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La cire Aseptine ou l’effet du battement d’ailes d’un papillon

> 28 octobre 2017

La cire Aseptine ou l’effet du battement d’ailes d’un papillon Lorsque l’on étudie les produits en vogue au début du XXe siècle, on est confronté à trois grandes catégories de formules : les crèmes aux stéarates (c’est-à-dire à base-savon), les glycérolés d’amidon (qui, comme leur nom l’indique, sont des mélanges de glycérol et d’amidon) et les cérats (qui renferment des cires, des graisses et des huiles en proportions variées). Ces lointains descendants du cérat de l’illustre Galien se sont anglicisés au XVIIIe siècle, lorsque des parfumeurs anglais, en quête de nouveauté, ont mélangé les ingrédients qu’il fallait (cire végétale, huile végétale, eau de rose) et se sont rendus compte que la préparation qui était fort peu stable devait être stockée en atmosphère fraîche. La froide-crème (ou cold cream) était née.

La cire Aseptine est un donc un cérat cosmétique tout simple...

Il s’agit d’un cosmétique sorti de l’imagination d’un pharmacien (pharmacien-droguiste disait-on alors), Monsieur A.W.B Scott dont la pharmacie était située au 38 rue du Mont-Thabor à Paris. L’imagination de notre chimiste, amateur de belles peaux, n’est pas complètement débridée. Consultant son précieux Dorvault qui ne quitte pas son préparatoire, le pharmacien met au point une variante du cérat de Galien. Avec les ingrédients dont il dispose, il concocte une préparation « très ferme pour les soins de l’épiderme ». Le cérat cosmétique en question se compose de 6 ingrédients très classiques au regard de ceux retrouvés dans les produits de la concurrence : 200 g de blanc de baleine, 100 g de cire blanche, 650 g de vaseline blanche, 50 g d’oxyde de zinc tamisé, 10 gouttes d’essence de lavande fine et 5 gouttes d’essence de bergamote non déterpénée (René Cerbelaud - Formulaire de parfumerie - 1933).

L’utilisation d’une cire végétale stérilisée (publicité La cire Aseptine : Une fontaine de Jouvence - 1919) montre le sérieux du pharmacien qui souhaite commercialiser un produit le plus sûr possible. Cette information titille pourtant notre esprit curieux. René Cerbelaud nous avait affirmé que le produit était composé de cires d’origine animale (blanc de baleine et cire d’abeille), on nous parle ici de cires végétales...

Reste à faire monter la mayonnaise à grand renfort de publicité.

Notre pharmacien aime l’histoire. Pour vendre sa préparation, il ne remonte pas aux temps bibliques comme l’adresse de sa pharmacie pourrait l’y conduire. Il se contentera de remonter au XVIe siècle. Il nous parle de la maîtresse de Henri II, Diane de Poitiers dont « la beauté est restée légendaire. » Celle-ci « prodiguait à son corps des soins intelligents » nous indiquent les publicités de la célèbre Cire. On passera sous silence la nature de ces « soins intelligents » car on en ignore tout. On fait un bond dans le temps et on se retrouve illico aux soins modernes (« C’est à la science et à l’hygiène » que l’on demande désormais de résoudre l’équation qui permet d’accéder à la beauté éternelle). La Cire Aseptine, est, bien entendu, le produit scientifique qui permettra d’atteindre l’objectif recherché. « Il suffit d’étendre chaque soir et pendant quelques jours la Cire Aseptine sur le visage et de l’enlever le matin avec de l’eau tiède. En enlevant peu à peu sans que vous vous en doutiez ou les autres s’en aperçoivent, la première couche de l’épiderme, la Cire Aseptine, après quelques applications, met à jour, une peau douce, délicate, veloutée. » Donc la Cire Aseptine est une crème de nuit... Cette crème de nuit donne à la peau « le velouté d’une aile de papillon ». Cette cire vous « embellit pendant le sommeil ». Toutefois, elle peut continuer son action le jour. Appliquée (en touches légères) après les ablutions elle est « sans rivale pour bien faire adhérer la poudre Aseptine » (publicité 1923).

Crème de jour, c’en est une, à coup sûr, si l’on en croit les publicités qui vantent son effet protecteur vis-à-vis du soleil. L’été des Parisiennes ne peut pas se concevoir sans les produits Aseptine. « Sur le visage, le cou et les bras, après les ablutions, puis en poudrant avec la poudre Aseptine, elles éviteront le coup de soleil, le hâle et conserveront ou rendront à leur peau la transparence et la fraîcheur de la jeunesse. »

En 1938, une publicité baptisée « une étrange cire de fleurs donne au teint une beauté magique » répond à la question « Est-ce une crème de jour ou une crème de nuit ? » : « Les deux, mon capitaine » !!! « Amollit la peau, fait disparaître les pores dilatés, les points noirs, les taches de rousseur et toutes les imperfections du teint » la nuit, le matin « révèle la nouvelle beauté d’une peau blanche et fraîche ». Le produit est si efficace, qu’il ne faut pas oublier d’en badigeonner le cou, les épaules, les bras, les mains afin d’éviter le contraste entre un visage juvénile et le reste d’un corps flagada.

Il est bien tard pour rétablir la vérité concernant cette cire Aseptine, mais faisons-le quand même. La Cire Aseptine n’est pas exfoliante, contrairement à ce que certains argumentaires ont pu faire croire. Ce n’est pas, non plus, une crème solaire car elle ne contient pas de filtres UV. On remarquera que l’huile de bergamote qui la parfume est photo-sensibilisante, ce qui contre-indique son utilisation en cas d’exposition solaire.

Il s’agit d’une crème-barrière qui protège des intempéries et permet de maintenir un bon niveau d’hydratation au niveau cutané. Un point c’est tout... Le battement des ailes du papillon ne provoquera ici aucun séisme !!!

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