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La Mahaut de Raymond Radiguet, aussi précise qu’un coucou suisse !

> 10 mars 2019

La Mahaut de Raymond Radiguet, aussi précise qu’un coucou suisse !

« Le bal du comte d’Orgel », roman posthume de Raymond Radiguet offre différents niveaux de lecture.1 Mahaut d’Orgel joue le rôle d’une princesse de Clèves moderne,2 coincée entre un mari qui la laisse gentiment indifférente et un amour troublé de scrupules. L’amour de François de Séryeuse pour Mahaut est, semble-t-il, encouragé par Madame-mère (Madame de Séryeuse) et par Anne d’Orgel, un mari qui porte un prénom féminin et qui ne semble pas porter la culotte dans son couple.

On y croise des gens qui ont de la branche, enfin plus ou moins. La princesse Hortense d’Austerlitz est « l’amie de tout le monde »… sauf de son mari. Descendante d’un maréchal d’Empire, elle possède une forte constitution qui rappelle ses origines. « Hortense tenait-elle de son ancêtre le maréchal Radout, commis-boucher dans son âge tendre, cette carnation trop riche, cette chevelure crêpelée, dont on se demande si elles ne résultent pas du voisinage des viandes crues ? » Raymond Radiguet, à la manière d’Emile Zola, définit la beauté de certaines femmes à la manière d’un plat de cochonnailles.3

On y fait la connaissance avec un « ancien croupier », qui organise, dans le château qu’il loue, des soirées pour gens nantis. Le château de Robinson n’a qu’une centaine d’années. Il a été construit par la fille d’un parfumeur (le célèbre Duc) qui confondait nom patronymique et extraction noble. Folle de couronnes ducales, elle ornait les publicités de sa marque de parfums d’une « couronne ducale » qui n’avait rien d’authentique.

On y consulte l’heure sur le visage de Mahaut ; en fonction du degré de fatigue qui s’y lit, on en déduit assez facilement l’heure qu’il est. « Mahaut sortit la glace qu’elle consultait, non par coquetterie, mais comme une montre, pour savoir l’heure du départ. Sans doute déchiffra-t-elle une heure tardive sur son visage, car elle se leva. » Tout comme Marcel Proust chez qui l’évaluation de la pousse des poils de barbe et de l’état d’avachissement progressif survenant entre dix heures du soir et trois heures du matin permettaient de s’abstenir de consulter horloge, pendule ou cartel,4 le visage de Mahaut fait office de coucou suisse d’une incroyable précision !

On y trouve notre double, un certain von Forbach, « collectionneur de virgules. Cette collection consistait à pointer le nombre de virgules contenues dans une édition de Dante. Le total n’était jamais le même. Il recommençait sans relâche. » Collectionneuses d’allusions cosmétiques dans la littérature - et pas uniquement chez Dante - nous nous retrouvons assez bien chez cet individu souffrant de folie douce…

On y ausculte les battements de cœur de Mahaut qui compare les effets de sa relation avec François avec ceux liés à l’utilisation d’un parfum enivrant. « Elle se disait qu’elle était comme ces gens qui aiment les fleurs, et que leur parfum entête. Il suffit de ne pas s’endormir auprès d’elles. »

Si vous attendez des détails concrets sur ce bal, vous serez déçus. On les attend durant tout le livre... il n’en est question qu’à la fin. Si vous rêvez d’une fin heureuse, passez votre chemin. Anne d’Orgel veut croire qu’il suffit d’adopter un ton péremptoire pour reprendre le contrôle de sa femme (« Et maintenant, Mahaut, dormez ! Je le veux ! »). Pour notre part, nous doutons fort de l’efficacité de cette « phrase des hypnotiseurs » pour ce roman qui est loin d’être à l’eau de rose, mais qui, bien plutôt, distille, à l’envi, page après page, les effluves d’un parfum vénéneux !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui nous invite, aujourd'hui, à remettre nos pendules à l'heure de Mahaut d'Orgel...

Bibliographie

1 Radiguet R., Le bal du comte d’Orgel, Grasset, 1959, 190 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-princesse-de-cleves-ou-l-art-d-etre-bien-fait-298/

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/zola-ou-la-beaute-charcutiere-965/

4 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-art-du-rasage-elementaire-mon-cher-watson-798/

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