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Januhairy, pour ses adeptes le bonheur est dans le pré !

> 23 janvier 2024

Januhairy, pour ses adeptes le bonheur est dans le pré !

En octobre 1976, un auteur du British Medical Journal consacrait un article entier aux « Jambes poilues », en évoquant les différentes techniques destinées à éliminer les poils jugés superflus. Dépilation, épilation,1 moyens physiques, chimiques, tout était passé en revue, avec application, jusqu’à aboutir à cette conclusion : l’élimination des poils est affaire de « mode ». Selon le cas, on cherchera à les faire disparaitre ou bien, au contraire, on pourra les arborer, avec plus ou moins de remords ou de fierté. Les femmes qui n’éliminent pas leurs poils peuvent alors être classées, en différentes catégories : les indolentes (qui ne veulent pas se lancer dans des techniques longues, coûteuses, douloureuses, astreignantes, fatigantes), les fanatiques de la « nature inchangée » (qui ne veulent pas toucher à cette œuvre d’art qu’est leur corps), les adeptes de la « liberté » (qui ne vont pas s’encombrer de pinces à épiler, de rasoir, d’épilateur et de cosmétiques variés et préfèrent passer leur temps à autre chose qu’à s’époumoner contre des poils, qui reviennent obligatoirement se nicher au creux de leur épiderme à intervalles de temps rapprochés). Qu’en sera-t-il dans 10 ans ? Voilà comment se termine cet article avant-gardiste.2 Quarante-huit ans après cette question… il est possible de tenter une réponse ! La voici ! Car mieux vaut tard que jamais.

Le mois de janvier poilu, une mode qui a déjà 5 ans !

Depuis qu’une étudiante anglaise, Laura Jackson, a proposé, il y a 5 ans, sur son compte Instagram, de vouer le mois de janvier aux poils, afin de pouvoir ensuite choisir librement entre une vie poilue et une vie sans poil,3 chaque début d’année voit fleurir, sur les réseaux sociaux, des aisselles poilues, témoignant de cette liberté retrouvée.4 Les médias s’y mettent aussi, se faisant l’écho d’un certain nombre de femmes ayant retrouvé la liberté vis-à-vis de ce qui est présenté par certaines comme un carcan moderne.5 Les modes d’épilation ou de dépilation étant présentées comme des actes douloureux, ces femmes ne veulent plus souffrir pour être belles. Rasoir, pince à épiler, crème dépilatoire, épilateur électrique sont rangés dans un tiroir fermé à double tour ou même carrément jetés aux ordures…

Un défi, un challenge, qui prend toute sa mesure lorsque l’on peut enfin afficher au bout de 31 jours (ou moins si l’on a commencé dès le mois de décembre) un corps velu à plaisir, photographié sous toutes ses coutures et exposé sur les réseaux sociaux. Et forcément, plus y a de poils à l’écran, plus le défi est relevé… car plus on a été fort dans sa tête !

Le mois de janvier poilu, une mode qui a déjà 80 ans

Depuis qu’une certaine Frida Khalo (1907–1954) s’est représentée, en peinture, dans de multiples autoportraits, sans concession, une fine moustache ornant sa lèvre supérieure et un monosourcil ombrant un beau regard de braise, la mode du poil à gogo a fait des émules qui ont souhaité se mettre dans la roue de cette artiste originale, afin de ne pas pédaler dans la semoule de l’anonymat. Le poil, porté hardiment, sans complexe, devient alors une sorte d’étendard, brandi par toutes celles qui n’ont pas forcément un physique irréprochable et qui tentent de capter le regard de l’autre par un détail atypique. Frida est naturellement velue… mais elle en rajoute encore,6 outrant sa pilosité faciale à l’aide d’un crayon à sourcils de marque Revlon et à l’aide d’une mixture végétale, censée favoriser la pousse du poil. Elle a, en effet, recours, à partir de la Seconde Guerre mondiale, à un produit présenté comme miracle par Danielle Roches, l’infirmière à l’origine de la crème mythique en question (une crème de la marque Talika).7

Le mois de janvier glabre, une mode ancestrale !

Et oui, il est bon de le rappeler : avant d’être poilu, le mois de janvier, comme d’ailleurs, tous les autres mois de l’année, a été un mois « glabre », du moins pour toutes les personnes (hommes et femmes confondus) qui avaient du temps à perdre… ou plutôt du temps pour elles. Les classes dirigeantes se distinguent ainsi de la plèbe, par un corps aussi lisse qu’une boule de billard.

1500 ans avant notre ère, il est déjà question de faire peau lisse et, pour se faire, on pratique l’épilation avec des pinces à épiler ou bien la dépilation à l’aide de préparations très étranges composées d’ingrédients variés comme le sang de divers animaux ou la graisse d’hippopotame. La stibine (sulfure d’antimoine), ajoutée à ces excipients particuliers, est l’actif responsable de la dénaturation chimique du poil.

