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Le bain de Soleil, autant se mettre dans le bain quant à ses méfaits !

> 27 mai 2024

Le bain de Soleil, autant se mettre dans le bain quant à ses méfaits !

Le bain de soleil a été, pendant un certain temps, associé à un bénéfice thérapeutique. Le Soleil est alors considéré comme un élément permettant de conserver ou de recouvrer une bonne santé. Le bain de soleil a également été considéré (et il l’est encore par certaines personnes) comme un moyen de brunir vite et de pouvoir revenir de vacances avec le hâle qui va bien. Voilà pour le côté positif. Pour le côté négatif, il convient de faire attention où l’on s’étend pour prendre son bain de soleil. Dans l’herbe, il y a risque de développer une réaction particulière, la dermite des prés. Sur le sable, en Grèce, il est possible d’attraper le typhus, par le biais des puces du rat, ce dernier raffolant des déchets laissés par les touristes.1 Par ailleurs, on sait que les radiations UV émises par le soleil sont cancérigènes…De quoi réfléchir à deux fois avant d’aller étaler sa serviette sur une plage en plein midi !

Une petite histoire du bain de soleil s’impose, histoire de ne pas bronzer idiot… heu, non. Histoire de ne pas s’ennuyer à l’ombre !

Vive le nudisme !

En 1932, William Hope-Jones publie, dans la revue The Eugenics Review, un plaidoyer en faveur du naturisme. Bain d’air et bain de soleil sont présentés comme des moyens de naitre et de vivre en bonne santé. L’auteur est écœuré de voir ces femmes peintes et poudrées, qui tentent d’attirer l’attention des hommes à l’aide de vêtements et de cosmétiques coûteux. La solution la plus saine est la plus simple ! Une vie authentique…

En 1932, William Hope-Jones rêve d’un futur meilleur que le présent, d’un monde plus libre et plus sain, où tout un chacun pourrait séduire son prochain en tenue d’Adam et non avec l’aide d’un tailleur plus ou moins habile. Un monde où la séduction se fera de manière « plus pure, plus vraie, plus sainte » nous dit-on !2

Si Hope voit dans la pratique du nudisme un moyen de vivre en paix avec son image et celle des autres, des médecins y voient un moyen de lutter contre certaines maladies.

Vive l’héliothérapie !

Ils sont nombreux les médecins qui publient, dans la presse du début du XXe siècle, les résultats de travaux menés sur des patients atteints de différentes pathologies comme la tuberculose par exemple. Le bain de soleil y est présenté comme un moyen curatif intéressant !3

Niels Finsen et Auguste Rollier vont ainsi promouvoir l’héliothérapie (étymologiquement le traitement par l’exposition au soleil) et l’actinothérapie (exposition à des lampes UV) afin de traiter les patients qui se confient à leurs soins.4

L’idée de prendre des « bains de soleil thérapeutiques » va alors faire son chemin dans l’esprit de la population ; les mères vont, donc, en toute confiance, exposer leurs enfants aux rayons du soleil pour leur bien.5

Attention au bain de soleil sur prairie !

C’est Oppenheim le premier qui, en 1926, met en garde contre la réalisation de bains de soleil dans l’herbe des prairies, du fait d’un risque d’apparition d’une dermatose cutanée. Ce médecin constate, en effet, que les personnes qui ont été se baigner dans une rivière et s’allongent ensuite dans l’herbe au soleil développent au niveau de la peau « une affection cutanée nouvelle », pour le moins intrigante.6 Une quarantaine de cas sont ainsi répertoriés en Allemagne, où la mode du bain de soleil a l’air de bien prendre. Pourtant, Oppenheim ne sait pas trop quelle est la cause précise de cette dermatose ; il incriminerait bien un sarcopte !

