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Le camphre, un avenir compromis !

> 24 avril 2023

Le camphre, un avenir compromis !

Le camphre traîne derrière lui tout un passé d’intoxications qui ne fait pas bon ménage avec l’idée d’une utilisation cosmétique.1 On sait que chez les enfants son emploi est contre-indiqué.2 On sait que ses applications cosmétiques sont relativement réduites et très ciblés (adultérant, parfum, plastifiant). Faut-il lui trouver à tout prix d’autres emplois ? C’est la question que nous nous posons aujourd’hui.

Du chaud, du froid, une sorte de douche écossaise !

L'application de camphre sur la peau est considérée, de manière empirique, comme susceptible d’améliorer la circulation sanguine. Une étude japonaise de 2014 réalisée sur un petit échantillon de neuf adultes (moyenne d'âge 37 ± 9,4 ans) permet d’y voir un peu plus clair en la matière. De la vaseline additionnée de 5 %, 10 % et 20 % de camphre (dans ce cas précis la température passe de 33°C à 18°C puis à 43°C)3 ou de 2 % de menthol a été appliquée séparément sur la peau du côté médial d'un avant-bras de chaque sujet. Juste après l'application, le camphre, à chacune des concentrations testées, induit une sensation de froid de manière dose-dépendante. Dans les 10 minutes qui suivent l’application, chaque sujet a signalé que la sensation de froid s'était estompée, pour être ensuité remplacée par une sensation de chaleur. Comme dans le cas du camphre, une sensation de froid a été induite par l'application de vaseline mentholée. En revanche, le menthol n’a induit aucune sensation de chaleur. L'application de camphre ou de menthol induit séparément des augmentations du flux sanguin local dans la peau et les muscles. Les résultats de cette étude montrent que le camphre induit à la fois des sensations de froid et de chaud et améliore la circulation sanguine.4 Ouf, ça valait le coup de subir les montagnes russes du thermomètre ! Mais maintenant, que fait-on de tout cela ? Est-ce que donner chaud, est-ce que faire froid… entre dans les attributions d’un produit cosmétique. On en doute sérieusement.

Du dur qui vire mou, un ajout de plastifiant en somme

Le camphre constitue un plastifiant utilisable pour la formulation des vernis à ongles.5 Il faut bien reconnaître que, concrètement, actuellement, cela devient assez rare.

De l’action de surface, de l’action en profondeur, double action

Comme nous l’avons vu, le camphre est capable de créer une sensation de froid au niveau cutané. Action superficielle, bien perceptible. Par ailleurs, il est identifié comme un exhausteur de pénétration, permettant de favoriser le passage transdermique de certains principes actifs médicamenteux6 ou de certains ingrédients cosmétiques comme la glabridine.7 En association avec le menthol, il est connu comme tel et permet, par exemple, de favoriser le passage cutané de certaines molécules de la famille des salicylés.8 Il faut aussi se souvenir que les huiles essentielles (huiles essentielles de basilic, de lavande, de romarin)9,10 qui en contiennent auront le même effet.11 Important à savoir et à retenir.

Un actif pour les vieux !

C’est du moins ce que nous disent des cultures de fibroblastes dermiques humains et des souris irradiées dans le domaine UV. Dans les deux cas, les effets observés, prolifération des fibroblastes, augmentation de la teneur en collagène, faisaient dire, en 2015, à des chercheurs japonais que le camphre pourrait bien finir estampillé « actif anti-rides » et pourrait, à ce titre, être incorporé dans ce que l’on nomme couramment et pompeusement les cosméceutiques.12,13

Mais pas actif pour les jeunes !

On le sait depuis longtemps, les baumes et les huiles contenant des composés terpéniques, tels que le camphre et le menthol sont potentiellement toxiques et de nombreux rapports d'effets indésirables résultant de leur utilisation chez les nourrissons et les jeunes enfants ont été publiés. Dans certains pays (comme par exemple au Cambodge) ce type de produits est utilisé couramment dans les familles, aussi est-il important, pour les équipes médicales, d’alerter les parents ou futurs parents des risques associés à ce genre de pratique.14

La pommade Vicks VapoRub, une pommade camphrée utilisée pour traiter les rhumes et infections respiratoires, a fait l’objet d’études de pénétration transdermique par une équipe polonaise en 2008. Il apparait clairement que les terpènes contenus dans la formule (dont le camphre) peuvent pénétrer bien au-delà de la couche cornée et se retrouver dans la circulation sanguine.15

On sait, en outre, que le camphre est responsable d’intoxications, d’empoisonnements et ce aussi bien par voie topique que par voie orale ;16,17 il convient donc d’être prudent.

Prudent, en ce qui concerne les produits du commerce et prudent en ce qui concerne les recettes-maisons susceptibles d’être retrouvées sur la toile ou d’être transmises de manière amicale (pas tellement finalement !) de maison en maison. Un cas précis a été publié il y a peu. Il s’agissait de mamans ayant utilisé, pour leurs petites filles âgées respectivement de 2 mois et 6 ans, une recette de soin capillaire à base d’huile d’olive et de camphre. L’application de cette préparation, pendant une heure, avait conduit mères et enfants chez un médecin.18

Un actif irritant

Dans les années 1980, le baume du Tigre, une préparation à base de menthol et de camphre entre autres,19 fait l’objet d’une publication scientifique. Son effet irritant sur les lapins est indéniable.20

Un ingrédient pour textile intelligent, vraiment ?

