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La duchesse de Langeais, une coquette qui nettoie les traces de baisers lors de sa toilette

> 24 mai 2020

La duchesse de Langeais, une coquette qui nettoie les traces de baisers lors de sa toilette

La duchesse Antoinette de Langeais est une chipie.1 Voilà, c’est dit. C’est une Parisienne, nous dit Balzac, qui semble la connaître parfaitement. Par ce simple mot « Parisienne », tout est dit... Mariée en 1812 avec le duc de Langeais, la demoiselle Navarreins apporte dans la corbeille de noce, une lignée irréprochable, une beauté incontestable et un cœur de pierre (elle est de celles qui « veulent posséder sans être possédées »). A peine unis, déjà désunis. Les époux, qui n’ont visiblement aucun atome crochu, décident de vivre séparément ; le duc, perpétuellement en campagne (c’est un militaire !) ; la duchesse constamment aux feux... de l’amour, un amour courtois qui titille, irrite, agace, séduit, mais ne rend jamais les armes.

Une Parisienne, blonde aux yeux bleus

Teint pâle, cheveux « blanchement » blonds, « aux boucles floconneuses », Antoinette paraît bien fragile. Pourtant, derrière cette apparente innocence se cache une âme calculatrice qui cherche à faire tomber dans ses filets tous les hommes de qualité. Armand de Montriveau a toutes les qualités pour devenir une cible idéale. A force d’être baladé, Armand en devient féroce et envisage de tondre l’ingrate personne (« Si l’on vous tondait, ne regretteriez-vous pas les cheveux si mignonnement blonds, et dont vous tirez si bien parti... ») ; il l’enlève même lors d’une soirée mémorable et envisage de lui appliquer un fer brûlant entre les deux yeux, afin d’y laisser une marque indélébile, une croix, signe des tortures qu’elle fait subir à tous ceux dont elle accroche le cœur. L’apprenti bourreau reculera finalement au dernier moment.

Une Parisienne, blonde comme les blés, qui aime la flatterie

Antoinette vit « d’encens, de flatteries, d’honneur ». Sa vie est faite de bals et de représentations. C’est une vie d’actrice, œuvrant devant un public choisi, celui de la cour d’une monarchie qui vit ses derniers soubresauts.

Une Parisienne pétrie de cosmétiques

Antoinette connaît toutes les recettes qui font la peau douce et odorante. « Et elle lui tendit à baiser sa main encore humide. Une main de femme au moment où elle sort de son bain de senteur, conserve je ne sais quelle fraîcheur douillette, une mollesse veloutée dont la chatouilleuse impression va des lèvres à l’âme. »

Un amoureux transi, brun et musculeux

Armand de Montriveau, un vaillant militaire, ne va pas résister longtemps à la coquetterie de la belle. « Musculeux comme un lion », Armand est paré d’une sorte de crinière. Sur une tête « grosse et carrée » repose une « énorme et abondante chevelure noire », qui lui enveloppe littéralement le visage. Ce fumeur plein de délicatesse fait brûler des parfums dans une cassolette pour purifier l’air de son intérieur lorsqu’Antoinette y est menée de force, sans aucune délicatesse !

Un amoureux dont la flamme est éteinte à coup d’eau savonneuse

Un ami d’Armand tente de le mettre en garde. Antoinette joue avec le cœur de ses soupirants ; elle ne cède jamais ! « Tes baisers, mon cher ami, seraient essuyés avec l’indifférence qu’une femme met aux choses de sa toilette. La duchesse épongerait l’amour sur ses joues comme elle ôte le rouge. »

Un conseil de famille bien inutile

La duchesse a décidé de s’afficher avec Montriveau... Quel scandale ! Et dire qu’il ne se passe rien - si ce n’est quelques baisers - entre ces deux protagonistes. La princesse de Blamont-Chauvry est dépêchée auprès de sa parente pour la remettre dans le droit chemin. Cette femme, de belle prestance, est une splendide relique du temps passé. « Poétique débris du règne de Louis XV », la vieille femme n’a conservé aucun agrément. Son nez saillant, « ses quelques cheveux crêpés et poudrés » ne permettent pas de reconnaître la jolie jeune femme d’antan. Elle conserve, malgré tout, une « haute idée de ses ruines » et n’hésite pas à arborer des décolletés affreusement vertigineux. Elle continue à se farder les joues « avec le rouge classique de Martin ». Ce « Talleyrand femelle » concentre toute sa séduction dans un esprit qui reste toujours aussi pétillant et alerte.

En résumé

Sachez qu’Antoinette finit par fondre d’amour alors même qu’Armand s’est dégoûté du jeu cruel qui lui est imposé. Fin de l’histoire dramatique, Antoinette part se cacher dans un couvent en Espagne. Armand finit par la retrouver... Trop tard. Sœur Thérèse (Antoinette a pris le voile sous ce nom) vient juste de rendre l’âme.

Honoré de Balzac met tout son talent dans ce court roman pour fustiger la beauté seule « parachute des femmes » et la coquetterie, une arme capable de tuer aussi bien la victime que le bourreau.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette duchesse de Langeais, à la beauté... irradiante !

Bibliographie

1 Balzac H. La duchesse de Langeais, Le livre de Poche, Gallimard, 1958

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