> 09 avril 2022
« Madame » est la tenancière de la maison close de Fécamp.1 Cette maison comporte un café à matelots tenu par deux filles, Louise alias Cocote et Flora la Balançoire (une boiteuse) et un salon « chic », qui met en scène trois filles (Fernande, Raphaële et Rosa) pour le plus grand bonheur des bourgeois de la ville. Tout va pour le mieux pour ces messieurs, jusqu’à ce qu’un écriteau « fermé pour cause de communion » ne vienne jeter le trouble parmi les habitués de l’établissement. Consternation pour les notables, qui, tous les soirs se retrouvent dans l’atmosphère chaleureuse créée avec professionnalisme par Madame. Bonheur pour les pensionnaires de Madame qui s’échappent le temps d’une communion et retrouvent leur âme d’enfant durant une cérémonie de première communion.
Madame est « grande, charnue, avenante ». En héritage d’un vieil oncle, elle a reçu une maison close, qui occupe toutes ses journées et une grande partie de ses nuits. Le teint pâle, du fait d’une claustration volontaire (« Son teint pâli dans l’obscurité de ce logis toujours clos, luisait comme sous un vernis gras »), Madame s’enduit visiblement l’épiderme de cold crème bien gras, afin de conserver encore quelques bribes de jeunesse.
Parmi les filles destinées à la clientèle de choix se trouvent Fernande, une « belle blonde », très charnue, au visage constellé de taches de son et aux cheveux de « chanvre peigné », « Rosa la Rosse », « une petite boule de chair toute en ventre », d’une gaieté à toute épreuve et Raphaële, une « belle Juive », « les pommettes saillantes plâtrées de rouge », et les « cheveux noirs, lustrés à la moelle de bœuf », travaillés en accroche-cœurs, au-dessus des oreilles.
La petite communiante, Constance Rivet, n’est autre que la nièce et filleule de Madame. Jouet entre les mains de ces dames, Constance est débarbouillée, peignée, coiffée, habillée, en un rien de temps. Que de blancheur !
Il y a la maison Tellier, vieille bâtisse qui sent le moisi, mâtiné de souffles d’eau de Cologne, il y a la campagne qui entoure Yvetot de champs de colzas en fleur (« une saine et puissante odeur » ; une « odeur pénétrante et douce »), il y a la maison des Rivet, toute odorante du « parfum de bois varlopé », exhalant un « souffle résineux ».
Une nouvelle croustillante comme Maupassant aime à en raconter. Des dames, « plus chamarrées que les chasubles des chantres », qui pleurent toutes les larmes de leur corps pendant la cérémonie de première communion de la nièce de leur patronne. Des parfums mêlés, des souffles d’eau de Cologne, qui se heurtent à la senteur douceâtre des fleurs de colza. Les filles de Madame ont retrouvé durant quelques heures leur innocence première...
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ce petit tour virtuel dans la maison Tellier !
1 Maupassant G., La maison Tellier, Librio, 94 pages
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