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Histoire surréaliste d’un déodorant qui se prend pour un prince charmant !

> 29 août 2021

Histoire surréaliste d’un déodorant qui se prend pour un prince charmant !

Déodat, le fils d’Honorat et d’Enide, est suprêmement laid, mais suprêmement intelligent, aussi. Trémière est tout l’inverse, mode beauté, bêtise.1 Dans la cour de récréation, Déodat se prend une fiente d’oiseau... Pas de bol. Sans rancune, « l’enfienté » deviendra ornithologue et même Docteur ès oiseaux de toutes espèces... Quant à Trémière, elle fera fortune dans le mannequinat, vendant son image au célèbre joaillier Trébuchet, « sa peau d’un éclat particulier », étant un merveilleux argument. Toutefois, avant que nos deux héros ne se rencontrent, il faudra prévoir une petite psychothérapie afin de permettre à Déodat de sortir de son image de déodorant, une image qui lui colle à la peau depuis sa petite enfance.

Déodat, comme un bruit de baignoire qui fait peur

Déodat a, tout d’abord, été un bébé immonde, « repoussant », « horrible », le fruit des amours d’une femme aux portes de la vieillesse (à 48 ans Enide ne pensait vraiment plus être mère), d’une extrême maigreur et d’un cuisinier, Honorat, tout moelleux, tout enrobé d’une belle couche de graisse. Le résultat de cette curieuse alchimie, un nouveau-né ayant à peine forme humaine. En revanche, une finesse, une intelligence, une sensibilité hors pair. Un « sens de l’autre », un « don d’écoute » tout particulier. Dès le berceau, le bébé est tout ouie... Le sentiment d’exister, pour lui, ressemble à s’y méprendre au glou-glou d’une tuyauterie capricieuse. « C’était un son profond qui faisait penser à celui d’une baignoire qui se vide et provoquait en lui une peur de pure délice. »

Déodat, comme une crème pour le change très protectrice

Enide, la maman de Déodat, est une mère souriante et attentive, qui applique, sur les fesses de son nourrisson, « des onguents d’une fraîcheur délicieuse », à chaque change. Cette crème barrière, qui forme un film protecteur entre sa peau et les excréments, mériterait d’être badigeonnée sur l’ensemble de son corps, tant le pauvre enfant va être l’objet d’une hostilité généralisée. Et pire que les rires, les moqueries... la pitié et toutes ces phrases supposées le consoler. « [...] l’époque moderne a sécrété d’atroces pommades verbales, qui, au lieu de soigner, étendent la superficie du mal et font comme une irritation permanente sur la peau de l’infortuné. » Autant soigner une plaie avec une crème surdosée en capsaïcine, ce principe actif étonnant contenu dans le piment !

Déodat, comme un déodorant à la vanille

Confronté à ses semblables (enfin pas tout à fait quand même)... Confronté à une bande de brutes (ceux de l’école maternelle), Déodat découvre la réalité du terrain. Surnom : Déodorant (puis Déo, pour les intimes) ! Le petit bonhomme de 3 ans, peu aguerri aux termes cosmétiques, s’interroge. Qu’est-ce qu’un déodorant ? Sa maman court dans la salle de bain, attrape un stick sur une étagère, fait fonctionner la roulette qui dévoile le savon, moulé à la forme de l’aisselle, lui place sous le nez : « cela sentait la vanille ». Déodat, qui sait déjà lire (il a appris tout seul), se penche sur la composition (« Il lut ce qui était inscrit dessus ») et n’y comprend rien. C’est normal, on a beau être un garçon surdoué, de là à maîtriser la chimie de la formulation à l’âge où l’on fait des pâtés de sable, il y a de la marge. La liste des ingrédients le plonge donc dans un abîme de perplexité... Du charabia, comme dirait certaines personnes qualifiées de nos jours. « Déodorant hyperperformant, 24 heures sans transpirer », disent ses petits camarades de classe, quand Déodat a réussi un exercice difficile. Pauvres idiots, avons-nous envie de dire. Des gamins, gavés de publicités, qui ne savent même pas faire la différence entre un déodorant (un cosmétique qui vient à bout des odeurs corporelles sans modifier le volume de sueur émise) et un anti-transpirant (un cosmétique qui, en bloquant l’élimination de la sueur, permet de maîtriser les odeurs corporelles). Quel gâchis !

Déodat, Déodorant, Déo... Finalement une excellente idée, puisqu’il s’agit d’un cosmétique qui sent bon et qui permet de neutraliser les mauvaises odeurs... Bon, ben, un surnom plutôt bien trouvé, pour désigner un enfant qui fleure le lis et qui évolue dans un univers franchement nauséabond.

