> 16 avril 2022
Le chemin de la Croix est une nouvelle de Daphné du Maurier ;1 elle y réunit un groupe d’étranges pèlerins, qui participent à un voyage en Terre sainte. Le pasteur Edward Babcock doit remplacer, au pied levé, un collègue grippé, beaucoup plus compétent que lui en matière d’érudition biblique. Un peu angoissé par la responsabilité qui lui incombe soudainement, Edward va devoir jouer les bons pasteurs, auprès d’un troupeau de brebis bien turbulentes. On est le « 14e jour de Nisan », « le jour de la Cène ». Les esprits sont échauffés tant le pauvre Edward a du mal à mener son groupe...
Le colonel Mason, un ancien officier, a gardé de sa carrière dans l’armée une rigueur militaire. A Jérusalem, Althea, son épouse, représente le bon goût britannique incarné. Une « écharpe d’organza bleue », assortie à ses yeux, juste ce qu’il faut de bijoux authentiques... la juste mesure pour cette belle femme qui ne porte absolument pas ses 60 ans. Pendant que Madame s’observe dans la glace, Monsieur se lime les ongles dans la salle de bains. Traquant le moindre « point noir », logé sous les ongles, le colonel se doit d’être impeccable. « Un col de veston ayant besoin d’un coup de brosse ou un ongle douteux étaient, autant de choses qu’on ne pouvait absolument pas se permettre. » Le petit-fils du couple, Robin, un garçon de 9 ans est de la partie. D’une rare intelligence, le gamin est le seul à profiter pleinement de cette escale en Terre sainte.
M. Foster est un roi de la matière plastique, doublé d’un coureur invétéré qui, en plein pèlerinage, n’hésite pas à faire du pied à une jeune mariée. Sa femme possède un goût détestable en matière d’habillement et de cosmétiques. « Et si elle avait pu se rendre compte combien le rinçage bleu de ses cheveux la vieillissait ! » se dit Althea, en observant l’effet désastreux de la chevelure étonnement artificielle qui s’expose sous ses yeux. Un « manque d’éducation », tout simplement ! Mme Foster est, par ailleurs, l’empêcheuse de tourner en rond, de boire à volonté, de manger n’importe quoi. Cette végétalienne ne jure que par les jus de fruits. « [...] en buvant uniquement de purs jus de fruits, l’être humain résiste dix fois mieux aux fatigues et à la tension continuelle de la vie moderne. » Ménopausée, elle a recours, toutefois, à des pilules « d’hormones », pour contrer ses bouffées de chaleur.
A la piscine de Bethesda, Miss Dean manque de passer de vie à trépas. Décidée à ramener de l’eau de la piscine miraculeuse au pasteur de son village, Miss Dean vide son petit flacon d’eau « de Cologne, ce qui était dommage dans un sens, mais pouvait être aussi considéré comme une sorte d’offrande » dans le bassin en question. En se penchant pour remplir « le flacon d’eau », Miss Dean glisse et manque se noyer.
Quel groupe hétéroclite nous est présenté là ! Quel concert de gémissements, de récriminations ! Des tromperies, des critiques, et puis, tout de même, des moments de grâce, lorsqu’il faut réconforter Althea, qui a perdu ses dents de devant, en mordant dans un pain un peu trop dur ou Miss Dean repêchée in extremis dans la piscine. De l’humilité, de l’amour, du partage, le Lieu a fait son effet !
Un grans merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration à l'occasion de ce Samedi Saint !
1 du Maurier D., Le chemin de la Croix in Pas après minuit, Albin Michel, Paris, 372 pages, 2015
Retour aux regards