Nos regards
Histoire d’une héroïne grippée et parfumée qui ne quitte pas son lit !

> 28 avril 2024

Histoire d’une héroïne grippée et parfumée qui ne quitte pas son lit !

Dans son roman Le lit défait,1 Françoise Sagan n’éloigne guère son héroïne de la chambre à coucher. L’actrice, mise en lumière, Béatrice Valmont, navigue d’un amant à un autre, en tout égoïsme, laissant sur le carreau ses partenaires abandonnés une fois que le crime a été perpétré. Oui, mais voilà, un jeune amant, Edouard Maligrasse, éconduit il y a 5 ans, revient sur le devant de la scène, après une rupture sanglante. Le timide courtier d’assurances est désormais un écrivain à succès, qui brûle d’amour pour la belle Béa ! Du coup, forcément, Béatrice replonge et… elle risque bien d’y laisser des plumes, voire-même de se bobonniser, au fil des années. On ne lui donne pas 5 ans pour se mettre des bigoudis sur la tête !

Edouard Maligrasse, un homme hâlé

On dispose de peu de détails concernant ce jeune homme de 36 ans, aux cheveux châtains. On sait, tout de même, qu’il dispose d’un beau « grain de peau » et d’un teint mat (il revient d’ailleurs de New-York le teint « hâlé »). Un homme soigneux, BCBG, « bien rasé » !

Edouard, un homme parfumé

C’est du moins ce que souhaiterait Béatrice qui, très possessive, rêve d’attacher Edouard « au pied du lit », lorsqu’elle sort et de « le couvrir de santal en rentrant » !

Edouard, un homme glabre et fleuri

Edouard, dans ce roman, va en connaître de toutes les couleurs. Trompé, bafoué, humilié, il tient bon… tellement bon que certains amis de Béatrice sont pleins d’admiration pour lui. Cet homme-là mérite au moins un bouquet de fleurs. « Crois-moi, il les vaut bien » !

Béatrice Valmont, une femme parfumée

Au sujet de Béatrice, ce qui revient souvent, c’est son « parfum ». Celui-ci est évoqué à six reprises. Un parfum « familier », qui envoûte Edouard, qui aime à s’enfouir dans les vêtements ou les draps qui gardent le souvenir parfumé du passage de Béatrice. Aucun détail technique ne nous est pourtant donné concernant ce mystérieux et addictif parfum.

Béatrice Valmont, une femme bien peignée

Chaque jour, Béatrice peigne longuement ses cheveux (« Plus tard dans la salle de bain, elle se brossait les cheveux rêveusement devant la glace »), tout en réfléchissant à ses amours, à son métier. Un brossage, qui s’effectue devant une glace et qui peut, à l’occasion, permettre de voir se dessiner au coin du visage une « petite ride » naissante. Une petite ride, qui crée de grands tourments, tant la différence d’âge entre Béatrice et Edouard est tourmentante. Bien que n’avouant que 35 ans, Béatrice en a beaucoup plus (on ne saura pas exactement de combien !).

Béatrice Valmont, une femme bien maquillée

Béatrice aime prendre soin d’elle. Elle passe du temps à se « peigner, à se remaquiller ». Françoise Sagan prend plaisir à évoquer « le beau visage maquillé de Béatrice ». « Elle se maquilla et s’habilla très vite, elle fut prête une demi-heure à l’avance. ». Béatrice maquille, également, sa bouche en « rouge ».

Béatrice, une femme soigneusement démaquillée

Chaque soir, Béatrice se démaquille, avec soin, à l’aide de mouchoirs en papier, de marque « Kleenex ». Elle paraît, alors, sans tous ses fards, beaucoup plus jeune, « très jeune », même. Le protocole immuable est le suivant : elle « se démaquille, se déshabille » et s’endort « le bras sur la nuque ».

Dans sa loge, même chose, le maquillage de théâtre ou de cinéma est ôté précautionneusement ou « activement, rageusement », « tout en fulminant », selon l’humeur du moment.

Et puis, il y a des jours où Béatrice envoie balader toutes ses lotions démaquillantes. Elle se met alors à critiquer tous les bons conseils que l’on trouve dans les magazines. « Il ne faut jamais respirer à fond. Ni faire de la gymnastique tous les jours, ni éviter les graisses, ni se démaquiller soigneusement, ça vous tue en 10 jours. Ou en 10 ans ce qui est pire. »

Béatrice, une femme bronzée

Cette brune, à l’aspect « léonin », bronze facilement, comme en témoignent ces vacances dans le sud de la France. Elle y part avec un ex-amant et avec l’amant du jour et s’y fait un amant de passage, le torride Gino ! Incorrigible, on vous dit !

Un séjour qui ravit la séductrice ; elle reviendra à Paris « bronzée », à merveille. Le corps « doré, harmonieux », très en beauté !

Tony d’Albret, une femme intéressée et peu cosmétiquée

L’agent de Béatrice a pris ce pseudonyme, pour masquer une identité jugée trop banale. Le nom de baptême de Tony est, en fait, « Marcelle Lagnon » ! Pas de quoi rêver !

