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Un col de peignoir taché de fond de teint, Sherlock enquête !

> 27 avril 2024

Un col de peignoir taché de fond de teint, Sherlock enquête !

Que faire lorsque l’on vous apprend que vous souffrez d’un cancer au poumon et que vous n’en avez plus que pour 6 mois à vivre ? C’est cette question que nous pose Françoise Sagan dans son roman intitulé Un chagrin de passage !1

Un doux mardi de septembre (le 12 précisément), Matthieu Cazavel apprend, sans ménagement, la nouvelle de sa maladie. Cet architecte, ancien rugbyman de 1 m 92, va tenter de trouver du réconfort, comme un petit enfant, auprès des femmes de sa vie, auprès de son meilleur ami. Sans succès ! « Sans projets, sans futur », « sans désirs », Matthieu se pose la question du suicide. Morphine ou carabine ? Finalement, finalement… on va voir ce qui va se passer. Surprise, surprise !

Matthieu, grand par la taille, petit par le cœur

Un grand gaillard au teint hâlé (« ses bras encore hâlés de l’été »), qui voudrait bien redevenir un petit garçon, lorsque la mort semble lui faire signe ! Retrouver le bras de ses parents, pour y pleurer tout son saoul !

La secrétaire du médecin, une belle plante de belle taille

Matthieu flirte avec la secrétaire de son médecin traitant. Une belle plante, qui fait passer le temps ! Pourtant, lorsqu’il sort du cabinet où il vient d’apprendre la terrible nouvelle, la belle plante est partie… sans l’attendre !

La maîtresse du moment, une belle plante qui fait du mannequinat

Après l’annonce terrible, arrêt dans un petit café. Tournée générale, pour fêter la fin de la bonne santé ! Puis direction l’appartement de Sonia, maîtresse officielle depuis 2 ans. Un mannequin pour une maison de couture, idiote, stupide, égoïste ! Une beauté lisse, sans tache, ni rides… « Il regardait ce beau visage, ces beaux yeux, ce beau nez, cette ravissante bouche, ces dents si blanches. » La perfection esthétique !

Une jeune femme vouée à la beauté ; une jeune femme qui pleure sur elle-même, à l’annonce de la terrible maladie, qui refuse l’idée de tout traitement susceptible d’altérer la beauté de son amant. Sonia ne peut supporter l’idée d’un Matthieu « chauve, tout maigre et tout jaune ». Un amour, qui ne survivra pas à une chute de cheveux et à l’altération d’un teint.

Une jeune femme, qui souffre de migraine à l’annonce de l’acte de condamnation de celui qui est entré dans sa vie 2 ans auparavant… Matthieu, perfide, s’interroge « comment on pouvait souffrir si souvent d’un organe si rarement sollicité » ! Ouh ! La pique… Sonia ne bronche pas, concentrant toute son attention sur les comprimés d’aspirine en train de se dissoudre, lentement, dans l’eau de son verre.

L’ami de toujours, un beau sagouin celui-là

Robert Gaubert est l’ami de toujours. Celui sur lequel on peut compter par beau temps et qui se désagrège aux mauvais jours. « Il avait toujours éprouvé, il s’en rendait compte maintenant, un léger sentiment de supériorité envers Gaubert, mais que leur entrevue du matin avait maquillé en une indifférence sarcastique ou avait, plutôt, démaquillé de toute affection - leurs relations exposées au grand jour, sans voilette et sans indulgence, se montrant dépourvues du moindre intérêt. » Robert est indifférent à la mauvaise nouvelle. Cela ne lui fait ni chaud… ni froid !

La maîtresse d’il y a dix ans, toujours aussi belle… même 10 ans après

Mathilde est l’amour de sa vie. Une femme qui l’a quitté il y a 10 ans ! Une femme qui est prête à lui ouvrir son cœur à nouveau, à jouer les garde-malades auprès de son amour d’antan. Une jolie infirmière pleine de bienveillance !

