> 01 décembre 2021
« Mousses, neiges au stéarate, vanishing-creams, crèmes évanescentes »... autant de qualificatifs pour désigner les toutes premières émulsions stabilisées à l’aide de savon, nées à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Diadermine (une crème « médicale », utilisée aussi bien en tant que produit d’hygiène qu’en tant que crème de jour protectrice, selon le mode d’emploi choisi (rinçage ou non !))1 Tokalon (une crème qui s’applique le jour ou la nuit et renferme un mystérieux ingrédient biologique),2 Crème Hazeline à l’eau d’hamamélis (une crème à base de stéarine et de sesquicarbonate d’ammonium), « très agréable aux épidermes gras », selon René Cerbelaud, bien qu’un peu « mordante » (c’est après tout selon lui un avantage puisque cela permet d’émulsionner le sébum et de l’éliminer au lavage), autant de crèmes vantées par le célèbre pharmacien René Cerbelaud,3 qui s’extasie devant ces crèmes faciles à vivre, du fait de leur capacité à « s’évanouir », une fois mises en contact avec la peau. Ces émulsions, qui disparaissent comme par magie une fois appliquées sur l’épiderme, sont alors en vogue et constituent la base de tout produit « moderne » qui se respecte.
2021 : la crème évanescente, si chère à nos ancêtres est de retour. La marque Cottan renaît de ses cendres et revisite les cahiers de formulation du Dr Jean-François Cottan, avec l’aide d’un guide expert en la matière, Jean-Claude Le Joliff pour ne pas le citer.
Paris, 1840... Le Dr Cottan se lance dans la commercialisation de produits de beauté. La société hygiénique du Dr Cottan promet aux Parisiennes des produits sûrs et efficaces. Il faut dire que nos chères Parisiennes ont à portée de main nombre de publications plus inquiétantes les unes que les autres évoquant la présence sur le marché de cosmétiques nocifs, renfermant des ingrédients toxiques. Des médecins au curriculum vitae long comme le bras se jettent sur ces proies faciles et leur prodiguent des conseils-beauté. Le Dr Monin, par exemple, s’adresse au « beau sexe », dans un ouvrage resté célèbre, pour indiquer à ses lectrices l’existence de différents types de peau : sèche ou grasse. L’hygiène « mammaire », l’hygiène de la peau, des cheveux, des yeux, des pieds... tout est étudié, décortiqué, expliqué ; des formules simples, adaptées à chaque situation, sont proposées. Et le Dr Monin, prolixe sur le sujet, de publier des ouvrages tel que L’hygiène de la beauté et de relancer des éditions au fur à mesure que les précédentes sont écoulées.4
La Parisienne, qui connaît la poudre de riz (elle en abuse souvent), le cold crème (un produit gras de gras !) et les produits de maquillage aux textures grasses est en quête de formules légères... Le Dr Cottan semble avoir la solution cosmétique aux aspirations d’une femme qui ne sait plus trop à quel saint se vouer en matière de routine-beauté. Il ne faut pas oublier que notre Parisienne cultivée vient de dévorer le dernier ouvrage d’Honoré de Balzac, César Birotteau (paru en 1837), un ouvrage qui étrille la toute jeune industrie cosmétique et ses pratiques marketing douteuses.5 Une simple huile de noisettes quelque peu dénaturée par divers corps gras au coût modique n’y est-elle pas présentée comme la solution infaillible pour arborer un capillaire tout simplement exceptionnel.