Très efficace dans son métier d’agent artistique, Tony ne consacre que peu de temps à son aspect extérieur. Elle est le plus souvent « mal habillée, mal maquillée » ; elle oublie tout le temps de « se remaquiller ». On peut, toutefois, la voir, parfois, « un rouge à lèvres transparent cernant sa bouche mince, les ongles bien polis, brillants ». Et puis, l’on sent son parfum trainer derrière elle, son « chandail » en est tout imprégné !

Dix pour cent… voilà le tarif ponctionné sur les contrats signés… Ce qui nous permet un petit clin d’œil à la série du même nom, commis par Dominique Besnehard et sa complice Fanny Herrero. On retrouve, en effet, dans cette femme, toujours aux aguets, le genre de personnages recréés dans la série. Une femme qui se donne à fond !

Nicolas Sinclair, un pique-assiette maquillé

Cet ancien amant de Béatrice est resté son meilleur ami. De temps en temps, il repasse à la casserole. A 45 ans, Nicolas vit de l’air du temps, de la charité de ses amis. Une sorte de pique-assiette adorable, que l’on se refile à l’occasion.

Edouard en est, évidemment, jaloux. Il le trouve « trop beau, maquillé de surcroit » !

Jolyet, un amant près à quitter la scène

Ancien amant de Béatrice, évidemment ! Jolyet est ici en phase terminale d’un cancer. Cet état de faiblesse lui permet de renouer avec son ancien amour ; Béatrice lui sera fidèle (pour une fois), jusqu’à la fin, acceptant de venir passer une heure ou deux, chaque soir, à son chevet.

Toutefois, avant d’en arriver à ces extrémités, le trio, formé par Edouard, Béatrice et Jolyet, partira se faire bronzer sous le soleil du « Midi » ! Béatrice est alors complètement ravie de l’invitation : « Ce ne serait pas mal d’être un peu bronzé… »

Et le lit, un personnage central

Edouard et Béatrice y passent de longs moments. « Elle s’allongea près de lui, sur le lit, respira une fois de plus sur les draps le parfum de cet homme mêlé au sien, l’odeur têtue, violente et fade de l’amour physique, et soupira. »

Et un partenaire de théâtre huileux

L’un des partenaires de théâtre de Béatrice, un « jeune premier », est un « pédéraste notoire », « brillantiné » !

Et un photographe champêtre

Sur le tournage d’un film, Béatrice tombe dans les bras d’un photographe, Basil. Leurs épanchements se font dans une grange accueillante, dans « l’odeur des foins blonds ». Béatrice « aimait l’odeur des foins », celle de la coumarine !2

Et des cosmétiques en nombre

Ce roman, éminemment cosmétique, place cette catégorie de produits au centre du sujet du vieillissement. Il semble bien que les fards vieillissent le visage de Béatrice. Pourtant, elle continue de se maquiller comme s’il n’y avait rien d’autre à faire. Un vieillissement, qui lui fait peur, tant elle s’imagine mal « vieille, belle et fardée » !

Et une drôle de vision du couple

Pour une fois, Béatrice aime vraiment quelqu’un de tous ses sens, de tout son esprit, de tout son cœur. D’où une certaine panique, des doutes, des atermoiements…

Béatrice rêve d’un couple uni, au sein duquel chacun serait le témoin de la vie de l’autre. Une vie paisible, durant laquelle l’un et l’autre se brosseraient les dents de concert. Chacun pourrait se limer les ongles de pieds, tout en discutant de choses et d’autres. Tout acte serait réalisé comme une offrande à l’autre (« Si je me lave les cheveux, c’est pour toi. »)

Célibataire, isolée, Béatrice ne souhaite plus revivre cela. « Qui pourra témoigner demain que vous vous êtes lavé les dents ? Et devant qui ? »

Et une odeur de poudre

Béatrice, « son odeur préférée : celle de la poudre » ! Pas de la poudre de riz. De la poudre à canon, celle qui est signe de combat. Béatrice aime le conflit, les embrouilles !

Le lit défait, en bref

Françoise Sagan n’aime pas les gens qui « cachent leurs sentiments comme une maladie de peau » ! Françoise Sagan n’aime pas les mots « traîtres, fardés et médiocres » ! Françoise Sagan n’aime pas le « fisc », qui tombe sur les pauvres gens comme « la foudre ou l’eczéma » ! Françoise Sagan aime les amours passionnées, qui vous transportent vers un monde meilleur, comme une bonne dose « d’héroïne » et n’a que du dégoût pour les amours tièdes, comparables à du « haschisch » éventé ! Françoise Sagan n’aime pas le bacille K672, « ignoré des Chinois, craint des Allemands et dédaigné des Espagnols », qui sévit en cet hiver 1976 et qui provoque, chez Béatrice, une grippe carabinée ! Françoise Sagan aime, en revanche, le cocktail antibiotiques + cognac, destiné à en venir à bout !

A partir d’un roman qui tourne autour d’un lit défait et qui est jugé ennuyeux par certains, il est possible d’en apprendre beaucoup sur celle qui vient border chaque soir les héros de ses romans ! Une grande amoureuse des cosmétiques, qui nous asperge de parfum et nous lance, malicieusement, de la poudre plein les yeux !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Sagan F., Le lit défait, Editions J’ai lu, Flammarion, 1977, 248 pages

La coumarine ou comment chercher un parfum dans une botte de foin | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

Retour aux regards