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L’alcool, l’exhausteur de pénétration qui ne nous laisse pas sèches !

> 22 janvier 2024

L’alcool, l’exhausteur de pénétration qui ne nous laisse pas sèches !

Le rôle de l’alcool (autrement dit de l’éthanol) dans le phénomène de pénétration cutanée d’un certain nombre de principes actifs, comme des corticoïdes,1 des hormones (estradiol) et des analgésiques (fentanyl) est connu depuis de nombreuses années. On sait, en outre, que l’alcool est un solvant fréquemment retrouvé dans les médicaments, les cosmétiques, les dispositifs médicaux et les produits d’entretien,2 associé à toute une cohorte d’actifs et d’additifs. Si ce phénomène de passage transdermique est très étudié dans le domaine pharmaceutique, il est un peu (et même beaucoup) occulté dans le domaine cosmétique, comme si en changeant de domaine d’application l’alcool changeait totalement de personnalité. Cet exhausteur de pénétration dans le domaine du médicament deviendrait-il un ingrédient inerte en matière de passage transdermique des cosmétiques qui en contiennent ? L’incorporation de cet exhausteur va-t-elle dans le sens de la sécurité d’emploi ou pas ? Autant de questions qui demandent réponses !

Mécanisme d’action de cet exhausteur de pénétration

L’alcool agit de différentes manières, en ce qui concerne son effet exhausteur de pénétration cutanée. Il s’insère entre autres dans la bicouche lipidique constitutive de la membrane cellulaire du Stratum corneum et joue également un rôle en matière d’extraction des acides gras libres entrant dans la composition du ciment intercellulaire.3 De cette façon, la membrane plus fluide joue moins bien son rôle de barrière vis-à-vis du phénomène de pénétration qui est ainsi facilité.4 Idem avec l’altération du ciment responsable de la cohésion cellulaire.

Depuis une vingtaine d’années, l’éthanol permet donc à ce titre de réaliser des vésicules, les éthosomes, dont le but est de véhiculer des principes actifs (cas du médicament) ou des actifs (cas des cosmétiques), au travers de la peau, afin de pouvoir atteindre les couches les plus profondes. Ces vésicules sont constituées d’un pourcentage d’alcool compris entre 20 et 45 %.5

On sait également qu’il existe des phénomènes de synergie, lorsque l’on associe plusieurs exhausteurs de pénétration entre eux. C’est le cas, par exemple, en associant de l’alcool et des tensioactifs (comme la N-lauroylsarcosine) ; cette association permet, par exemple, de multiplier par 47 le passage transdermique de fluorescéine au travers de la peau humaine.6 C’est le cas aussi du binôme alcool, menthol.7

Une présence logique dans le cas d’un amincissant

L’alcool est connu comme exhausteur de pénétration. Il a été, en particulier, très étudié dans le domaine des produits amincissants. Il permet, en effet, de favoriser le phénomène de passage transdermique de la caféine, l’actif lipolytique, le plus couramment employé. Le phénomène de perméation cutanée est fortement lié au taux d’alcool dans la préparation testée. On constate ainsi que le flux cutané de caféine est le plus élevé lorsque la teneur en alcool est elle-même plus élevée. Par exemple, le flux de caféine (en solution aqueuse) n’est que de 0,81 microgramme/cm2/h, alors qu’il est de 4,22 microgramme/cm2/h, dans le cas d’une solution éthanolique (à 100 %). Le flux augmente progressivement, marche par marche, pour des concentrations croissantes en éthanol. Par ailleurs, en parallèle, on détecte une réduction de l’impédance cutanée proportionnelle à la concentration en éthanol choisi. Cette réduction de l’impédance témoigne d'une réduction de l’effet barrière de la peau.8

La caféine constitue d’ailleurs une molécule-modèle en ce qui concerne l’étude des ingrédients influençant le phénomène de passage transdermique.9

Précisons enfin, que, contrairement au dicton populaire qui nous indique qu’il est bon de caresser les gens dans le sens du poil, il est intéressant d’appliquer les préparations que l’on souhaite voir pénétrer dans la peau sous forme de massage effectué dans le sens inverse de la pousse du poil et ce, en particulier, dans le cas précis de cosmétiques à base de caféine.10