Novembre 2021 : Ganaël Bascol décide de venir fleurir la tombe du Dr Cottan de manière originale. Monsieur Barbier (Ganaël est le créateur de la gamme pour hommes portant ce nom)6 n’est pas venu avec la traditionnelle potée de chrysanthèmes aux fleurs jaunes ou rouges connue de tous. Au lieu de passer chez le fleuriste, Ganaël s’est attardé aux archives de l’état civil pour en savoir plus sur le fameux Dr Cottan ; il s’est également offert le concours de Jean-Claude Le Joliff pour se renseigner sur l’histoire des cosmétiques de la moitié du XIXe siècle. Fort de ces renseignements, il ne restait plus qu’à mettre au point des formules dignes du magicien Arsène, celui qui défroisse la peau et permet à la femme de 30 ans de stopper la course du temps en lui offrant de rester à jamais sur la plus haute marche du podium de la beauté, celle qui correspond à la « sommité poétique de la vie des femmes ». Pour rester au top, Balzac lui-même est au courant de l’importance de l’hydratation de la peau, afin d’éviter au lac « épidermique » de s’assécher.7 Une fois les formules mises au point et placées dans des conditionnements rétros, il ne restait plus qu’à les déposer en lieu et place des habituels chrysanthèmes !
2021 : les exigences en matière de réglementation ne sont pas les mêmes qu’en 1840. Ganaël le sait parfaitement, d’où un peu de ménage réalisé dans les vieux cahiers poussiéreux retrouvés dans la vieille malle du grenier… un peu mais pas trop. Les formulateurs du XXIe siècle se sont glissés dans la blouse du cher Docteur, en tentant de conserver l’esprit d’origine.
En matière d’ingrédients pour la crème évanescente, c’est le nombre 14 qui est à retenir. Une émulsion stabilisée par un tensioactif non ionique (butylene glycol cocoate) et par des savons (les acides stéarique et palmitique sont ici saponifiés par la potasse). Des humectants (pentylène glycol, glycérine),8 pour retenir l’eau dans la peau. Des corps gras (C15-19 alkanes, huile de jojoba)9 pour l’émollience. Du squalène,10 pour le confort cutané. Un antioxydant (du tocophérol), pour éviter le rancissement des corps gras de la formule. Pas de conservateur antimicrobien, en revanche. Bizarre...
Pour le savon, des huiles de coco et d’olive, saponifiées par la soude. Du beurre de karité, des huiles de jojoba et de chanvre comme surgraissants. Un agent séquestrant (tetrasodium glutamate diacetate) pour faire copain-copain avec les eaux dures.
Pour redémarrer, la gamme Cottan a misé sur des cosmétiques à l’ancienne, la crème aux stéarates est de retour dans sa grande simplicité. Le savon végétal, lui non plus, ne cherche pas midi à 14 heures.
Ah, il fait bon voir renaître ces jolies marques du passé. Reste à les moderniser. On attend avec impatience de voir apparaître dans la liste des produits disponibles des produits d’hygiène pour peaux exigeantes (on rêve de voir le Dr Cottan découvrir, avec émerveillement, les tensioactifs de synthèse, beaucoup plus doux que l’antique savon), des produits de soin ciblant le visage, les mains, les pieds, des produits solaires ultra-performants (le Dr Cottan s’il en avait eu les moyens n’aurait pas rechigné à la tâche)... Bref, tous les indispensables des salles de bain modernes.
D’ici là, bon vent à cette gamme qui revisite l’histoire des cosmétiques !
1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/diadermine-la-creme-a-tout-faire-168/
3 Cerbelaud R., Formulaire de parfumerie - Tomme II, Paris, 1930, 764 pages
Crème visage évanescente : AQUA (WATER), BUTYLENE GLYCOL COCOATE, STEARIC ACID, PALMITIC ACID, PENTYLENE GLYCOL, GLYCERIN, C15-19 ALKANE, SIMMONDSIA CHINENSIS (JOJOBA) SEED OIL, XANTHAN GUM, SQUALENE, TOCOPHEROL, BETA-SITOSTEROL, PARFUM (FRAGRANCE), POTASSIUM HYDROXIDE.
Savon visage dulcifié : SODIUM OLIVATE, SODIUM COCOATE, AQUA (WATER), BUTYROSPERMUM PARKII (SHEA) BUTTER, GLYCERIN, ORYZA SATIVA (RICE) POWDER, SIMMONDSIA CHINENSIS (JOJOBA) SEED OIL, CANNABIS SATIVA (HEMP) SEED OIL, SODIUM CHLORIDE, PARFUM (FRAGRANCE), TETRASODIUM GLUTAMATE DIACETATE.
Retour aux regards