En 1931, Philadelphy avance dans la compréhension de cette curieuse dermatose, en publiant la photographie de la « partie latérale du thorax d’un de ses malades », sur laquelle s’est imprimée une véritable planche botanique représentant l’achillée millefeuille.7

En 1932, le Dr Alice Ullmo, de la Faculté de Médecine de Strasbourg, s’intéresse également à la « dermatose bulleuse des bains de soleil dans les prés ». Il s’agit de la première Française à publier sur le sujet. Elle expose le cas d’une jeune étudiante en lettres, âgée de 22 ans, habituée à pratiquer la nage et le bain de soleil. La jeune fille, une jolie rousse, à la peau blanche et laiteuse, a été se baigner le 26 mai 1931, puis, sans se sécher, s’est allongée dans l’herbe, afin de profiter au maximum des rayons du soleil. Cherchant à bronzer, la jeune fille a retroussé son maillot de bain, afin de laisser le maximum de peau à l’air libre. Le soir même, elle observe que sa cuisse est toute rouge. Le lendemain, des bulles sont apparues. La jeune fille applique dessus une crème de la marque allemande Bibiana, sans observer d’amélioration. Alice Ullmo, consultée, recommande alors l’emploi d’un glycérolé d’amidon et un poudrage au talc. La dermatologue note alors, avec précision, tous les éléments relatifs à cette dermatose, remarquant que celle-ci est apparue en 24 heures avec un maximum d’intensité au bout de 36 heures. Elle observe également la présence sur la peau des sortes de « négatifs », représentant des « bouquets de plantes froissées ». Une pigmentation persistante est à craindre, comme cela est survenue chez d’autres patients.8

Une dermatose due au contact de la peau mouillée avec une plante renfermant un psoralène et une exposition concomitante au rayonnement UV, voilà ce qui est admis en la matière, concernant cette phytophotodermatose désormais bien connue.9

Attention aux psoralènes !

Dans l’Egypte ancienne mais aussi en médecine ayurvédique, certaines plantes à psoralènes sont déjà utilisées afin de traiter des leucodermies. En 1938, Kuske ouvre la voie à la photothérapie moderne, en étudiant les phytophotodermatoses et en extrayant des psoralènes de plantes, comme la bergamote, l’armoise ou le figuier.10

Des psoralènes, au comportement étrange qui, une fois appliqués sur la peau, provoquent, après exposition solaire, un érythème et une hyperpigmentation résiduelle, appelée dermatite en breloque.

Par voie orale, il en est autrement si l’on en croit Aaron Lerner, qui présente l’utilisation de psoralène per os suivie d’une irradiation, comme un bon moyen de traiter albinisme et vitiligo. Tout comme Fitzpatrick, Lerner observe, chez certains patients, le développement d’un hâle intense.11

Un bronzage sûr (!) aux dires de Pathak et de Fitzpatrick, qui confirment leur théorie sur volontaires sains,12 mais infirment, pourtant, l’idée que les psoralènes puissent être des agents protecteurs vis-à-vis de la carcinogenèse (hypothèse avancée par O’Neal et Griffin).13

De ces observations, naitront les pilules bronzantes « Sun tan pill Era » (!), à base de psoralènes.14,15

On sait, depuis lors, que les psoralènes, associés aux UV, constituent des promoteurs en matière de carcinogenèse ;16-18 on aurait donc plus du tout l’idée d’utiliser ces molécules par voie orale ou topique à des fins esthétiques.

Attention au risque de cancers

L’addiction au bain de Soleil existe bien.19 Les personnes qui s’y adonnent oublient en général le caractère dangereux de cette pratique. Des enquêtes démontrent ainsi que les membres de familles de personnes atteintes de mélanome changent peu leurs habitudes en matière d’exposition solaire (trop intensive) et d’usage de crèmes solaires (trop faible).20

Le bain de soleil, en bref

Autant se mettre dans le bain tout de suite. Ce bain de Soleil est dangereux. Il convient de remettre le Soleil à la bonne place de nos valeurs thérapeutiques. Cet astre, qui semble ne nous vouloir que du bien, est un gros pourvoyeur de cancers cutanés. Il s’agit d’en prendre conscience, de connaitre l’histoire de l’héliothérapie et de la confronter aux connaissances actuelles. Il est bon de réviser ses classiques. Le bain de Soleil est dangereux. Profitons-donc de nos vacances ensoleillées le plus prudemment possible, en évitant de jouer les grillades de barbecue sur la plage !

