> 29 avril 2023
Le comte Roger d’Athol à peine marié… le voilà déjà veuf ! Après 6 mois de bonheur conjugal, après une dernière étreinte, Véra rend le dernier soupir, dans les bras éperdus de son cher et tendre époux.1 Pourtant, au soir des funérailles, alors que la chambre de Véra est encore vibrante de sa présence, Roger est sûr que l’âme de son épouse est toujours enfermée entre ces quatre murs.
Dans la chambre, restent encore tous les objets chers à la jeune défunte. Véra, enfermée à double tour dans le caveau familial, semble, pourtant, encore parfaitement présente dans une chambre où tout parle au féminin. « […] la robe jetée, la veille, sur un fauteuil, sur la cheminée les bijoux, le collier de perles, l’éventail à demi-fermé, les lourds flacons de parfum qu’elle ne respirerait plus. » Tout est là, chaque chose à sa place, dans un joyeux fouillis qui sent la coquette à plein nez. « Les petites mules de velours oriental », « avec leur duvet de cygne », semblent bien attendre les petits pieds charmants qui, chaque soir, venaient se faire caresser par ces garnitures légères. Pourtant ce soir, point de petits petons, mais plutôt les grands panards de Roger qui semble bien décidé à se glisser dans la peau de Véra.
De retour du cimetière, alors que toute la chambre est encore en désordre, Roger sent une présence. Véra est revenue ! « C’est Véra pensa-t-il. » Une veilleuse éclaire la chambre et projette des ombres étranges sur les murs. « C’était la veilleuse, aux senteurs d’encens, d’une iconostase, reliquaire familial de Véra ».
Roger en est sûr maintenant. Véra est dans la pièce, Véra n’est pas morte. La vie peut donc reprendre ; chaque jour, Roger se fait ainsi servir, par son fidèle domestique Raymond, deux couverts ». « Une présence flottait dans l’air […] » ! Le comte Roger est désormais assailli de « pensées féminines ». Le parfum vertigineusement doux de sa bien-aimée » flotte comme un « brouillard fluide » autour de lui. Il semblerait bien que le comte Roger s’asperge du parfum de Véra ; il est, nous dit-on, « tout embaumé d’elle ». Il porte vraisemblablement aussi le collier de perles de la défunte. La preuve en est que, chaque soir, ces perles sont encore tièdes de la chaleur de l’épiderme qui les a portées (« Les perles étaient encore tièdes et leur orient plus adouci comme par la chaleur de sa chair. ») Les perles vivantes conservent tout leur éclat ! Tous les miroirs de la chambre reflètent encore le « lilial visage » de Véra… Sans doute, faut-il comprendre que Roger ne résiste pas à tester le contenu des petits pots de maquillage qui ne manquent pas de se trouver sur le marbre de la coiffeuse de la belle. Du fard blanc pour unifier le teint et arborer une virginale carnation. Du fard blanc pour faire illusion !
Bien que Véra soit morte, Roger continue à la sentir palpiter en lui. « Et ils s’aperçurent, alors, qu’ils n’étaient, réellement, qu’un seul être. » Roger et Véra ne font désormais plus qu’un !
Tout à coup, le doux rêve s’estompe. La veilleuse s’éteint (« la mystique veilleuse de l’iconostase s’éteignit. ») la triste réalité se fait jour. Véra est bien morte… tout comme les perles de son collier…
Pendant 6 mois il semble bien que le Comte Roger d’Athol ait succombé au bonheur d’être une femme, sa femme. Une jeune femme coquette aimant les perles fines, les dentelles, les plumes, les parfums enivrants… Pourtant, comme tout a une fin… Il faut bien se réveiller. Et ce jour-là, Roger se réveille dans la peau de Roger. Véra s’est évanouie… Peut-être ne reste-t-il plus une seule goutte de parfum dans les lourds flacons de la défunte ? Puisque Véra s’est enfuie, puisque Roger veut la retrouver, le plus court chemin est certainement celui qui mène au caveau familial !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et pasticien, pour son illustration du jour.
1 Villiers de L’Isle-Adam, Véra in Véra et autres nouvelles fantastiques, Flammarion, 2002, 112 pages
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