Trémière, comme une « poupée de porcelaine »

Trémière, le joli bébé issu du croisement d’un Lierre (le père) et d’une Rose (la mère), est née dans le bruit des jeux vidéo (son père en invente tant et plus) et dans l’agitation des soirées de vernissage d’une galerie d’art (sa mère est une galeriste connue). Confiée de bonne heure à sa grand-mère, Passerose, Trémière a trouvé, dans le château de celle-ci, tout ce qu’il faut pour aiguiser son regard scrutateur. «  [...] sa tête était lisse et blanche comme une fleur de coton. » Son teint parfait est celui d’une charmante « poupée de porcelaine ». Attention : fragile ! Capable de fixer un objet pendant des heures, Trémière est jugée « bête » par la majorité des gens (les intelligents !). « manque de curiosité », voilà ce que l’on peut lire sur son bulletin de notes.

Trémière, comme une peur panique de ce qui est trop beau

ça peut pas durer... semble penser la petite Trémière qui, loin d’être bête, a bien conscience de la labilité des choses. Tout ce qu’elle aime trop... la terrorise. « Quand sa grand-mère la serrait dans ses bras, quand sa mère se maquillait, elle avait peur. » Même sentiment, lorsque Trémière se promène dans une parfumerie. « Si elle regardait certains flacons à l’ovale délicieux, le frisson de plaisir et de peur s’emparait d’elle. »

Passerose, comme une chiromancienne-manucure-gemmologue

La grand-mère de Trémière, Passerose, lit l’avenir dans la paume des mains des rares clients qui franchissent la porte de sa demeure. Peut-être n’est-elle pas chiromancienne, mais bien plutôt manucure,2 à la mode Oscar Wilde ? Cette vieille dame, au visage ravagé, qui a pourtant été fort belle dans sa jeunesse, retrouve, toutes les nuits, son éclat d’antan, en se faisant écrin pour ses bijoux. « Si j’ai conservé mon éclat, c’est grâce à eux. N’est-ce pas que je suis une femme éclatante ? » Parée comme une châsse, Passerose, renvoie la lumière, comme pas une. Son « visage éclatant de splendeur » mériterait d’être exploitée par une société de cosmétiques, mettant sur le marché, des produits anti-âge-éclat du teint ! « La peau ternie par les ans réfléchissait idéalement l’éclat des pierres et des métaux précieux. Rien de tel que la vieillesse pour poudrer le teint d’une femme et lui enlever cet excès qui nimbe les jeunes filles d’une aura naturelle [...] ». Loin de briller par excès de sébum (cet excès responsable d’acné chez le jeune), la vieille dame brille ici d’un éclat métallique. Sa peau, qui ne produit plus assez de sécrétion (c’est la conséquence du vieillissement naturel), trouve, dans les pierres, des alliés de choix pour illuminer un teint qui pâlit peu à peu.

Déo et les filles...

A l’adolescence, contre toute attente, Déodat a du succès. Chaque jour, une nouvelle conquête. Samantha, Séraphita, Soraya, Sultana, Silvana... et même Séréna qui est épousée, en bonne et due forme, devant Monsieur le maire. En quelques heures, la douce fiancée, au langage châtié, se transforme en une véritable mégère, aux tournures de charretier. « En équivalent langagier cela correspond aux bigoudis des épouses d’autrefois une fois mariée, la femme n’hésitait plus à s’exhiber devant son mari la tête couverte des petits rouleaux de plastique rose. Déodat appela cela le bigoudi verbal. »

Trémière et les garçons...

A l’adolescence, Trémière est la plus jolie fille du lycée. « Longue et mince, ses cheveux de miel lui faisaient un vêtement naturel qui allait jusqu’à mi-cuisse ». Son « teint de lait nacré » serait enchanteur s’il n’y avait son regard clair parfaitement... inexpressif. Son unique amoureux, un sinistre Tristan (« les cheveux noirs, le teint pâle, les lèvres vermeilles »), lui fait découvrir la férocité des rapports amoureux. Tout le monde se gausse dans l’établissement de « la belle et la bête » ; une mauvaise langue écrit même, « au savon », « sur le miroir des toilettes », cette méchante comparaison.

Riquet à la houppe, en bref

Rencontre sur un plateau télé ; voilà l’ornithologue à tête de blobfish (ce poisson détenteur du titre mérité d’animal le plus laid du monde), sous le charme de la jolie Trémière. Une coupe de champagne plus tard et voilà nos deux tourtereaux fuyant les studios et s’engouffrant dans un train, en partance pour la seule ville au monde où « les regards brûlent pour eux-mêmes de trop de feux ».3 Les journalistes (ceux de Ouest France en particulier) y sont respectueux des vies intimes et ne viendront pas troubler ce qui ressemble diablement à un conte de fées. Lorsqu’un Déodorant, au chaste parfum de lis, se met en couple avec une jolie fleur, dénuée de parfum (on parle ici de Trémière, ce mannequin qui se refuse à « incarner un parfum »), on ne sait pas trop où l’on va d’un point de vue cosmétique. Peut-être vers ces produits hypoallergéniques, tout public, spécialement adaptés aux peaux sensibles ?

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Nothomb A., Riquet à la houppe, Albin Michel, 2019, 185 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-crime-de-lord-arthur-savile-un-parfum-de-meurtre-au-creux-de-la-main-1740/

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/andre-breton-le-specialiste-de-l-eye-liner-1221/

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