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L’éthanol, des sources vachement originales, du raisin à la cheminée d’usine…

> 29 janvier 2024

L’éthanol, des sources vachement originales, du raisin à la cheminée d’usine…

Depuis quelques années, il ne suffit plus de parler d’efficacité (un mascara qui allonge démesurément les cils, un amincissant qui nous fait nous glisser dans le chas d’une aiguille, un soin éclaircissant qui chasse toutes les taches du visage…) ou de tolérance (tout produit cosmétique se doit, par définition, d’être sûr d’emploi si l’on sait lire le Règlement cosmétique en vigueur à ce jour), pour séduire le consommateur. Il faut également lui affirmer que le produit qu’il va utiliser n’est pas nuisible pour la planète et que même, dans le meilleur des cas, ce produit vise à réduire la pollution. Et hop, je saisis la fumée qui sort de la cheminée de mon usine de fabrication de cosmétiques, et hop je la transforme en un ingrédient cosmétique très utilisé : l’éthanol. Oui, c’est ainsi, certaines sociétés n’hésitent pas à faire de l’économie circulaire, quitte à nous faire tourner chèvre ou bourrique (selon les goûts de chacun). Avant de transformer la fumée d’usine en éthanol, il est sans doute bon de se rappeler les différentes sources possibles de cette matière première et de se demander qu’est-ce qu’on va bien pouvoir encore inventer pour vendre plus, toujours plus… mais en se sentant moins, toujours moins, coupable !

L’éthanol, le fruit de l’or jaune ou rouge !

L’éthanol est le fruit d’une fermentation, qui a commencé à faire parler d’elle il y a fort longtemps, puisque l’on considère que les premiers brasseurs de l’histoire ont débuté leur activité lucrative il y a environ 6000 ans avant notre ère ! Depuis que ces amateurs de bière ont amorcé ce travail biotechnologique, il a, évidemment, coulé du vin… dans les verres. Et cet éthanol, produit par fermentation des sucres de divers végétaux, par des levures pleines de bon sens, constitue, à l’heure actuelle, « le premier produit mondial de la biotechnologie, tant en termes volumétriques qu'économiques » !

Parlons chiffre, le volume d’alcool de fermentation produit dans le monde est qualifié par certains auteurs de « stupéfiant », avec plus de 100 milliards de litres d’éthanol destinés à la fabrication de boissons et de carburants (bioéthanol) produits chaque année.

Parlons « microbe » et plus spécialement de ce microbe responsable de la transformation d’un sucre destiné aux papilles enfantines en… éthanol, destiné entre autres au gosier des adultes avertis. Le microorganisme en question est une levure, répondant au nom de Saccharomyces cerevisiae (la levure de boulangerie).1 Une levure qui mérite bien son titre de « premier microbe de la civilisation humaine » !2 Cette levure, utile pour la fabrication de nombreux aliments, est donc un gentil « microbe », exploité par l’Homme, depuis fort longtemps, afin de transformer des matières premières doucereuses en carburants de la fête ou des véhicules à moteurs !

La transformation du raisin (Vitis vinifera) permet donc d’aboutir à la production d’éthanol. Toutefois, les grappes de raisin ne sont pas les seules à permettre l’obtention de l’éthanol ; en effet, la pâte à bois (cellulose)3 constitue également un substrat de fermentation intéressant, car moins coûteux. Même chose avec la betterave4 ou la canne à sucre.5

Et dans le cadre de la production du biocarburant, certains, qui ont le cœur bien accroché et le porte-monnaie exsangue, n’hésitent pas à tester les combinaisons les plus insolites et les moins ragoutantes, afin de faire baisser, de manière radicale, le prix à la pompe. On trouve ainsi, en 2022, dans la littérature scientifique, une publication chinoise mettant en avant le mélange : déchets de frites + eau usée municipale (!)6 et il paraît que ça roule à merveille !

L’éthanol, le fruit de l’or noir !