La secrétaire de toujours, une mère de substitution de toute beauté

A son cabinet d’architecte, Matthieu est materné par Melle Irène Périgny. Une femme, qui lui est entièrement dévouée et qui lui met du baume sur le cœur.

Une histoire de salle de bains de luxe sans problème de fuites d’eau

Jeune homme, Matthieu a rêvé à la construction de palais splendides… des palais magnifiques, « où les salles de bains ne tombaient pas en ruine à la première inondation. »

Une histoire de salle de bains confortables

Matthieu se voit proposer le projet de construction d’un complexe hôtelier en Sologne. Il est question de construire des cabanes, dans un parc immense. Chaque cabane doit être « munie d’une salle de bains » confortable, en lieu et place de douches inconfortables passant du froid au chaud de manière brutale !

Une histoire de salle de bains qui en dit long sur sa propriétaire

Dans la salle de bains de Mathilde, Matthieu découvre « des produits de beauté à la pelle, des fleurs séchées, des serviettes en grosse éponge accrochées un peu partout » ! Il y a aussi un peignoir, avec « une trace de fond de teint sur le col » ; cette trace de fond de teint témoigne, selon Matthieu, de la précarité financière de Mathilde (« et le prix des teinturiers expliquait cette petite tache sur le col de son peignoir »).

Mathilde vit désormais avec un Anglais. Elle s’est rangée ; on ne trouve plus, dans son cabinet de toilette, les peignoirs et brosses à dents surnuméraires d’antan, tous ces objets de toilette, destinés aux amants de passage. Visiblement cet Anglais n’est pas plein aux as… mais il rend, semble-t-il, Mathilde heureuse.

Une histoire de salle de bains, chacun la sienne !

Matthieu et sa femme Hélène font chambre à part ; chacun dispose de sa propre salle de bains ! Hélène y laisse flotter son parfum fétiche, le même depuis toujours.

Et des aubergines !

Françoise Sagan, amoureuse de la langue française, s’amuse, dans ce roman, en observant des « légumes bleus de sexe féminin », en train de mettre des contraventions dans la rue !

Et des parfums variés

A la fin de la journée, Matthieu se délecte de l’odeur « de terre, de pluie, d’air froid », mêlée d’un « peu d’essence et de fumée, l’odeur si spécifique de Paris. ». Cette fragrance déclenche, chez lui, une « nostalgie précoce, un regret déchirant pour sa planète ». Dieu, que tout cela était bon ! Dieu, que tout cela va être difficile à quitter !

Dans sa voiture, Matthieu retrouve son odeur, celle du « tabac » et du « papier ». Sa voiture est le seul endroit qui soit imprégné de son odeur, de sa personnalité. Ce qui n’est, bien sûr, pas le cas de son appartement, totalement aménagé par sa femme Hélène. « L’appartement était à Hélène qui y trônait avec ses fleurs, son parfum, et cette odeur de santal qu’elle mettait partout même sur les lampes. »

Et puis, Matthieu a retrouvé le parfum de Mathilde, « le parfum de jadis ».

Et une drôle d’allergie

En apprenant sa maladie, Matthieu se met à réfléchir à sa vie. De fil en aiguille, il change d’attitude et se sent « prêt au bonheur, allergique à toute destruction » !

Un chagrin de passage, en bref

Le médecin traitant de Matthieu est un incapable qui a confondu deux dossiers. Matthieu est en parfaite santé. Pas l’ombre d’un « carcinome » à l’horizon ! Tout ça, pour ça ! En une journée, Matthieu a fait le tour de sa vie. Côté femmes, il y a des progrès à faire. Matthieu, le séduisant Matthieu, va, sans doute, opter pour la solitude pendant un certain temps. Quitte à rechercher l’amour vrai… plus tard !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Sagan F., Un chagrin de passage, Pocket, Plon/Julliard, 1994

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