> 30 avril 2023
Joseph Day, un jeune homme tourmenté par l’esprit religieux est venu étudier à l’Université.1 Bien décidé à devenir pasteur et à convertir les foules, Joseph souhaite apprendre le grec, afin de pouvoir lire le Nouveau Testament dans le texte. Toutefois, en prenant pension chez Mrs Dare, il met précisément les pieds là où il ne fallait pas. En effet, Mrs Dare est la mère adoptive d’une sorte de bombe sexuelle qui ne sait pas dire non. « Elle se donnerait à un gorille si un gorille lui faisait la cour. » De quoi faire tourner les sangs d’un adepte de la pureté. Un adepte de la pureté qui n’hésite pas à se bagarrer, à donner des coups de ceinture sous le coup de saintes colères destinées à remettre dans le droit chemin les brebis égarées. Tout cela finira mal… On le sent dès le début !
Mrs Dare est la logeuse qui héberge Joseph Day, un drôle de garçon roux, sur lequel tout le monde se retourne. En le voyant, Mrs Dare ressent une certaine répugnance : « Je me demande s’il sent. Les roux sentent très fort quelquefois. Ça je ne le supporterais pas. Je dois reconnaître que d’ici, je ne sens rien. »
Cette Mrs Dare est une femme entre deux âges, « sèche », « les joues plates et frottées de rose. » Joseph est tout autant dégoûté par Mrs Dare, qu’elle de lui ! Il suppose qu’elle se trouve belle « pour se farder de cette façon ». Mais, pour ce qui est de son goût à lui, c’est raté. Vulgaire ! Tout simplement. Avec une forte odeur de péché. Et en plus, Mrs Dare fume comme un homme… Bref, tout ce que l’on peut imaginer de pire !
Un jeune homme roux, à la peau laiteuse, dont la couleur de cheveux étonne. Un jeune homme roux, aux yeux noirs. Des cheveux d’une teinte « bizarre », qui provoquent de la « surprise » et parfois de l’irritation chez ceux qu’il croise. En le voyant, certains imitent la sirène des pompiers, pour bien montrer à quel point ce capillaire est incandescent. De quoi avoir envie de montrer les poings !
A peine arrivé dans sa chambre - en réalité celle de Moïra, la fille adoptive de Mrs Dare - Joseph se met à écrire à ses parents, qui vivent dans l’état voisin. Pour ne pas les affoler, il répugne à leur parler du maquillage de sa logeuse. Du « rouge », dont elle affuble son épiderme ! Et de repenser à la façon dont cette Mrs Dare l’a accueilli et de repenser, à la façon dont il lui a marqué de la froideur, lui le chrétien convaincu, qui rêve que tout le monde soit sauvé. « Sans doute, il aurait pu se montrer plus aimable, mais ce visage fardé lui avait paru horrible. »
Et puis, pour finir, Joseph qui n’a pas grand-chose à raconter à ses parents sur cette première journée de séparation craque. « Il raconta tout le voyage, la conversation avec Mrs Dare dont il décrivit le visage fardé de rouge […] ».
Et à peine installé dans ce nouvel univers, le voilà déjà en conflit. Un certain Bruce Praileau lui cherche noise. Il a trouvé à qui parler ! Le tendre et doux Joseph peut, en effet, se transformer en lion lorsqu’on le titille d’un peu trop près.
Une bagarre, dès le premier soir… de quoi inquiéter Mrs Dare. Celle-ci, même la nuit, reste parfaitement et outrageusement maquillée. « Joseph remarqua que, sous la lumière de la lampe électrique, le fard étalé sur le visage de cette femme paraissait encore plus rouge et plus artificiel que de jour. »
Et de jour en jour, toujours ce fard à joue obsédant et répugnant. Parfois « un peu dépeignée », Mrs Dare est, en revanche, systématiquement « les joues frottées de rouge » !
Bruce Praileau a tout de suite senti que quelque chose ne tournait pas rond chez Joseph. Un teint trop pâle sûrement qui ne revient pas à Bruce, dont le « teint chaud » hésite « entre l’incarnat et le brun. » Deux épidermes qui ne se reconnaissent pas !
