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Veganuary cosmetic 2024, fastoche !

> 24 janvier 2024

Veganuary cosmetic 2024, fastoche !

Les Dry January et Januhairy nous intiment l’ordre d’être sobres respectivement en matière de consommation de boissons alcoolisées1 et en matière de techniques épilatoire et dépilatoire.2 Un mois de janvier qui s’annonce donc susceptible de voir se multiplier les cheveux dans les assiettes de soupe ou les mugs à tisane… ces boissons bien sages, qui nous réchauffent lorsque la température extérieure diminue.

Ajoutons à cette pyramide d’injonctions… une troisième recommandation émanant d’organisations prônant le véganisme,3,4 cette philosophie alimentaire, qui vise à éliminer de nos tables familiales tout aliment issu du règne animal. Forcément, et cela est tout à fait logique, les médias ne restent pas muets devant cette mode qui perdure depuis 10 ans. On nous parle alors des « bons gestes » que l’on doit effectuer,5 afin de se nourrir de manières écologique et responsable. Des « bons gestes », qui ressemblent fort à la « BA » (Bonne Action) pratiquée par les scouts, depuis des décennies. A un détail prêt, la BA devant être effectuée, le plus silencieusement possible, sans alerter les autres membres de la communauté, et bien sûr, sans s’en glorifier sur les réseaux sociaux. A contrario, le bon geste de véganisme doit être réalisé au vu et au su de tout le monde, afin de récolter, au plus vite, les bénéfices liés à une attitude jugée actuellement des plus vertueuses. Dans ces conditions, tout plat exclusivement végétal sera mitraillé comme une starlette hollywoodienne et chaque trognon de pomme abandonné sur un coin de table à la fin d’un repas deviendra une nature morte digne du grand Chardin et exposé sur les réseaux sociaux, afin que tout le monde puisse s’ébaudir du geste courageux qui consiste à croquer dans le fruit défendu !

Quel rapport avec les cosmétiques nous direz-vous ? Eh bien, il existe, dans la mesure où les cosmétiques végans4 représentent une part de marché qui ne cesse de croître. Alors forcément, nous nous sommes posé la question suivante : un Veganuary Cosmetic est-il utile et facile à pratiquer ?

Véganisme et crise sanitaire

Dans une publication datée de 2022, les Coréens Lee et Kvon établissent un lien entre crise sanitaire, e-commerce (qui permet d’acheter sans contact avec d’autres personnes, donc sans risque de contamination) et véganisme, le tout étant joyeusement mêlé dans le cerveau des individus et pouvant être compris de la manière suivante : pour lutter contre les crises sanitaires, revenons à l’essentiel, revenons à la nature, en commandant des cosmétiques qui arriveront dans la boîte aux lettres. Revenons aux aliments qui peuvent prendre place dans nos assiettes et dans nos estomacs ou dans nos salles de bains et sur notre peau. Le concept déjà ancien ressurgit à nouveau !

Durant cette crise COVID qui a secoué le monde, les consommateurs ont eu le temps de réfléchir, de surfer sur la toile et de se poser la question de ce qui est bon (ou pas !) pour leur santé. Ce qui est bon ou, plutôt, ce qui leur semble bon. Un certain nombre d’aliments ou d’ingrédients végétaux ont ainsi pu émerger de cette réflexion collective. Les actifs apaisants sont particulièrement recherchés, tant le port du masque prolongé peut s’avérer avoir des désagréments pour la peau.6 Les extraits de soja, de ginseng, les huiles végétales (d’olive, de pépins de raisins, de soja) constituent autant d’aliments susceptibles d’être retrouvés dans les cosmétiques. Il ne reste plus, alors, selon Lee et Kvon, qu’à se retrousser les manches pour établir le profil cosmétique de ces ingrédients « végans » par nature.7

