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La vie éternelle pour Amélie Nothomb, comme une couette en hiver !

> 17 avril 2022

La vie éternelle pour Amélie Nothomb, comme une couette en hiver !

Paru le 21 août 2019, le roman d’Amélie Nothomb intitulé Soif1 constitue, aux dires mêmes de l’auteur, le sommet de sa carrière d’écrivain.2 En se plaçant dans la peau-même de celui qui va subir le supplice par amour, Amélie fait très fort. Soyons claires, cette œuvre n’est pas parole d’Evangile (Amélie, en se glissant dans la peau du Fils de Dieu, prend des libertés avec les textes du Nouveau Testament) ; soyons claires, cet ouvrage n’a pas obtenu l’imprimatur de l’évêque de Paris, ni même celui de Bruxelles... 100 % humaine, Amélie livre une version 100 % humaine d’un Jésus comme on ne l’avait encore jamais vu. « J’ai la conviction infalsifiable d’être le plus incarné des humains » !

Des odeurs humaines mêlées, rancœur, trahison

Au procès de Jésus, toute une pauvre humanité se presse là, qui vient se plaindre de celui qui leur a sauvé la vie, rendu la vie. L’ami Lazare, comme les autres, tant il lui est « odieux de vivre avec une odeur de cadavre qui » colle « à la peau ».

Il y a aussi Judas, un « garçon maigre et sombre qui suintait le malaise par tous les pores ». Un apôtre pour lequel Amélie dirait bien « qu’on ne peut pas le sentir ». « Cette impression olfactive empêche de respirer en présence de l’importun. »

La peau, l’écorce, l’enveloppe superficielle qui ne manque pas de profondeur

Incarné, revêtu d’une peau, Jésus abonde aux propos de Paul Valéry : « Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau ». Une peau, qui délimite des contours, qui met en relation, qui souffre (et Dieu sait si Jésus va souffrir !), qui fait des miracles.

L’amour, une sorte de faisceau de Lumière

A Judas qui demande ce qu’est l’amour, la réponse fuse : un « faisceau de lumière », comme des « rayons qui entrent dans la peau ». Une « onde » de « lumière bleue » qui relie les êtres.

Le pétrichor, le parfum de la Passion

Alors que Jésus s’apprête à rendre l’âme, un orage éclate, libérant du sol « le meilleur parfum du monde », celui du pétrichor, ce parfum de terre mouillé, si caractéristique.

Une mère qui rajeunit

Lors de la descente de croix, Jésus repose, une dernière fois, entre les bras de sa mère, comme lorsqu’il n’était encore qu’un tout petit bébé. La femme d’âge mûre redevient une « adolescente » (« La mater dolorosa a d’autres chats à fouetter que ses rides, d’accord ».). « D’habitude, c’est le défunt qui semble rajeuni sur son lit de mort. » Ici, « Tout se passe comme si c’était ma mère qui bénéficiait de la fameuse bouffée de jeunesse post mortem. » « Maman, quel privilège d’être ton fils. »

Soif, en bref

Pierre, un « colosse » « grand et bien bâti », qui ne connaît pas sa force, candide comme un enfant, Lazare l’ami qui trahit, Simon de Cyrène, le gars tellement costaud que la croix est légère à son épaule… Amélie réécrit l’histoire à sa façon, donnant à Jésus une part de sa personnalité (« J’ai toujours aimé être à l’abri tandis que la pluie redouble. ». « Le bruit de la pluie exige un toit comme caisse de résonance : être sous ce toit, c’est la meilleure place pour apprécier le concert. ») En écrivant le récit de la Passion à la première personne du singulier, Amélie rend celle-ci terriblement humaine, insistant sur les douleurs occasionnées par la morsure des clous. Elle nous parle d’une soif d’amour inextinguible et d’un paradis où il fait bon vivre. « Il est doux d’être mort. » « Imaginez : l’hiver, vous êtes couché sous la couette, dans le délice du repos et de la chaleur. »

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette vision d'Amélie Nothomb en Sainte Femme !

Bibliographie

1 Nothomb A., Soif, Le livre de Poche, Albin Michel, 2021, 124 pages

2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Soif_(roman)

 

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