Bibliographie

1 Labropoulou S, Charvalos E, Chatzipanagiotou S, Ioannidis A, Sylignakis P, Τaka S, Karageorgou I, Linou M, Mpizta G, Mentis A, Edouard S, Raoult D, Angelakis E. Sunbathing, a possible risk factor of murine typhus infection in Greece. PLoS Negl Trop Dis. 2021 Mar 12;15(3):e0009186

2 Hope-Jones W. Sun bathing and amentia. Eugen Rev. 1932 Oct;24(3):260

3 THE HASTINGS LECTURE: SIR HENRY GAUVAIN ON SUN, AIR, AND SEA BATHING. Br Med J. 1933 Feb 25;1(3764):332

4 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/sous-le-soleil-exactement-l-heliotherapie-209/

5 Bax CE, James WD. Children of the Sun: a historical look at how pediatric light therapy shaped attitudes and behaviors toward sunbathing. Int J Dermatol. 2020 Nov;59(11):1401-1408

6 https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?do=page&cote=90153x1932&p=5

7 Bullous Dermatosis Due to Sun-Bathing in Meadows. Edinb Med J. 1933 Apr;40(4):243

8 https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?do=page&cote=90153x1932&p=41

9 https://www.academie-medecine.fr/le-dictionnaire/index.php?q=psoral%C3%A8nes

10 Fitzpatrick TB, Pathak MA. Historical aspects of methoxsalen and other furocoumarins. J Invest Dermatol. 1959 Feb;32(2, Part 2):229-31

11 Lerner AB. Potentiation of suntanning through ingestion of 8-methoxypsoralen. J Invest Dermatol. 1955 Jul;25(1):1

12 Imbrie JD, Daniels F Jr, Bergeron L, Hopkins CE, Fitzpatrick TB. Increased erythema threshold six weeks after a single exposure to sunlight plus oral methoxsalen. J Invest Dermatol. 1959 Feb;32(2, Part 2):331-7

13 Patack MA, Daniels F, Hopkins CE, Fitzpatrick TB. Ultra-violet carcinogenesis in albino and pigmented mice receiving furocoumarins: psoralen and 8-methoxypsoralen. Nature. 1959 Mar 14;183(4663):728-30

14 Stegmaier OC. The use of methoxsalen in sun tanning. J Invest Dermatol. 1959 Feb;32(2, Part 2):345-9

15 Elliott JA Jr. Clinical experiences with methoxsalen in suntanning. J Invest Dermatol. 1959 Feb;32(2, Part 2):339-40

16 Ortiz Salvador JM, Pérez-Ferriols A, Alegre de Miquel V, Saneleuterio Temporal M, Vilata Corell JJ. Incidence of non-melanoma skin cancer in patients treated with psoralen and ultraviolet A therapy. Med Clin (Barc). 2019 Jun 21;152(12):488-492

17 Melough MM, Chun OK. Dietary furocoumarins and skin cancer: A review of current biological evidence. Food Chem Toxicol. 2018 Dec;122:163-171

18 Sun W, Rice MS, Park MK, Chun OK, Melough MM, Nan H, Willett WC, Li WQ, Qureshi AA, Cho E. Intake of Furocoumarins and Risk of Skin Cancer in 2 Prospective US Cohort Studies. J Nutr. 2020 Jun 1;150(6):1535-1544

19 La tanorexie, une sorte de TOC solaire ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

20 Manne SL, Coups EJ, Jacobsen PB, Ming M, Heckman CJ, Lessin S. Sun protection and sunbathing practices among at-risk family members of patients with melanoma. BMC Public Health. 2011 Feb 21;11:122

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