Egyptiens, Grecs et Romains rivalisent de moyens pour épiler/dépiler leur corps. Par arrachage, par abrasion, par dénaturation chimique, le poil est éliminé à l’aide d’instruments précieux en bronze ou en ivoire ou bien à l’aide de cosmétiques, dont le parfum n’est certainement pas des plus subtils.8

Toute l’année, des mois glabres, une mode made in USA

Aux Etats-Unis, la traque aux poils est, semble-t-il, un sport national. Pas de date précise prévue pour l’ouverture de cette chasse. C’est toute l’année que les plus jeunes s’y adonne, rasoir à la main.

Plus de 50 % des femmes jeunes (tranche d’âge compris entre 18 et 24 ans) admettent éliminer leurs poils pubiens pour des raison esthétiques.9 Une élimination qui n’est pas sans conséquence, comme le constate le corps médical, qui tient un compte précis des accidents survenant dans ces conditions. Les rasoirs sont les outils les plus dangereux (ils sont responsables de 83 % des accidents), puisqu’ils entraînent des lacérations au niveau des organes génitaux externes.10 Les jeunes hommes ne sont pas en reste, puisque 80 % de certains des échantillons présentés dans la littérature avouent éliminer les poils de la région pubienne, de la poitrine, de l’abdomen et du dos.11 Garçons et filles motivent cette chasse aux poils par différentes raisons, le sentiment de « propreté » étant en pole position.12

Un certain nombre de publications scientifiques ont pour objet cette thématique. Et les chercheurs tentent d’établir les profils des personnes s’épilant ou se dépilant. Chez les hommes, il semble que la disparition des poils est à mettre en lien avec la volonté de mettre en avant sa musculature.13

Januhairy, en bref

On connaissait les journées mondiales thématiques, telle la journée du thon, voisinant avec la journée de la liberté de la presse ou bien celle du léopard d’Arabie, combinée avec la journée des Légumineuses, les deux thématiques étant mises à l’honneur le 10 février.14 A ces dates officielles qui nous invitent, une fois l’an, à nous soucier d’un sujet spécifique s’ajoutent des journées ou des mois rendus populaires par des individus isolés. Ceci permet de remplir le calendrier d’une foule d’informations pas toutes indispensables.

En ce mois de janvier, on nous exhorte à laisser nos poils tranquilles (ceux du corps, pas ceux présents au niveau du cuir chevelu), dans le but de respecter notre nature primitive et d’accéder, enfin, à la liberté suprême. A lire les témoignages bouleversants présents sur la toile, on en arriverait presque à penser que cette objurgation relève du domaine religion ou philosophique, tant le mieux-être déclaré semble considérable.

Le bonheur est visiblement, pour certains, dans le pré, et non dans… le gazon épilé !

Sachant que les modes vont et viennent comme les vagues de la marée, attendons encore un peu et l’on nous proposera sans doute bientôt de revenir à une beauté médiévale, en préparant soi-même, avec toutes sortes d’ingrédients ésotériques, des préparations qui font le front haut. Avec un tel front, c’est sûr, on deviendra forcément plus intelligent !

Bibliographie

1 Couteau C., Coiffard L. Chap. 29 – Dépilatoires. En « Actifs et additifs en cosmétologie », Tec & Doc Lavoisier Ed., Paris, 2006, 1051 pages

2 Hairy legs. Br Med J. 1976 Oct 2;2(6039):777

3 https://www.huffingtonpost.fr/life/article/avec-januhairy-elle-invite-les-femmes-a-ne-plus-s-epiler_137885.html

4 https://madame.lefigaro.fr/beaute/januhairy-ou-dire-non-a-lepilation-pendant-un-mois-080119-162956#:~:text=Ce%20mouvement%20anglo%2Dsaxon%20conceptualis%C3%A9,2024%20sur%20les%20r%C3%A9seaux%20sociaux

5 https://www.francebleu.fr/infos/societe/januhairy-j-ai-decide-d-arreter-de-m-epiler-de-me-faire-souffrir-il-faut-etre-en-accord-avec-soi-meme-6137415

6 https://www.vogue.fr/beaute/en-vue/produits-beaute-preferes-frida-kahlo

7 https://www.talika.fr/pages/histoire-de-talika

8 https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2005_num_93_345_5769

9 DeMaria AL, Flores M, Hirth JM, Berenson AB. Complications related to pubic hair removal. Am J Obstet Gynecol. 2014 Jun;210(6):528.e1-5

10 Glass AS, Bagga HS, Tasian GE, Fisher PB, McCulloch CE, Blaschko SD, McAninch JW, Breyer BN. Pubic hair grooming injuries presenting to U.S. emergency departments. Urology. 2012 Dec;80(6):1187-91

11 Basow SA, O'Neil K. Men's body depilation: an exploratory study of United States college students' preferences, attitudes, and practices. Body Image. 2014 Sep;11(4):409-17

12 Butler SM, Smith NK, Collazo E, Caltabiano L, Herbenick D. Pubic hair preferences, reasons for removal, and associated genital symptoms: comparisons between men and women. J Sex Med. 2015 Jan;12(1):48-58

13 Boroughs MS, Thompson JK. Correlates of body depilation: an exploratory study into the health implications of body hair reduction and removal among college-aged men. Am J Mens Health. 2014 May;8(3):217-25

14 https://www.un.org/fr/observances/list-days-weeks

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