> 24 septembre 2023
Dans Le pur et l’impur,1 Colette se fait la confidente des uns et des autres. En fine observatrice, elle dresse la liste des vices de ses proches et amis, nous offrant un florilège des plaisirs défendus.
Pourtant Colette se paye le luxe de fréquenter un établissement où l’on fume de l’opium, afin de se faire une idée de la personnalité des accros à cette drogue. Bien installée sur son « petit matelas », elle hume les vapeurs inhalées par ses voisins. L’odeur de l’opium se mêle au « parfum assez banal » du lieu correspondant à une « saine et active odeur de chair. »
Le « noir » et « apéritif » parfum qui fleure la « truffe fraîche » et le « cacao brûlé » (celui de l’opium) embaume l’air ambiant. L’écrivaine y puise l’inspiration, dans les volutes qui s’échappent de son voisinage. Une femme élégante qui mâche des « boulettes d’opium », voilà un bon début pour un roman… Et si l’on ajoute que cette femme se trouve en compagnie d’une autre femme et qu’elle s’allonge contre sa compagne, épousant sa forme, « comme des cuillers dans un tiroir à argenterie »… on se dit que Colette est bien capable d’en faire ses choux gras !
Dans la fumerie d’opium parisienne, Colette a fait la connaissance d’une certaine Charlotte. Elles s’y retrouvent parfois pour boire du maté, dans « une coloquinte jaune et noir ». Le maté à odeur « de thé et de pré fleuri » ravit la très terrienne Colette.
Le jaloux aux yeux de Colette est comparable à un curiste qui sort d’une ville d’eaux, « fumant, comme d’un bain, amaigri et régénéré. »
Celui-ci guette dans l’air les moindres signes d’infidélité, traquant « les parcelles abandonnées dans l’air par une chevelure, une poudre parfumée »… « L’odorat tendu » comme un arc, le jaloux décoche les flèches de sa foudre vis-à-vis de l’élue de son cœur !
Le jaloux résiste à toutes les épidémies ; il ne baisse jamais la garde. Sa bonne santé est proverbiale, à condition de « respecter l’hygiène spéciale et rigide du jaloux », qui consiste à « se nourrir assez, mépriser les stupéfiants. »
On peut préciser encore que si le jaloux résiste à la contagion des épidémies ordinaires, il est, en revanche, très facile de contaminer ses semblables. « La jalousie, de par sa puissance tinctoriale, instille une forte et définitive couleur à tout ce qu’elle rencontre. » La jalousie, ça tâche, en bref !
Son ami Damien l’a mise en garde : l’alcool « blanchit » les cheveux. La preuve, dit-il, en montrant à Colette, « dans ses cheveux noirs, des fils blancs assez nombreux, d’un brillant d’aluminium. »
Et Colette de rire… en observant la touche d’une femme « blafarde, poudrée, outrecuidante » !
Chez la poète Pauline Tarn (alias Renée Vivien), tout n’est que luxe et cocktail au « vitriol » (des « breuvages inquiétants ») ! Chez elle, l’on est assailli par une « odeur d’encens, de fleurs, de pommes bletties ». Les fenêtres, clouées, ne sont jamais ouvertes, ce qui engendre une atmosphère très particulière. L’air ambiant est saturé de « parfums funèbres », qui ne plaisent guère à l’adepte de l’aération qui sommeille en Colette.
L’amie Pauline Tarn a pris « 10 livres » avant un bal costumé. En 10 jours elle décide de rectifier le tir, en suivant un régime draconien. Thé, plus ou moins agrémenté d’alcool, marche forcée en forêt (20 km au bas mot)… Rien dans l’assiette ; tout dans le verre. A ce régime, Pauline parvient à retrouver la ligne et se présente au bal en question « fardée, l’orbite creuse ». Juste le temps de faire le joli cœur, avant de s’écrouler, « en proie aux plus tristes et aux plus violentes manifestations d’un empoisonnement d’alcool, aggravé d’inanition et quelque « doping » ». Après cette cure éthylique, Pauline garda un goût prononcé pour l’éthanol. Sa femme de chambre, Justine, avait alors un double rôle, remplir un gobelet d’alcool à intervalles réguliers, remplir un verre d’une « eau laiteuse, troublée de parfum » ensuite. Pauline, après avoir enfilé le gobelet d’alcool, courrait à sa salle de bains se gargariser à l’eau parfumée, afin de conserver au maximum une haleine fraîche et pure. « Pour avoir vu, flairé ce verre parfumé, des passants ont cru et affirmé que Renée Vivien buvait de l’eau de toilette… » Il n’en était rien, Pauline (ou Renée, comme on veut) recrachait avec soin son bain de bouche maison. Mais, il est bon de préciser que « ce qu’elle absorbait si follement ne valait pas mieux. »
Mais c’est bon pour les vieux beaux, qui cachent, sous une barbe « à la Henri IV, teinte », des « fanons de vieille vache. »
Colette n’est pas hostile au parfum du séducteur. « Cependant autour de lui se dilatait une zone aussi subtile qu’un parfum, perçu peu à peu des hommes présents, et qui les troublait antipathiquement. » (sic). Pour Colette, tout être se définit de manière olfactive, par le plus aristocratique des sens (« au plus aristocratique de nos sens »).
Selon Damien, la pommade aux concombres est le cosmétique de la vertu, le produit de beauté qui tue l’amour. « La pommade aux concombres pour la nuit et les journaux au lit le matin »… une perspective qui n’a rien de réjouissant !
« L’odeur de blé tiède réfugiée dans une chevelure » émeut, bien sûr, notre chère Colette, qui aime les fragrances végétales et ce où qu’elles siègent !
Le secrétaire de M. Willy, l’ex-mari de Colette, aime la compagnie masculine. Il renforce la ligne de ses sourcils à l’aide d’un crayon (« L’interpellé, levant haut les sourcils, révélait qu’il les renforçait au crayon. »). Un acte cosmétique, qui ne demeure pas secret, lors de ses démonstrations d’étonnement.
Un « garçon qui fabrique des cartons pour la mode et les parfumeurs. »
Colette nous entraîne sur les chemins de la galanterie. Chaussée de gros croquenots, l’écrivaine sort des sentiers battus, pour nous confier la recette de sa bonne santé : profiter de la vie, récolter les confidences de ses ami(e)s, une bonne tasse de thé à la main, éviter l’alcool et les stupéfiants. User de manière passive des bouffées d’opium… et réserver la pommade de concombre aux périodes de célibat !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Colette, Le pur et l’impur, Hachette, 2022, 158 pages
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