Dans les années 2000, certaines équipes de chercheurs rêvent de textiles intelligents, au sein desquels on pourrait incorporer des ingrédients actifs comme le menthol ou le camphre. Dans ce cas précis, on ne souhaite pas réaliser une parka ou un pull camphré ou mentholé, mais plutôt une lingette permettant de lutter contre le rhume, le but de ce textile étant d’éviter l’ingestion de camphre par l’enfant.21

Le camphre, en bref

On avait compris que le camphre était un principe actif du passé dont on peut (et même doit) très bien se passer. De la même façon, dans le domaine cosmétique, on regardera cet ingrédient avec prudence et ce en particulier chez les jeunes enfants chez qui il est strictement contre-indiqué.

Bibliographie

1 Le camphre, un glorieux mais tumultueux passé ! | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

2 https://archiveansm.integra.fr/var/ansm_site/storage/original/application/c30b35ff8e76074d02a18529be79d48d.pdf

3 Green BG. Sensory characteristics of camphor. J Invest Dermatol. 1990 May;94(5):662-6

4 Kotaka T, Kimura S, Kashiwayanagi M, Iwamoto J. Camphor induces cold and warm sensations with increases in skin and muscle blood flow in human. Biol Pharm Bull. 2014;37(12):1913-8

5 Masahiro Tokumura, Makiko Seo, Masakazu Makino, Dermal exposure to plasticizers in nail polishes: An alternative major exposure pathway of phosphorus-based compounds, Chemosphere, 226, 316-320, 2019

6 Xie F, Chai JK, Hu Q, Yu YH, Ma L, Liu LY, Zhang XL, Li BL, Zhang DH. Transdermal permeation of drugs with differing lipophilicity: Effect of penetration enhancer camphor. Int J Pharm. 2016 Jun 30;507(1-2):90-101

7 Liu C, Hu J, Sui H, Zhao Q, Zhang X, Wang W. Enhanced skin permeation of glabridin using eutectic mixture-based nanoemulsion. Drug Deliv Transl Res. 2017 Apr;7(2):325-332

8 Yano T, Kanetake T, Saita M, Noda K. Effects of l-menthol and dl-camphor on the penetration and hydrolysis of methyl salicylate in hairless mouse skin. J Pharmacobiodyn. 1991 Dec;14(12):663-9

9 Carrasco A, Martinez-Gutierrez R, Tomas V, Tudela J. Lavandula angustifolia and Lavandula latifolia Essential Oils from Spain: Aromatic Profile and Bioactivities. Planta Med. 2016 Jan;82(1-2):163-70

10 Akbari J, Saeedi M, Farzin D, Morteza-Semnani K, Esmaili Z. Transdermal absorption enhancing effect of the essential oil of Rosmarinus officinalis on percutaneous absorption of Na diclofenac from topical gel. Pharm Biol. 2015;53(10):1442-7

11 Jain R, Aqil M, Ahad A, Ali A, Khar RK. Basil oil is a promising skin penetration enhancer for transdermal delivery of labetolol hydrochloride. Drug Dev Ind Pharm. 2008 Apr;34(4):384-9

12 Tran TA, Ho MT, Song YW, Cho M, Cho SK. Camphor Induces Proliferative and Anti-senescence Activities in Human Primary Dermal Fibroblasts and Inhibits UV-Induced Wrinkle Formation in Mouse Skin. Phytother Res. 2015 Dec;29(12):1917-25

13 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/les-cosmeceutiques-ou-les-dermocosmetiques-made-in-us-150/

14 Bazzano AN, Var C, Grossman F, Oberhelman RA. Use of Camphor and Essential Oil Balms for Infants in Cambodia. J Trop Pediatr. 2017 Feb;63(1):65-69

15 Cal K, Sopala M. Ex vivo skin absorption of terpenes from Vicks VapoRub ointment. Med Sci Monit. 2008 Aug;14(8):PI19-23

16 Manoguerra AS, Erdman AR, Wax PM, Nelson LS, Caravati EM, Cobaugh DJ, Chyka PA, Olson KR, Booze LL, Woolf AD, Keyes DC, Christianson G, Scharman EJ, Troutman WG; American Association of Poison Control Centers. Camphor Poisoning: an evidence-based practice guideline for out-of-hospital management. Clin Toxicol (Phila). 2006;44(4):357-70

17 Khine H, Weiss D, Graber N, Hoffman RS, Esteban-Cruciani N, Avner JR. A cluster of children with seizures caused by camphor poisoning. Pediatrics. 2009 May;123(5):1269-72

18 Nchinech N, Elgharbi A, Aglili FZ, Kriouile Y, Cherrah Y, Mdaghri AA, Serragui S. Mésusage traditionnel du camphre: un danger oublié pour les enfants (à propos de 2 cas). Pan Afr Med J. 2019 Feb 26;32:89

19 Le Baume du tigre, un produit qui ne sait pas trop qui il est, ni où il habite… | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

20 Guppy L, Lowes NR, Walker MJ. Effect of a proprietary rubefacient "Tiger Balm" on rabbit skin. Food Chem Toxicol. 1982 Feb;20(1):89-93

21 Wienforth F, Landrock A, Schindler C, Siegert J, Kirch W. Smart textiles: a new drug delivery system for symptomatic treatment of a common cold. J Clin Pharmacol. 2007 May;47(5):653-9

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