est pas très bien définie, d’où le joyeux mélange entre termes médicaux et soucis d’ordre esthétique. Le baume du Pérou, élément-clé du savon Tho-Radia, est « un liquide sirupeux provenant d’un arbre de l’Amérique centrale et renfermant 70 p. 100 de cinnaméine. Employé dans le traitement des dermatoses, engelures et plaies atones comme cicatrisant, il possède, en outre, de remarquables propriétés antiprurigineuses et antiparasitaires. Le savon Tho-Radia contient une dose appropriée de ce précieux antiseptique. »

« Fer de lance du Laboratoire Dermophil Indien », le baume du Pérou est présenté comme « une substance regorgeant de propriétés. » (http://www.dermophil.fr/les-formidables-bienfaits-du-baime-du-perou/). Rappelons que le laboratoire Dermophil indien commercialise des médicaments renfermant du baume du Pérou (stick lèvres et stick main - traitement d’appoint des lésions d’irritation des lèvres ou des mains) et des cosmétiques (sticks lèvres et crèmes pour les mains) qui n’en contiennent pas.

Seul bémol dans ce concert de louanges, le caractère allergisant de cet ingrédient…

Le premier cas d’allergie cutanée répertorié remonte à 1880 ; il s’agit d’un cas d’urticaire survenu après application d’une pommade renfermant du baume du Pérou. Depuis, le nombre de cas déclarés n’a cessé d’augmenter. Il occupe, en effet, une place de choix (la 3e, selon certains auteurs) sur le podium des ingrédients allergisants au niveau mondial.

Le baume du Pérou est composé d’un grand nombre de molécules qui sont présentes en plus ou moins grande quantité. En 2001, une étude allemande, réalisée sur 2273 patients souffrant de dermatite allergique, a permis de classer ces molécules en fonction de leur caractère plus ou moins allergisant. Vingt pourcents des sujets sont allergiques au baume du Pérou. Parmi ces 20 %, une centaine a accepté de réaliser des tests avec les molécules entrant dans la composition du baume. L’alcool cinnamique et l’acide cinnamique sont les deux substances engendrant le plus de réactions positives (respectivement 37 et 32 % des sujets composant l’échantillon), viennent ensuite le benzoate de coniferyle (28 %), l’isoeugénol (27,5 %), l’acide benzoïque (19,5 %), le cinnamate de cinnamyle (19,5 %), l’eugénol (18,5 %), l’alcool coniferylique (13 %), l’alcool benzylique (8 %), le benzoate de benzyle (4 %), le farnésol (4%), le cinnamate de benzyle (3%), le salicylate de benzyle (3 %), le cinnamate de méthyle (3 %), le nerolidol (3 %) et l’isoferulate de benzyle (1 %). Acide ferulique et vanilline n’ont engendré aucune réaction positive chez les sujets qui ont participé aux tests (Bj[ouml]rn M. Hausen, Contact allergy to balsam of Peru. II. Patch test results in 102 patients with selected balsam of Peru constituents, American Journal of Contact Dermatitis, 12, 2, 2001, Pages 93-102).

Baume du Pérou et cinnamate de benzyle sont présentés aux lymphocytes T par le biais des cellules de Langerhans CD1a (Sarah Nicolai, Tan-Yun Cheng, Elvire A. Bourgeois, Annemieke de Jong, D. Branch Moody, Balsam Of Peru, a Common Contact Dermatitis Allergen, Is a CD1a Antigen, Journal of Allergy and Clinical Immunology, 133, 2, Supplement, 2014, ab226).

Une publication toute récente permet de classer le baume du Pérou parmi les ingrédients les plus allergisants. Cette étude européenne réalisée en 2013/2014 sur 31 689 patients de 12 pays européens différents, souffrant de dermatite de contact, place en tête de liste la méthylisothiazolinone (prévalence de 20 %) suivie du nickel (18,1 %), du Fragrance mix I (7,3 %), du cobalt (5,9 %), du baume du Pérou (5,3 %), du Fragrance mix II (3,8%) et du chrome (3,2%) (Uter W, Amario-Hita JC, Balato A, Ballmer-Weber B, Bauer A, Belloni Fortina A, Bircher A, Chowdhury MMU, Cooper SM, Czarnecka-Operacz M, Dugonik A, Gallo R, Giménez-Arnau A, Johansen JD, John SM, Kieć-Świerczyńska M, Kmecl T, Kręcisz B, Larese Filon F, Mahler V, Pesonen M, Rustemeyer T, Sadowska-Przytocka A, Sánchez-Pérez J, Schliemann S, Schuttelaar ML, Simon D, Spiewak R, Valiukevičienė S, Weisshaar E, White IR, Wilkinson SM. J Eur Acad Dermatol Venereol, 2017, 31 (9) 1516-1525).