Une présence logique dans le cas d’un éclaircissant

Afin de pouvoir être efficace, un actif éclaircissant doit pouvoir atteindre sa cible, le mélanocyte puisqu’il s’agit de cette cellule qui synthétise la mélanine, le pigment responsable de la couleur de la peau. L’hydroquinone étant un ingrédient controversé, à juste titre, de nombreux chercheurs se penchent sur ce domaine de recherche, afin de mettre au point des molécules de substitution. Outre sélectionner des molécules-candidates capables de rivaliser avec la molécule dépigmentante de référence (la fameuse hydroquinone), certains chercheurs tentent d’optimiser l’action de ces actifs en favorisant le phénomène de distribution à la cellule-cible. C’est ainsi qu’en 2012, une équipe américaine a mis au point une formule dépigmentante contenant un ingrédient-mystère, se cachant sous le nom de code SMA-012. Les formules les plus efficaces alors testées s’avéraient renfermer 0,1 % de SMA-012, 35 % d’éthanol et présentaient un pH de 8,5.11

Une présence pas forcément toujours logique

On sait, en effet, que l’alcool augmente le phénomène de passage transdermique des esters de l’acide para-hydroxybenzoïque. On sait également que l’alcool est capable de réagir avec cet ester selon une réaction de transestérification, donnant alors naissance à des esters éthylique et propylique.12

On sait également que le phénomène de pénétration cutanée de l’acide salicylique est favorisé lorsque ce conservateur est mis en solution avec différents ingrédients comme des amines, de l’alcool ou du menthol.13

Le but des conservateurs antimicrobiens étant d’assurer la propreté microbiologique du cosmétique et non de se retrouver dans les liquides biologiques, il n’est pas forcément logique d’incorporer de l’alcool dans un cosmétique.

Une présence illogique dans le cas des produits renfermant des filtres UV

L’alcool constitue un exhausteur de pénétration pour certains filtres UV retrouvés dans un grand nombre de produits cosmétiques du commerce (produits de protection solaire, produits d’hygiène, produits de soin ou de maquillage).14 On citera, par exemple, le cas de la benzophénone-3, dont la pénétration cutanée est augmentée lorsque l’excipient qui véhicule ce filtre est composé d’alcool.15,16 Ceci explique pourquoi il est possible de retrouver ce filtre dans de nombreux liquides biologiques comme le lait maternel ou l’urine,17 ce qui n’est, bien sûr, souhaitable ni pour la mère ni pour l’enfant.18

Présenté comme étant un photostabilisateur de certains filtres UV par certains auteurs, cet alcool est incorporé dans les formules pour son caractère solvant, sa capacité à obtenir des formules sprayables, appréciées du public. L’effet photostabilisateur des filtres n’est toutefois pas observé avec tous les filtres UV comme en témoigne une publication de 2021.19

Alors indispensable l’alcool dans les cosmétiques ?

Si sa présence est assez logique dans des cosmétiques comme les bains de bouche,20 elle devient problématique dans le cas des produits contenant des filtres UV, qui doivent rester à la surface de la peau, pour des raisons d’efficacité et de sécurité évidente et non pas se balader dans tous nos liquides biologiques. L’étude du passage cutané des ingrédients est une étude dont on ne peut se passer… Il n’est pas bon de faire l’autruche, même lorsqu’il y a une tempête de sable, car, au final, on en a quand même plein les yeux.

Il serait donc de bon goût de profiter de ce « janvier sec », pour se poser la question de la présence de l’alcool dans beaucoup de produits cosmétiques appliqués quotidiennement. Car, évidemment, l’alcool qui véhicule, selon le cas, un actif cosmétique ou un principe actif médicamenteux, conserve toujours son caractère profond d’exhausteur de pénétration et ce quel que soit le statut du produit considéré.