Véganisme et consommation éthique

L’attrait des consommateurs pour les cosmétiques végans est également mis en évidence par des équipes brésiliennes, qui placent les influenceurs au cœur du processus. Ceux-ci, dotés de nombreux followers, arrivent à façonner les mentalités et en arrivent même à faire consommer des cosmétiques végans à des personnes dont le régime alimentaire n’est absolument pas végétalien ! Il est amusant de constater que même les Brésiliens, dont l’image en matière de beauté et de consommation de produits cosmétiques n’est pas des plus naturelle, se tournent eux-aussi vers des produits considérés comme plus naturels car moins chargés en « produits chimiques ». En 2019, en effet, une étude témoignait du fait que 53 % des Brésiliens interrogés étaient intéressés par les cosmétiques « naturels » ! Et à partir de là, on constate que, dans l’esprit des gens, règne une grande confusion entre « produits naturels », « produits végans » et produits « cruelty free » !8 Le tout est malaxé ensemble jusqu’à obtenir une pâte informe…

Véganisme et cosmétiques végans au secours de certaines carences liées au véganisme

Il arrive que le serpent se morde la queue. On pourrait ainsi imaginer, et certains chercheurs nous donnent des pistes de réflexion à ce sujet, mettre sur le marché des cosmétiques végans contenant des ingrédients permettant de réduire les carences liées à une alimentation végane. Du grand art !

On s’explique… Les régimes végétariens et végétaliens peuvent être à l’origine d’un certain nombre de carences en micronutriments comme par exemple en fer, en zinc, en iode, en vitamine B12 ou D. Selon le statut cosmétique de ces ingrédients, il est envisageable de les incorporer dans des cosmétiques, comme des dentifrices, afin de pouvoir lutter contre ces carences. C’est du moins l’idée qui a germé dans le cerveau de chercheurs allemands, qui se sont empressés de mettre au point un dentifrice enrichi en vitamine B12 et de le tester sur des volontaires. Il semble bien que les résultats obtenus soient satisfaisants, du fait de l’absorption de cette vitamine au niveau de la cavité buccale.9 Que dire de la vitamine B12 dans le domaine cosmétique ? Il s’agit d’un ingrédient connu de l’inventaire européen sous le nom INCI de « cyanocobalamin ».10 Un ingrédient présent dans les viandes, le lait, les œufs, les poissons et crustacés,11,12 mais absent dans le règne végétal, qui pourra toutefois être obtenu par synthèse ou par voie fermentaire, à partir de végétaux, comme le tofu, par exemple,13 ce qui autorisera son incorporation dans un produit végan.

Reste à se pencher sur le statut d’un dentifrice permettant de traiter une carence… pas sûr que ça passe au regard du Règlement (CE) N°1223/2009 !

Végan, clean, naturel, organic, cruelty free, un joyeux mélange

Tous ces mots apposés sur les emballages cosmétiques des produits du monde entier s’entrechoquent dans la tête des professionnels de santé et des consommateurs, qui retiennent, globalement, que ces produits, présentés comme plus sains que les autres, doivent être achetés en priorité. Pourtant tout le monde n’est pas dupe de ces arguments de vente et on a pu trouver en particulier une publication américaine datant de 2022 remettant les pendules à l’heure. Si, dans certains cas, la définition du terme employé est claire et nette (un produit végan, par exemple, ne contient pas d’ingrédient d’origine animale comme la lanoline, le miel, la cire d’abeille, le collagène…) dans d’autres cas les termes employés concernant la « propreté » (le fameux « clean ») ou la naturalité sont plus ambigus et relèvent de notions assez nébuleuses. Les auteurs de la publication soulignent d’ailleurs, à juste titre, qu’un ingrédient peut être tout à fait naturel et, pour autant, engendrer des problèmes de tolérance cutanée. Propolis, limonène et linalol sont ainsi évoqués pour faire la peau à cette idée fausse qui consiste à croire que Dame Nature est une personne généreuse qui ne produit que des ingrédients parfaitement sains, sûrs d’emploi et hautement respectueux de la peau.14 Ce qui est bien sûr totalement faux. En ce qui concerne la notion de « cruelty free », rappelons que cette notion en Europe n’est pas susceptible d’être revendiquée sur un emballage cosmétique, dans la mesure où aucun cosmétique, qu’il le signale ou non, n’est testé sur les animaux.

Et puis la mise en place de tout un commerce

Puisque les produits dérivés d’animaux sont interdits dans le véganisme, il convient de barrer tous les ingrédients de ce type. On remplace ainsi le miel par le sirop d’agave et l’on remplace également les tensioactifs dérivés du miel par des tensioactifs dérivés du sirop d’agave.15 Et il y a encore d’autres exemples du même genre, bien évidemment.