L’ami de Joseph, David, est aussi propre intérieurement qu’extérieurement. Toujours aimable, il en est même énervant. « Une odeur de savon et de pâte dentifrice flottait autour de sa personne et ses yeux brillaient de bonne humeur. »
La fille de Mrs Dare est vêtue de rouge « comme la prostituée de l’Apocalypse, les lèvres peintes », d’un rouge « sourd et violent ». Ses yeux « couleur d’eau de mer », sa bouche trop rouge, ses cheveux blonds attirent tous les regards.
A peine Joseph parti, voilà Moïra qui réintègre sa chambre. Et tous ces cosmétiques retrouvent leurs places tout naturellement ! « Son regard hésitant se porta ensuite vers la cheminée où des flacons de parfums et des boîtes de cosmétiques s’alignaient au hasard. Sur la table de travail, un poudrier d’argent était ouvert, laissant voir une houppe ronde et blanche, pareille à un petit nuage. » Une « odeur affreusement douce et grisante », une « odeur de lilas » monte de ses vêtements et imprègne tout sur son passage. Joseph, venu récupérer un chandail oublié, en a le cœur tout retourné.
Julien Green y revient sans cesse : « Ainsi Mrs Dare se fardait » ! Là, franchement, si on n’a pas compris c’est qu’on ne sait pas lire !
Dehors, la nuit est saturée d’un « lourd parfum de chèvrefeuille mêlé à une âcre et fine senteur de feuilles mortes ». Tout simplement obscène !
Et Moïra s’asperge d’un parfum troublant. « Il flotte autour d’elle le lourd parfum qu’on respire dans certaines maisons. »
Pour Joseph, la vie, dans cette petite ville universitaire, est bien différente de celle du village de son enfance. Les tentations sont nombreuses. Le mal rôde partout. Dans ces conditions, Joseph s’impose des bains froids pour reprendre pied ! « Le lendemain, il se leva de bonne heure et courut se plonger dans un bain froid. Tout le monde dormait dans la maison, ; aussi veillait-il à ne faire aucun bruit, à ne pas s’agiter dans l’eau, ni chanter comme il en avait envie, et il savonna en silence son grand corps blanc sur lequel il évitait de poser les yeux. »
La vie chez la trop fardée Mrs Dare est impossible. Joseph, sur les conseils de son ami David - un jeune homme, qui veut être pasteur et coche toutes les cases de la sainteté en puissance – déménage, pour venir s’installer chez Mrs Ferguson, une vieille dame ayant la soixantaine et une tête à faire peur, une sorte de tête de mort, dotée d’une « peau trop blanche », avec des « reflets de cire ». Même là, Joseph est poursuivi par l’image de Mrs Dare, avec « sa bouche peinte et sa cigarette » !
Par défi, Moïra a accepté d’aller passer une nuit dans la chambre de Joseph. « Soudain, le parfum dont elle s’était couverte flotta jusqu’à lui, une très légère odeur de lilas, mais si fine qu’elle se perdait aussitôt dans l’air, il la reconnut pourtant et en éprouva une émotion bizarre faite de plaisir et de l’irritation causée par le plaisir. » Dans la tête de Joseph, c’est l’orage… Moïra est bien plus belle que toutes les femmes qu’il a pu croiser. Elle est bien évidemment plus belle que Goldie, la prostituée de son patelin, plus belle « malgré ce rouge sur sa bouche. » Moïra s’est jurée de faire craquer Joseph… et ça marche… sauf que l’acte à peine accompli, il ne peut plus affronter la réalité. Et de tuer la tentatrice, l’Eve qui lui a fait croquer la pomme. Dans le lit défait, reste une « odeur de chair mêlée à l’odeur de lilas, une odeur vivante, rebelle. »
Que de puritanisme dans cet ouvrage, qui nous montre un jeune homme tourmenté par les choses de la chair et guidé - du moins le croit-il - par les choses de l’esprit. Un beau ratage ! Et la faute à qui ? La faute aux cosmétiques.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Green J., Moïra, Plon, 243 pages
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