Enfin, plus exactement le fruit d’une extraction et de quelques petites manips supplémentaires. Extraction du pétrole qui, par craquage, donne de l’éthylène, qui, par synthèse organique, donne naissance à de l’éthanol. Parmi les chimistes responsables de cette synthèse emblématique du domaine, on ne peut ignorer le nom de Marcelin Berthelot, un chimiste, qui, le 8 décembre 1854, fait connaitre son procédé de synthèse chimique de l’éthanol. Le point de départ, de l’éthylène (obtenu à partir d’éthanol ; cet éthylène aura, par la suite, une origine minérale bien évidemment), « agité » (à raison de 53 000 secousses) avec de l’acide sulfurique et du mercure, permettant d’obtenir de l’acide éthylsulfurique, qui pourra, ensuite, être hydrolysé en éthanol. Cette synthèse une fois effectuée, les chimistes pourront alors se bousculer au portillon, pour réaliser le même genre de synthèse à partir de d’autres substrats comme l’or noir ou la houille.7

L’éthanol, le fruit de l’or incolore

L’éthanol peut, en effet, être obtenu à partir du gaz de synthèse (ou syngas, ou mélange de monoxyde de carbone, de dioxyde de carbone et d’hydrogène)8,9 ou du monoxyde de carbone.

Ce monoxyde de carbone, qui constitue le sujet de la chanson « carbon monoxide » du groupe américain CAKE, un groupe qui constate, en 2004, que le monoxyde de carbone produit par les voitures, les camions, les bus est en train d’altérer grandement sa santé pulmonaire,10 est également le sujet de nombreuses publications, qui mettent en avant la nocivité de ce gaz incolore et inodore pour la plupart des organismes vivants, à l’exception de certaines bactéries, qui voient, en ce polluant urbain, un substrat bien sympathique.11 Il ne reste plus alors qu’à choisir le germe le plus performant et à le placer dans les conditions favorables, afin qu’il puisse fonctionner comme une petite usine à convertir le monoxyde de carbone, un gaz toxique, en de l’éthanol, un liquide aux multiples applications industrielles. Dans des bioréacteurs, on peut, ainsi, étudier, tous les facteurs qui influencent le rendement de la réaction de bioconversion. Le bien nommé Clostridium autoethanogenum est donc ainsi capable, dans certaines conditions, de devenir pompette, à moindre coût, en produisant lui-même, sous certaines conditions, tout ce qu’il faut pour remplir le réservoir de sa voiture, qui produira du monoxyde de carbone, qui pourra lui servir de substrat pour produire de l’éthanol, qui pourra servir à remplir son verre de vin ou son flacon de parfum. Et ainsi de suite ad libitum.12

Par parenthèse, on signalera que Clostridium autoethanogenum, une bactérie anaérobie Gram positif, a été isolé, pour la première fois en 1994… de crottes de lapin.13 Pas très cosmétique, mais très utile !

L’éthanol dans les cosmétiques, sa mise en scène

Comme nous avons pu le voir au cours de ce mois de janvier 2024, l’éthanol est un ingrédient cosmétique, aux nombreuses propriétés, susceptible de jouer le rôle de solvant (excipient), d’actif antiseptique ou d’ingrédient exhausteur de pénétration. Un ingrédient qui doit être purifié avant d’être incorporé dans les cosmétiques puis éventuellement dénaturé avant d’être incorporé dans des cosmétiques aussi différents que des parfums ou des bains de bouche, des produits hydratants ou de maquillage ou de protection solaire.

Selon la société en question, celle-ci communiquera ou non sur l’origine de l’alcool utilisé. C’est ainsi que le géant L’Oréal nous indique que l’éthanol utilisé pour la fabrication de ses cosmétiques provient du processus de la fermentation de la betterave ou de la canne à sucre et n’est jamais obtenu par synthèse.14

Pour le groupe Beiersdorf, en revanche, pas de betterave ni de canne à sucre pour la fabrication d’alcool, mais des panaches de fumée, sortant des cheminées des usines, convertie en éthanol, afin de permettre la mise sur le marché d’un soin hydratant pour hommes… renfermant 14 % d’éthanol obtenu par des méthodes alternatives.15 14 % d’un ingrédient asséchant pour formuler un soin hydratant… on ne comprend pas bien le raisonnement et ce, même si l’ingrédient ainsi mis en valeur vise à valoriser un polluant atmosphérique.

Et pourquoi pas le méthane ?

Le méthane, l’hydrocarbure le plus abondant dans l’atmosphère, puissant gaz à effet de serre, constitue, un polluant que l’on devrait chercher à éliminer par tous les moyens possibles. Les pauvres vaches qui en produisent largement sont bien souvent la cible de quolibets concernant leur propension à produire ce gaz. Sous l’effet des bactéries, le méthane peut se transformer en méthanol.16 Le méthanol, ensuite, par réaction de carbonylation, est susceptible de donner naissance à de l’éthanol.17 De l’éthanol qui permettrait de formuler, selon le cas, des bains de bouche, des soins amincissants, des baumes après-rasage ou des parfums.

