> 26 mars 2023
Suétone est un historien du 1er siècle de notre ère, à la production très éclectique, dans la mesure où il s’intéresse tout autant aux hommes de pouvoir qu’aux courtisanes. Dans son œuvre Vies des douze Césars,1 il nous propose une description à la fois physique et moral du grand Jules… César, pour ne pas le nommer. Un portrait au millimètre, au poil près, d’un homme qui souffre d’un manque de poils sur le caillou et qui, pour ce faire, invente la notion de serre-tête végétal. Un homme qui n’a pas de poil dans la main, mais qui chevauche aux côtés de ses hommes et ne fait pas de chichis lorsqu’il s’agit de camper à la dure.
Alors qu’il se rend dans l’île de Rhodes afin de prendre conseil auprès d’Apollonius Molonius, un maître d’éloquence réputé, Jules César est capturé par des pirates qui lui imposent une rançon au prix de sa liberté. Pendant que l’on court s’enquérir de celle-ci, Jules reste paisiblement à attendre (pendant 40 jours tout de même !), soutenu moralement et physiquement par « un médecin et deux valets de chambre » !
Il s’agit, signalons-le d’emblée, d’un fort bel homme. Le « teint clair », le visage « plein », les yeux noirs, pétillants d’intelligence, Jules est doué d’une bonne santé et d’une grande capacité de séduction.
Côté esthétique, ses désidératas sont extrêmement précis. L’homme ne souhaite plus être importuné par un seul poil visible sur l’ensemble de son corps. « Pour tout ce qui est des soins corporels, il n’était pas loin de la manie au point de se faire non seulement tondre et raser minutieusement, mais encore épiler toutes les autres parties du corps, ce que d’aucuns blâmaient […] ».
Pour autant, Jules supporte très mal cette « calvitie » qui vient gâter le bel équilibre de sa face. Il la supporte d’autant plus mal qu’il n’est pas sans connaître les « railleries de ses dénigreurs », qui s’en donnent à cœur joie à ce sujet. Surnommé le « ruffian chauve », il fait l’objet de chansons satiriques, qui conseillent aux maris de garder leurs « dames », lorsque Jules se trouve dans les parages.
Afin de remédier à ce caractère jugé inesthétique, Jules dispose d’une parade infaillible. Et il est aidé en cela par le Sénat et le peuple romain qui l’autorisent à « porter perpétuellement la couronne de laurier » sur son chef. Ni vu ni connu j’t’embrouille. En « ramenant ses rares cheveux au sommet de sa tête » et en les maintenant dans cette position totalement artificielle à l’aide de la précieuse couronne de laurier, Jules réussit à faire illusion et met en place ce que l’on pourrait qualifier de serre-tête végétal.
Jules César est, semble-t-il, un homme de goût qui aime le luxe, les belles esclaves (les mauvaises langues évoquent à son sujet une certaine phobie administrative qui lui fait omettre de déclarer les prix exorbitants payés afin de se procurer des esclaves « d’une beauté parfaite »), les beaux objets, les beaux bijoux, les belles villas… Un client difficile à contenter, si l’on en croit Suétone, qui nous le montre faisant « raser de fond en comble » une villa à peine construite, mais qui n’était pas « absolument à son goût » !
Cet homme est à la fois un homme aimant le luxe et tout ce qui va avec et un homme de terrain qui se soumet au même régime que ses soldats. « Tête nue, au soleil, sous la pluie », Jules parcourt de grandes distances, n’hésitant pas à se jeter, le premier, dans un fleuve bourré d’ennemis, histoire de donner l’exemple. Lorsque le combat est indécis, il renvoie, nous dit-on, les chevaux, afin de ne pas être tenté de s’en servir pour fuir. Un homme de contraste, qui punit les « déserteurs et les séditieux », mais se montre d’une faiblesse touchante vis-à-vis de l’attitude licencieuse de ses soldats, une fois la victoire obtenue. Jules se flattait, en effet, que « ses soldats sussent se battre tout parfumés » !
Transpercé de « ving-huit coups », Jules César meurt, « sans émettre aucune parole », si ce n’est l’hypothétique « Et toi aussi, mon fils », en direction de Brutus. Stoïque dans la douleur. Cet homme qui aimait le luxe, les belles matières, était plein de bon sens en matière esthétique et recettes cosmétiques. Il avait compris qu’aucun produit ne pourrait empêcher la chute de ses cheveux… pas plus l’huile de ricin,2 qu’aucune autre recette-maison.
Merci à Antoine qui nous a signalé ce portrait de Jules César, étudié en classe, en nous disant : « ça devrait vous plaire ! »
Un grand merci aussi à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Suétone, Vies des douze Césars, Bartillat, 2010, 558 pages
2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-huile-de-ricin-ni-castor-ni-filtre-uv-1871/
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