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Montaigne, le philosophe à la moustache parfumée

> 23 mai 2020

Montaigne, le philosophe à la moustache parfumée

On connaît déjà Montaigne dans le rôle du guide pour touristes,1 on apprécie aussi Montaigne en tant qu’ami fidèle,2 reste à se pencher sur le Montaigne moustachu, sensible aux parfums.

Dans ses célèbres Essais,3 Montaigne consacre un court chapitre aux « odeurs », qu’elles soient issues du corps humain ou en provenance de précieux flacons.

Rares sont les personnes qui dégagent, naturellement, une odeur fleurie. L’empereur Alexandre, fait partie de ces rares exceptions... Sa sueur, disait-on, « répandait une odeur suave ». Ce cas exceptionnel n’est malheureusement pas très fréquent. L’idéal, semble-t-il, est de ne dégager aucune odeur (ça c’est vraiment la classe !). L’haleine doit être pure et exempte de tout relent, à l’imitation de celle de « l’enfant en très bonne santé ». Montaigne semble se ranger docilement à l’avis des Anciens qui se moquaient des femmes et des hommes outrageusement parfumés. Que cache donc ce parfum ? Qui y a-t-il donc à masquer ainsi ? La célèbre phrase : « C’est puer que sentir bon », nous est resservi par un Montaigne qui connaît ses classiques et qui se plaît à multiplier les citations, se glissant dans la peau de l’homme à l’odorat exercé, las de sentir des aisselles douteuses semblant héberger un « bouc puant ». Un parfum ne serait quand même pas de trop. Plutarque, Martial, Hérodote se pressent à la barre...

Après nous avoir promenés parmi les auteurs de l’Antiquité, Montaigne se livre subitement. « Les odeurs les plus simples et les plus naturelles me semblent les plus agréables ». Sa peau constitue, pour les parfums, une véritable éponge. Elle s’imbibe de toutes les fragrances qui lui sont appliquées avec une belle persistance.

De la peau... à la moustache, il n’y a qu’un pas, que franchit allègrement notre guide. La moustache, chez Montaigne, constitue une sorte de mouillette sur lequel le parfum, quel qu’il soit (bon ou mauvais) va s’accrocher avec opiniâtreté. Cette moustache « épaisse », qui siège sous le nez, organe de l’odorat, semble placée là par un parfumeur plein de génie. La rémanence du parfum y est d’une journée. Des gants, un mouchoir approchés, le matin, de cette structure pileuse, pleine de mémoire, se rappellent à Montaigne jusqu’au soir !

Curieux, se dit Montaigne qu’avec une telle éponge en guise de moustache il ait réussi à passer au travers des différentes épidémies qui ont jalonné son existence... A creuser, nous susurre le philosophe qui sent bien qu’il y a matière à disserter longuement sur le sujet.

Contrairement aux Anciens, Montaigne ne semble pas hostile à l’usage du parfum. Il y voit même matière à expérimentation médicale, se rendant compte que, selon les fragrances utilisées, les conséquences en matière d’humeur (bonne, mauvaise...) seront variées. Tel parfum portera à l’état contemplatif, tel autre à tel sentiment... ou sensation. Il y a quelque chose à faire, c’est sûr, sur le sujet !

Mais revenons à notre moustache captatrice de senteurs. C’est bien joli quand vous vous trouvez dans un boudoir entouré de jolies femmes savamment pomponnées. Il n’en est pas de même, lorsqu’il est temps de pointer le nez dehors dans une odeur vénitienne, plutôt marécageuse ou parisienne, carrément boueuse.

De manière alerte, comme un bon guide qu’il est et qu’il reste, Montaigne nous tient par la barbichette, nous amuse, nous intrigue, en nous faisant faire connaissance avec une moustache à la forte personnalité, une moustache qui, durant les belles années de sa jeunesse, retenait aussi bien le parfum que les baisers (« savoureux, gloutons, gluants ») durant de longues heures.

En quelques pages, avec talent, Montaigne nous précède sur des chemins odoriférants effleurant sans le savoir précisément des notions extrêmement contemporaines comme celle, en particulier, de l’aromathérapie (« Les médecins, pourraient, je crois, tirer des odeurs plus de profit qu’ils ne font [...] »).

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien... parce que c'était sa moustache... parce que c'était son parfum...

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/guide-du-bourlingueur-par-montaigne-suivez-le-guide-852/
2 https://www.cairn.info/revue-imaginaire-et-inconscient-2007-2-page-15.htm
3 Montaigne, Les essais, Quarto Gallimard, 2002, 1355 pages

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