> 23 avril 2023
Adrien Goetz nous propose une visite poétique de la villa Kérylos,1 située à Beaulieu-sur-Mer, une œuvre rare, propriété de l'Institut de France, classée monument historique, fruit de la collaboration de Théodore Reinach (1860- 1928), un mécène savant, helléniste et d’Emmanuel Pontremoli (1865- 1956), un architecte chercheur,2 aux « doigts très fins » et à la « moustache tombante ».1 « M. Théodore Reinach porte barbiche ». « Sa barbiche est poivre et sel, son front très dégarni. » « C’est un petit homme replet qui apparaît, le visage chiffonné, les yeux cernés comme s’il avait passé plusieurs nuits à étudier et à écrire, qui ne ressemble pas vraiment à une statue. »
« « Le château » va surclasser tous les petits palais qui rivalisent de « riante fantaisie » dans la région, ces villas mauresques, ces Trianons en marbre rose qui ont l’air de salles de bains ». « De même qu’on avait choisi des bois, pour leurs couleurs, leurs parfums, leurs fibres, venus de pays que les Grecs ne connaissaient pas, pour le service de table, on s’était inspiré des potiers coréens. »
« Kérylos, c’est encore un lieu secret, qu’on ne visite pas et où les propriétaires, depuis longtemps, ne donnent plus de fêtes. Elle était, pour moi, quand j’avais vingt ans, une sorte de perfection. Aujourd’hui, je me demande pourquoi je l’ai trouvée si belle. Ce matin, je vois les peintures qui s’écaillent comme un maquillage défraîchi, les rideaux usés, les arbres morts. » « Moi le fils d’une cuisinière qui avait commencé comme bonne et d’un jardinier » des Eiffel. « Je crois que j’avais conscience d’être beau et bien fait, grands yeux noirs et sourire de camelot, mèche plaquée sur le front. »
« J’ai mis mes lunettes de soleil et je me suis allongé sur les mosaïques. »
« La première fois où j’y ai été seul, j’ai pris un bain dans la baignoire du maître de maison : j’étais le berger Pâris qui nargue le roi Ménélas. Je ne voulais pas séduire sa femme, je ne pensais pas à Fanny Reinach en chantant dans la mousse mon air préféré de La Belle Hélène ». Fanny Reinach qui « dissimulait des flacons portant les étiquettes de Coty ou de Guerlain dans des coffrets de santal. » Dans l’escalier, elle « déposait des roses anciennes, et les parfums montaient dans ce vestibule, entre les rideaux, les marbres, les poutres, devant les peintures qui représentaient des navires ».
« A Kérylos, le visiteur respire. » « Cela sent le sel, les draps frais et amidonnés, l’huile d’olive et la résine. »
« Certains jours, je fais un effort, je me rase, je prends dans mon armoire un pantalon fraise écrasée et une chemise blanche : à partir de cinquante ans, à Nice, on n’a rien à perdre à s’habiller en vieux beau. Je m’installe sur un banc, sur la promenade, je prends le soleil en silence, je ferme les yeux. »
« Les filles ne sont pas bien jolies, elles ont tout pris de leur père, vous avez remarqué leurs gros yeux de crapaudes » ?
« Ils se ressemblent. Même taille à peu près, même barbe, même pince-nez. Salomon est le moins chauve, Joseph le plus corpulent, Théodore le seul qui sourit. »
« Ariane avait épousé très jeune un des adjoints de Pontremoli », Grégoire. « Elle était belle. » « Je lui racontai : ce qui nous manqua le plus, au mont Athos, plus que les femmes, qui n’ont pas le droit d’y venir, c’étaient les huiles de bain de Kérylos avec leur parfum d’iris. »
Elle était belle, comme Magui Dreyfus, qui elle aussi, « était très jolie. »
« Pontremoli était malade, il avait attrapé le paludisme, et comme il était de Nice et connaissait bien le climat tonique de la région, il avait passé des journées à se soigner au grand air et au soleil du cap Ferrat, au milieu des pêcheurs. » Un adepte des méthodes de Finsen…3
Luxe suprême : « un bassin octogonal, avec l’arrivée d’eau chaude et la vapeur, les derniers bains antiques construits dans tout l’Occident pour honorer les naïades » ! « Au village, les gens ont longtemps raconté que Théodore s’y baignait nu avec Sarah Bernhardt » ! « La comédienne avait depuis longtemps passé l’âge de barboter avec les membres de l’Institut. » « Ma mère ne trouvait pas très convenable d’installer ainsi un hammam chez soi. Une jeune fille venait du nouvel hôtel Negresco, pour les massages. » Je me suis laissé « pousser dans cette caverne sybaritique – Sybaris n’était-elle pas la ville grecque la plus célèbre au monde pour ses baignoires qui avaient ramolli ses habitants ? » « Après la guerre, le médecin m’avait conseillé de faire des mouvements dans l’eau, pour rééduquer mes jambes. » Après l’héliothérapie, l’aquathérapie…
Et une douche très originale que « Théodore avait dessinée pour Fanny. » « Elle ressemblait à une haute niche creusée pour qu’on y place une statue. Debout sur le caillebotis, qui devenait piédestal, nous prenions des poses de groupes antiques, Pâris et Hélène, Mars et Vénus, Psyché recevant le premier baiser de l’Amour ». « Très moderne, digne des hôtels de Londres, la « cabine » possédait trois jets, avec pour chacun un robinet d’eau froide et un robinet d’eau chaude. Des inscriptions grecques expliquaient tout en lettres de mosaïques. On tournait le jet « Perikulas » et l’eau arrivait en cercle, le robinet marqué « Krounos » donnait une pluie fine, et il y avait enfin « Kataxysma », un mot très rare, qui dans la langue grecque ne désigne qu’une seule chose : la sauce qu’on verse sur la viande. »
« Cette salle de bains du maître de maison avait été baptisée « Nikai », les Victoires, sans doute parce que c’était dans son bain que Théodore avait ses fulgurances les plus invraisemblables. » Il « ratiocinait dans l’eau chaude. » « Les stucs et les mosaïques avaient été particulièrement soignés, c’était plus réussi que dans la salle de bains de Mme Reinach, qui tendait dangereusement vers le style impératrice Joséphine. »
Le narrateur nous offre une visite guidée de la villa Kérylos, célèbre maison de la Côte d’Azur, construite au début du XXe siècle par Théodore Reinach.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Goetz A., Villa Kérylos, Le livre de poche, 2019, 347 pages
2 https://www.persee.fr/doc/keryl_1275-6229_2009_act_20_1_1187
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