Un marketing qui pourrait s’appuyer sur des bases solides. Quand les flatulences des vaches sont converties en ingrédient de parfum, on entre vraiment dans un cercle vertueux ! Le parfum des unes devenant par la magie de la chimie le parfum des autres !

L’origine de l’éthanol, en bref

Trois origines possibles pour un ingrédient chimique unique. Une origine végétale, noble, qui ne nécessite pas énormément d’efforts linguistiques pour être mise en valeur dans les argumentaires marketing, la vigne, en France, jouissant d’un capital sympathie important. La betterave et la canne à sucre viennent à propos seconder la vigne pour une raison de coût bien évidente.

Une origine pétrochimique qui rebute d’un point de vue environnemental.

Une origine diverse et variée, mettant à profit des éléments polluants, afin de leur donner une seconde chance cosmétique.

A force de vouloir sembler vertueux, on va bientôt arriver à nous vendre de la crotte de lapin ou du pet de vache comme excipient ou actif cosmétique. Attention aux dérives, rappelons-nous qu’un cosmétique est un produit utile et même indispensable, qui doit conserver une part de rêve !

Alors, franchement, sans être vaches avec l’industrie cosmétique, on a envie dire : peut meuh faire !

Bibliographie

1 Dashko S, Zhou N, Compagno C, Piškur J. Why, when, and how did yeast evolve alcoholic fermentation? FEMS Yeast Res. 2014 Sep;14(6):826-32

2 Walker GM, Walker RSK. Enhancing Yeast Alcoholic Fermentations. Adv Appl Microbiol. 2018;105:87-129. doi: 10.1016/bs.aambs.2018.05.003

3 Wang J, Chae M, Beyene D, Sauvageau D, Bressler DC. Co-production of ethanol and cellulose nanocrystals through self-cycling fermentation of wood pulp hydrolysate. Bioresour Technol. 2021 Jun;330:124969

4 Puligundla P, Mok C. Valorization of sugar beet pulp through biotechnological approaches: recent developments. Biotechnol Lett. 2021 Jul;43(7):1253-1263

5 Kim M, Day DF. Composition of sugar cane, energy cane, and sweet sorghum suitable for ethanol production at Louisiana sugar mills. J Ind Microbiol Biotechnol. 2011 Jul;38(7):803-7

6 Chen X, Zheng X, Pei Y, Huang J, Tang J, Hou P, Han W. Ethanol Production from the Mixture of Waste French Fries and Municipal Wastewater via Separate Hydrolysis and Fermentation. Appl Biochem Biotechnol. 2022 Dec;194(12):6007-6020

7 https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1955_num_43_144_9273

8 Liu G, Yang G, Peng X, Wu J, Tsubaki N. Recent advances in the routes and catalysts forethanol synthesis from syngas. Chem Soc Rev. 2022 Jul 4;51(13):5606-5659

9 https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/syngas

10 https://lyricsfrance.com/cake/carbon-monoxide/

11 Köpke M, Mihalcea C, Bromley JC, Simpson SD. Fermentative production of ethanol from carbon monoxide. Curr Opin Biotechnol. 2011 Jun;22(3):320-5

12 Abubackar HN, Veiga MC, Kennes C. Carbon monoxide fermentation to ethanol by Clostridium autoethanogenum in a bioreactor with no accumulation of acetic acid. Bioresour Technol. 2015 Jun;186:122-127

13 Lipscomb GL, Crowley AT, Nguyen DMN, Keller MW, O'Quinn HC, Tanwee TNN, Vailionis JL, Zhang K, Zhang Y, Kelly RM, Adams MWW. Manipulating Fermentation Pathways in the Hyperthermophilic Archaeon Pyrococcus furiosus for Ethanol Production up to 95°C Driven by Carbon Monoxide Oxidation. Appl Environ Microbiol. 2023 Jun 28;89(6):e0001223. doi: 10.1128/aem.00012-23. Epub 2023 May 10

14 https://au-coeur-de-nos-produits.loreal.fr/ingredients/alcool-dans-les-cosmetiques

15 https://www.premiumbeautynews.com/fr/beiersdorf-annonce-le-premier-soin,20149

16 Farhan Ul Haque M, Xu HJ, Murrell JC, Crombie A. Facultative methanotrophs - diversity, genetics, molecular ecology and biotechnological potential: a mini-review. Microbiology (Reading). 2020 Oct;166(10):894-908

17 Peyman S, Bijani PM, Bahadori F. Investigation of optimal operating conditions in dimethyl ether carbonylation to methyl acetate production process. Environ Sci Pollut Res Int. 2023 Oct;30(48):106636-106647

 

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