Le baume du Pérou est également incriminé dans un certain nombre de dermatites allergiques du cuir chevelu. Si le nickel et le cobalt arrivent en tête des allergènes incriminés, avec des prévalences de 23,8 % et 21 % respectivement, du fait de tous les accessoires, barrettes, serre-têtes, brosses et autres ciseaux pouvant entrer en contact avec le cuir chevelu, le baume du Pérou n’est pas à négliger (avec une prévalence de 18,2%). Celui-ci est apporté par divers cosmétiques, tels que shampooings, gels coiffants… (Aleid NM, Fertig R, Maddy A, Tosti A., Common Allergens Identified Based on Patch Test Results in Patients with Suspected Contact Dermatitis of the Scalp., Skin Appendage Disord, 2017, 3, 1, 7-14).

Notons que le baume du Pérou est associé à ce que l’on nomme la dermatite de contact allergique systémique. Cette pathologie fait suite à une sensibilisation initiale par voie topique. Elle se manifeste lors de la consommation d’aliments riches en molécules entrant dans la composition du baume du Pérou (Donald V. Belsito, Surviving on a balsam-restricted diet: Cruel and unusual punishment or medically necessary therapy ?, J Am Acad Dermatol, 45, 3, 2001, 470-472).

Concrètement, en 2018, on constate une raréfaction des produits renfermant cet ingrédient. Dans le domaine pharmaceutique, il n’entre plus dans la composition que d’un petit nombre de préparations topiques (pommades Brulex et Lelong, Baume Agathol). Il est également fait mention d’applications alimentaires (bonbons, chocolats, boissons) et d’utilisation dans l’industrie du tabac (aromatisant pour cigarettes) (Bjoern M. Hausen, Tua Simatupang, Gabriele Bruhn, Petra Evers, Wilfried A. Koenig, Identification of new allergenic constituents and proof of evidence for coniferyl benzoate in Balsam of Peru, American Journal of Contact Dermatitis, 6, 4, 1995, Pages 199-208).

Dans le domaine cosmétique, le baume du Pérou est regardé avec une certaine crainte, et ce d’autant plus que sa réglementation peut laisser perplexe. Rappelons, en effet, que cet ingrédient est retrouvé dans deux Annexes du Règlement (CE) N° 1223/2009 (http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.results). En Annexe III (n° d’ordre 154), le baume du Pérou (Myroxylon balsanum var. pereirae ; extraits et produits de distillation ; baume du Pérou ; absolue et anhydrol (baume du Pérou)) est limité à 0,4% (sans mention de restriction particulière). En annexe II (n° d’ordre 1136), le baume du Pérou (Exsudation de Myroxylon pereirae) est interdit, en cas d’utilisation comme ingrédient de parfum.

En conclusion, il est prudent de laisser cet ingrédient dans les tiroirs des conservatoires cosmétiques. On se plaira à évoquer son histoire, mais on évitera soigneusement de l’incorporer dans les cosmétiques. Ceci, l’industrie des produits finis l’a bien compris.

Il ne reste plus que certaines sociétés de matières premières destinées aux adeptes du fait-maison et qui ne répugnent pas à jouer avec le feu… Aromazone propose, par exemple, une composition parfumante pour cosmétique renfermant 1,05 % « d’Absolue Baume du Pérou » (https://www.aroma-zone.com/info/recette-cosmetique/composition-parfumante-pour-cosmetique-note-aquatique). Ce mépris de la réglementation a de quoi surprendre et montre, une fois de plus, le manque de sérieux de telles sociétés !

Stick lèvres (statut cosmétique) - Dermophil expert bio anti-dessèchement : helianthus annuus seed oil, cera alba, sesamum indicum seed oil, glyceryl/polyglyceryl-6 isostearate/behenates esters, papaver somniferum seed oil, simmondsia chinensis seed oil, theobroma cacao seed butter, copernicia cerifera cera, aroma, limonene, tocopherol, rosmarinus officinalis extract, linalool.

Stick lèvres (statut de médicament - N° AMM : 332 424-6) : Salol 1g – Baume du Pérou 0,5g. Alpha Bisabolol naturel 0,2g. Excipients : vaseline, paraffine solide, alcool, huile essentielle de géranium.

Dermophil crème douceur mains 24h à l’aquaphyline (statut cosmétique) : Aqua, butylene glycol, steareth-2, isostearyl isostearate, glycerin, paraffinum liquidum, prunus amygdalus kernel oil, steareth-21, cetyl alcohol, stearyl alcohol, cera alba, dimethicone, PG-amodimethicone, phenoxyethanol, cyclopentasiloxane, xanthan gum, synthetic wax, tocopheryl acetate, hydrogenated microcrystalline wax, panthenol, cyclohexasiloxane, parfum, trideceth-12, hydrolyzed viola tricolor extract, allantoin, tetrasodium EDTA, arachis hypogea oil, ethylhexyl glycerin, pantolactone, alpha-isomethyl ionone, BHA, BHT.

Stick mains (statut de médicament - N° AMM : 336 020 – 7) : Salol 1 g. Baume du Pérou 0,5 g. Alpha Bisabolol naturel 0,2 g. Vaseline, paraffine solide, alcool, huile essentielle de géranium qsp 100 g.



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