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Histoire d’un bain de pied mémorable !

> 04 décembre 2022

Histoire d’un bain de pied mémorable !

Un train pas comme les autres… celui dans lequel se retrouvent Xavier Dartigelongue et Jean de Mirbel. Le premier est, en passe d’être séminariste. Le second est un débauché. Le premier voit dans chaque individu une brebis perdue, le second voit dans le premier un bon moyen de s’amuser et de dévoyer le futur pasteur… L’un se veut artisan de paix pour époux belliqueux ; l’autre vient de quitter sa femme. L’un est agneau… l’autre de la race des loups.

Une rencontre un 27 septembre 1921. Une rencontre qui va faire mal ! Jean invite Xavier dans son domaine. Ce dernier, persuadé qu’il va pouvoir ramener la paix dans un ménage en guerre, accepte l’invitation ! L’agneau est entré dans l’antre du loup !1

Xavier Dartigelongue, l’agneau qui finira immolé

De santé délicate (il a fait une pleurésie par le passé), Xavier désire entrer au séminaire. Incompris de ses parents qui ne le soutiennent pas, il reste persuadé du bien-fondé de son choix. Sa foi est chevillée à son corps. Et pourtant, ses parents ont tout tenté pour le faire changer d’avis, allant même jusqu’à le pousser dans des soirées pleines de jeunes filles à marier (« la chaleur, et le champagne trop sucré, et l’odeur d’aisselles », pas de quoi détourner Xavier de sa voie).

Dès qu’il aperçoit Jean dans le train… Xavier est persuadé que cet homme a été mis sur sa route pour une bonne raison.

D’un point de vue physique, Xavier a conservé encore la grâce de l’enfance. « Il ne savait pas se raser. Sous la barbe sombre, sa peau était d’un enfant. »

Michèle de Mirbel, la brebis perdue qui oublie de se maquiller

Sur le quai de la gare, Mme de Mirbel est dans tous ses états.

Son bronzage si particulier fait comprendre à Xavier son type d’activité. Cette femme travaille dans un domaine agricole (on apprend rapidement qu’il s’agit du domaine de Larjuzon). « Mais le hâle de son cou trop fort n’était pas celui qui se gagne en quelques jours au bord de la mer. » Xavier l’imagine dans un champ ou dans une vigne, occupée à soigner des cultures. Il observe avec attention « la chair mate de » sa « gorge haletante ».

Plutôt belle femme, Michèle est scrutée par Xavier, qui observe tous ses défauts. Michèle a un « point noir sur l’aile du nez » et une « petite ride à la commissure des lèvres ».

Au fur et à mesure du temps, Michèle s’adoucit au contact de Xavier. Jean se rend bien compte de la transformation qui s’opère. « Il la regarda des pieds à la tête ; elle eut conscience qu’il remarquait les mèches sur la figure sans fard ni poudre. » Et la jalousie est palpable !

Roland, l’orphelin qui joue avec les boîtes à savon

Un jeune garçon, issu de l’Assistance publique, a été pris en charge par Michèle et Jean. Pourtant, pas plus l’un que l’autre n’arrive à le supporter. « J’adore les enfants, dit Michèle. Mais celui-là. Ah ! Non, il n’est pas intéressant. »

Lorsque Roland sera expédié à Dominique (celle-ci suivra Brigitte lorsqu’elle partira), il ne restera plus comme seul souvenir de son passage dans la maison « qu’une vieille boîte à savon dont le couvercle avait été percé de trous pour que les sauterelles puissent respirer. »

Brigitte Pian, la pharisienne à l’odeur de brouillard

Chez le jeune couple, vit Brigitte Pian,2 une femme de 68 ans aux traits austères et à « l’odeur de brouillard » ! Toujours accompagnée de sa jeune secrétaire, Dominique, Brigitte est, ici, comme un cheveu sur la soupe !

Dominique, la secrétaire tentatrice

Dominique tombe bien vite amoureuse de Xavier, à la plus grande joie de Jean, qui voit ici un moyen efficace de troubler l’âme du jeune séminariste.

Il existe une grande complicité entre Dominique (elle-même enfant naturelle) et Roland.

Et lorsque Brigitte claque la porte de la maison, Dominique la suit. On lui enverra plus tard le colis encombrant que constitue Roland

Et dans la bibliothèque

Dans la bibliothèque, règne une « odeur de vieille encre et de livres moisis ».

Et un bain de pied mémorable

Durant le séjour de Xavier au domaine, rien ne va plus. Jean se montre odieux avec Roland, faisant pleuvoir les punitions sur sa tête. Un jour qu’il l’a enfermé dans la bibliothèque, Xavier escalade, de nuit, la façade, afin d’aller rassurer le jeune garçon. S’étant mis en chaussettes, il s’écorche la peau et saigne abondamment. Après s’être assuré que l’enfant va bien, il repart dans sa chambre. Là, il prend un bain de pied. Lorsque la maison se réveille, Michèle suit les traces sanglantes, qui vont de la bibliothèque à la chambre. Elle se met alors à soigner les plaies (« Elle revint portant la bouteille d’eau oxygénée, de l’ouate, des bandes), comme une sœur de charité. « Elle s’était levée, rangeait la chambre, vidait l’eau du bain de pieds, ramassait les serviettes. » Michèle ne s’est pas maquillée, elle est sans artifices, aux pieds de Xavier. « Elle ne s’était pas coiffée, ni n’avait mis de rouge, et elle fut heureuse d’y être indifférente. »

Et une friction à l’eau de Cologne mémorable

Xavier va souvent voir le curé de la paroisse voisine (Baluzac), en vélo. Celui-ci, blasé, lui déconseille la prêtrise.

Alors qu’il rentre, un soir de pluie, au domaine, il est accueilli par Michèle, qui l’attend et le frictionne, maternellement, à l’eau de Cologne. Aux petits soins, Michèle apporte, le voyant trempé, « une bouteille d’eau de Cologne » et des pantoufles bien chaudes. « Il faut vous frictionner à l’alcool… » « L’odeur de l’eau de Cologne l’écœurait un peu. » Et puis, après la friction, un bon sommeil réparateur.

Et puis, lors d’une autre visite au curé, ce sera le drame. Xavier, à vélo, finira sous les roues de Jean, en voiture !

L’agneau, en bref

A la fin du roman, les époux sont réconciliés. La mission que s’était assignée Xavier est réussie. Dans un domaine qui sent la menthe et l’herbe mouillée, François Mauriac plante le décor d’un drame à sa façon. Des êtres torturés et torturants sont réunis en huis clos. Jean se fait bourreau. Xavier se fait victime. Michèle, convertie par la bonté de Xavier, se prend pour Marie-Madeleine. Dans une cocotte-minute de sentiments, François Mauriac ne relâche jamais la pression, tenant ferme son lecteur de la première à la dernière page…

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Mauriac F., L’agneau, Flammarion Ed, 2007, 213 p.

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-eviction-solaire-la-solution-anti-age-de-reference-chere-a-francois-mauriac-1726/

 

 

 

 

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