Bibliographie

1 Polano MK, Ponec M. Dependence of corticosteroid penetration on the vehicle. Arch Dermatol. 1976 May;112(5):675-80

2 Gupta R, Badhe Y, Rai B, Mitragotri S. Molecular mechanism of the skin permeation enhancing effect of ethanol: a molecular dynamics study. RSC Adv. 2020 Mar 24;10(21):12234-12248

3 Guillard EC, Laugel C, Baillet-Guffroy A. Molecular interactions of penetration enhancers within ceramides organization: a FTIR approach. Eur J Pharm Sci. 2009 Feb 15;36(2-3):192-9

4 Cheng S, Zhou K, Wang F, Ye Z, Ye C, Lian C, Shang Y, Liu H. Unraveling the Molecular Mechanisms of Alcohol-Mediated Skin Permeation Enhancement: Insights from Molecular Dynamics Simulations. Langmuir. 2024 Jan 9;40(1):594-603

5 Abu-Huwaij R, Zidan AN. Unlocking the potential of cosmetic dermal delivery with ethosomes: A comprehensive review. J Cosmet Dermatol. 2024 Jan;23(1):17-26

6 Kim YC, Park JH, Ludovice PJ, Prausnitz MR. Synergistic enhancement of skin permeability by N-lauroylsarcosine and ethanol. Int J Pharm. 2008 Mar 20;352(1-2):129-38

7 Kobayashi D, Matsuzawa T, Sugibayashi K, Morimoto Y, Kimura M. Analysis of the combined effect of 1-menthol and ethanol as skin permeation enhancers based on a two-layer skin model. Pharm Res. 1994 Jan;11(1):96-103

8 Sakdiset P, Kitao Y, Todo H, Sugibayashi K. High-Throughput Screening of Potential Skin Penetration-Enhancers Using Stratum Corneum Lipid Liposomes: Preliminary Evaluation for Different Concentrations of Ethanol. J Pharm (Cairo). 2017;2017:7409420

9 Duracher L, Blasco L, Hubaud JC, Vian L, Marti-Mestres G. The influence of alcohol, propylene glycol and 1,2-pentanediol on the permeability of hydrophilic model drug through excised pig skin. Int J Pharm. 2009 Jun 5;374(1-2):39-45

10 Abe A, Suzuki H, Amagai S, Saito M, Itakura S, Todo H, Sugibayashi K. Effect of Rubbing Application on the Skin Permeation of Active Ingredients from Lotion and Cream. Chem Pharm Bull (Tokyo). 2021;69(8):806-810

11 Jain P, Sonti S, Garruto J, Mehta R, Banga AK. Formulation optimization, skin irritation, and efficacy characterization of a novel skin-lightening agent. J Cosmet Dermatol. 2012 Jun;11(2):101-10

12 Fujii M, Ohara R, Matsumi A, Ohura K, Koizumi N, Imai T, Watanabe Y. Effect of alcohol on skin permeation and metabolism of an ester-type prodrug in Yucatan micropig skin. Eur J Pharm Sci. 2017 Nov 15;109:280-287

13 Abu Hena Mostofa Kamal M, Iimura N, Nabekura T, Kitagawa S. Enhanced skin permeation of salicylate by ion-pair formation in non-aqueous vehicle and further enhancement by ethanol and l-menthol. Chem Pharm Bull (Tokyo). 2006 Apr;54(4):481-4

14 Benson HA. Assessment and clinical implications of absorption of sunscreens across skin. Am J Clin Dermatol. 2000 Jul-Aug;1(4):217-24

15 Benson HA, Sarveiya V, Risk S, Roberts MS. Influence of anatomical site and topical formulation on skin penetration of sunscreens. Ther Clin Risk Manag. 2005 Sep;1(3):209-18

16 Jiang R, Benson HA, Cross SE, Roberts MS. In vitro human epidermal and polyethylene membrane penetration and retention of the sunscreen benzophenone-3 from a range of solvents. Pharm Res. 1998 Dec;15(12):1863-8

17 Krause M, Klit A, Blomberg Jensen M, Søeborg T, Frederiksen H, Schlumpf M, Lichtensteiger W, Skakkebaek NE, Drzewiecki KT. Sunscreens: are they beneficial for health? An overview of endocrine disrupting properties of UV-filters. Int J Androl. 2012 Jun;35(3):424-36

18 Wnuk W, Michalska K, Krupa A, Pawlak K. Benzophenone-3, a chemical UV-filter in cosmetics: is it really safe for children and pregnant women? Postepy Dermatol Alergol. 2022 Feb;39(1):26-33

19 Couteau C, Philippe A, Ali A, Bernet M, Lecoq M, Paparis E, Coiffard L. Study of the influence of alcohol on the photostability of four UV filters. Eur Rev Med Pharmacol Sci. 2021 Oct;25(19):6025-6033

20 Un Mouthwash free alcohol january, qu’est-ce que c’est ? | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

 

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