Alors un mois de janvier végan du point de vue cosmétique fastoche… ou pas ? Utile… ou pas ?

Fastoche, oui, car de nombreuses gammes de produits conventionnels (c’est-à-dire des produits non biologiques) sont totalement exempts de produits d’origine animale. Ceux-ci sont d’ailleurs assez peu représentés dans le domaine des ingrédients.

Si toutefois vous souhaitez utiliser un cold crème pour bien passer l’hiver, il vous sera difficile de trouver cosmétique à votre éthique (si vous souhaitez respecter ce veganuary), dans la mesure où la cire d’abeille est le dénominateur commun de la plupart des références du marché !

Enfin, quant au bien-fondé de cette traque de l’ingrédient animal, on précisera qu’il n’existe pas en matière de sécurité d’emploi.

Quant à l’exploitation de l’animal, on attend avec impatience les débats houleux qui ne manqueront pas d’avoir lieu entre les défenseurs de la cause animale et ceux qui souhaitent nous voir ingurgiter des insectes par la bouche et par la peau.

Pour notre part, on clôt ce Regard en vitesse, car on a un bon cold crème16 à base de cire d’abeille à se tartiner sur les mains. Rien de mieux, en cette saison, comme crème-barrière !

Bibliographie

1 Un Dry Cosmetic January, ça vous dit ? | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

2 Januhairy, pour ses adeptes le bonheur n’est pas dans le pré ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

3 https://veganuary.com/fr/

4 Le mirage des cosmétiques véganes, un simple effet d’optique | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

5 https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/somme/amiens/apres-le-dry-january-le-veganuary-pour-passer-au-regime-100-vegan-au-mois-de-janvier-290166

6 La mascné, qu’est-ce que c’est ? | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

7 Lee J, Kwon KH. Good ingredients from foods to vegan cosmetics after COVID-19 pandemic. J Cosmet Dermatol. 2022 Aug;21(8):3190-3199

8 Dos Santos RC, de Brito Silva MJ, da Costa MF, Batista K. Go vegan! digital influence and social media use in the purchase intention of vegan products in the cosmetics industry. Soc Netw Anal Min. 2023;13(1):49

9 Chouraqui JP. Risk Assessment of Micronutrients Deficiency in Vegetarian or Vegan Children: Not So Obvious. Nutrients. 2023 Apr 28;15(9):2129

10 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/33091

11 Niklewicz A, Smith AD, Smith A, Holzer A, Klein A, McCaddon A, Molloy AM, Wolffenbuttel BHR, Nexo E, McNulty H, Refsum H, Gueant JL, Dib MJ, Ward M, Murphy M, Green R, Ahmadi KR, Hannibal L, Warren MJ, Owen PJ; CluB-12. The importance of vitamin B12 for individuals choosing plant-based diets. Eur J Nutr. 2023 Apr;62(3):1551-1559

12 Watanabe F. Vitamin B12 sources and bioavailability. Exp Biol Med (Maywood). 2007 Nov;232(10):1266-74

13 Yu Y, Zhu X, Shen Y, Yao H, Wang P, Ye K, Wang X, Gu Q. Enhancing the vitamin B12 production and growth of Propionibacterium freudenreichii in tofu wastewater via a light-induced vitamin B12 riboswitch. Appl Microbiol Biotechnol. 2015 Dec;99(24):10481-8

14 Urban K, Giesey R, Delost G. A Guide to Informed Skincare: The Meaning of Clean, Natural, Organic, Vegan, and Cruelty-Free. J Drugs Dermatol. 2022 Sep 1;21(9):1012-1013

15 Siebenhaller S, Gentes J, Infantes A, Muhle-Goll C, Kirschhöfer F, Brenner-Weiß G, Ochsenreither K, Syldatk C. Lipase-Catalyzed Synthesis of Sugar Esters in Honey and Agave Syrup. Front Chem. 2018 Feb 12;6:24

16 Cold cream : que contient ce cosmétique à succès ? (theconversation.com)

 

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