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L’art de boucler une valise selon Jerome K. Jerome !

> 08 février 2020

L’art de boucler une valise selon Jerome K. Jerome !

Lire Trois homme dans un bateau de Jerome K. Jerome,1 c’est un peu comme prendre une place au cirque. Il va y avoir des chutes, des gags, des acrobates qui jouent avec les mots, des jongleurs qui lancent des expressions en l’air et les rattrapent in extremis au vol. On sourit, on rit, on retrouve l’âme de l’enfant qui découvrit ce livre à 13 ans, en voyant Harris ficelé comme un saucisson dans une toile de tente ou dormant dans un petit lit, les jambes débordant largement et constituant pour ses deux comparses un « porte-serviettes » très original.

George, William Samuel Harris et Jerome sont trois amis très déprimés qui décident, un beau jour, de voguer sur la Tamise, en canot, afin de laisser, au fil de l’eau, leurs idées sombres. George et Harris souffrent depuis quelque temps de vertiges ; Jerome, quant à lui, est malade du foie, s’il en croit, les prospectus distribués avec certaines spécialités pharmaceutiques. Surtout, pour rester en bonne santé, semble nous dire Jerome, n’ouvrez jamais un dictionnaire médical ; vous risqueriez de développer tous les symptômes des pathologies déclinées de A à Z, toutes sauf peut-être « l’hydarthrose des femmes de chambre » !

Ceci dit, si vous avez, comme nos trois compères, un besoin urgent de prendre l’air, nous vous conseillons au préalable de suivre les conseils de Jerome en matière de préparatifs de départ.

Dans la liste des cosmétiques et articles de toilette essentiels à ne pas oublier, on notera : du savon, « une brosse et un peigne (pour tous) », « une brosse à dents (pour chacun) », une cuvette, du dentifrice, « un nécessaire à raser », de grandes serviettes. On l’aura compris, nos trois amis font bagage commun, mais brosses à dents séparées.

Dans la liste des accessoires de cuisine, on se gardera bien de noter « réchaud à pétrole » ; une expérience désastreuse antérieure ayant entraîné le bannissement de cet engin. (« Nous avions eu l’impression, cette semaine-là de vivre dans une raffinerie de pétrole. ça suintait ! Jamais rien vu d’aussi suintant que le pétrole ! »)

Lorsque l’on souhaite faire ses bagages de manière rationnelle, on se focalisera sur l’objet-phare qu’est la brosse à dents. « Ma brosse à dents est, en voyage, un sujet d’angoisse qui m’empoisonne la vie. » Celle-ci ne doit pas être mise trop tôt, ni trop au fond du sac, puisque l’on s’en sert le matin du départ avant de partir d’un pas gaillard et le soir de l’arrivée lorsque l’on est bien fourbu. Cette brosse à dents tout comme le savon ou la blague à tabac doit être rangée avec soin de façon à pouvoir la localiser en cas d’urgence. Rien de plus triste que de devoir détruire le bel ordre qui règne dans une valise pour pouvoir la trouver. On évitera, autant faire se peut, de créer « un état voisin du chaos primitif qui précéda la création du monde ». Ne parlons pas de ceux qui, comme George, laissent leur nécessaire à raser tomber au fond du sac. « Nous lui rétorquâmes que, pour ce matin, il devrait laisser les poils de sa barbe en paix, car nous n’allions pas, une fois de plus, rouvrir cette fichue valise, fût-ce pour ses beaux yeux, ou pour qui que ce soit d’ailleurs. »

On trouve de tout chez Jerome K. Jerome ; on trouve même des appels à la nature que ne désavouerait pas une certaine Greta Thunberg. Avant de s’engouffrer dans son canot, Jerome nous encourage à rechercher le contact avec « la jeune et belle (nature) comme elle l’était avant que les siècles perturbés et fébriles eussent ridé sur son beau visage, avant que les péchés et les folies de ses enfants eussent racorni son cœur, aimable comme elle l’était aux jours lointains où, jeune maman, elle nous dorlotait, nous ses petits, contre son sein profond, avant que les séductions d’une civilisation factice nous eussent arrachés à ses tendres bras. » Stop au faux, au clinquant. Besoin de vérité et de sentiments qui sonnent juste !

On trouve également un éloge de la paresse et des gens qui, comme Jerome, savent prendre soin de leur travail et le garder dans un excellent « état de conservation ». « Une partie de celui que j’ai en ce moment chez moi est en ma possession depuis des années et des années, et il n’est souillé d’aucune trace de doigts. »

Juste un mot encore pour dire que nos trois amis sont revenus de cette charmante virée de dix jours avec de « belles mines bronzées » ! Désormais, on le sait, avant de partir en vacances, on révisera ses classiques avec Jerome K. Jerome et on n’oubliera pas d’ajouter à notre valise bien rangée un tube de crème solaire à l’efficacité prouvée !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Jerome J.K. Trois hommes dans un bateau, traduit de l’anglais par Philippe Rouard, Hachette, Bibliothèque verte, 1983, Paris, 254 Pages

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