Nos regards
Et si Pétain avait rejoint Alger…

> 16 juillet 2023

Et si Pétain avait rejoint Alger…

Jean-Marie Rouart nous propose avec Ils voyagèrent vers des pays perdus, un roman un peu foldingue qui démarre avec cette étrange nouvelle selon laquelle Pétain a rejoint Alger !1 Le lecteur est embarqué à la suite du Général de Gaulle, qui décide de quitter Londres, accompagné de quelques fidèles et de jolies femmes, dans une folle équipée qui va nous mener jusqu’au Népal ! Faisons donc connaissance avec toute cette série de personnages… vrais et imaginaires !

Le commandant Le Gloarec

C’est à lui que revient la lourde charge de diriger le Destiny, un navire plus vraiment bon à la navigation mais destiné, dans le cas présent, à embarquer tout ce joli monde ! Quand il tortillait « sa moustache », on pouvait être certain « qu’il se remuait les méninges » !

Le lieutenant Stanislas de Pontchartrain

C’« était un beau garçon brun, enthousiaste, connu pour son idolâtrie envers le Général ». Il est aussi (!) fort amoureux de Léa, « sa fiancée, une jolie actrice américaine ».

A la fois secrétaire et chauffeur, il a le privilège de conduire la Bentley, cette magnifique voiture au « tableau de bord en acajou de Macassar », qui « exhalait un parfum de cuir de Russie ».

Le diplomate et « frétillant directeur de cabinet »

Gaston Palewski est un diplomate très cosmétiqué. Il est « poudré, talqué à la poudre Yardley, vaporisé à l’eau de lavande éponyme ». Il est un peu inquiet des « traits tirés de son visage »… surtout quand il s’agit de rejoindre sa maîtresse, « la romancière Nancy Mitford ».

L’écrivain opiomane

Jeff Kessel « était un grand connaisseur de la tige de bambou », au grand désespoir de son neveu, Maurice Druon, « beau et blond comme un jeune dieu grec ». Jeff, quant à lui, a le « visage buriné où les rides traçaient autant de petites rivières que sur une carte d’état-major, rides qui semblaient avoir eu chacune son histoire dans son parcours grandiose et malheureux ».

Les jolies femmes de l’expédition

Il y a tout d’abord, Stefania, une « blonde, d’un blond cendré ». Elle est très belle (elle tient cela de sa mère, la princesse Sablonski, « une très belle femme aux paupières bleu clair »). Elle doit se parfumer à la coumarine,2 car Stanislas « sentait dans ses cheveux une odeur de foin coupé ».

Il y a aussi lady Lyndon, « une superbe jeune femme blonde ». Décidément, peu de variété dans les teintes capillaires !

Il y a surtout Mouna, « la belle Kirghize », placée là comme espionne au service des Soviétiques.

Quelques comparses qui ne seront pas de l’expédition

Tel sir Antony Pal, « au teint brûlé comme s’il sortait de l’hôpital, après avoir été ébouillanté par l’explosion de sa bouilloire électrique ». Ou encore ce « chauffeur roux, d’origine galloise, dont la mère était irlandaise »… on s’en serait un peu douté ! Le jour où l’on fait sa connaissance, « il était fin cuit. D’ailleurs, son visage avait pris la teinte ardente de sa chevelure. » Tout comme « la chevelure de flamme » de la compagne d’une nuit de Jeff… On croise aussi « la fameuse baronne Moura Budberg », « une très belle femme, au physique typiquement russe, les hautes pommettes, le fier regard bleu acier avec des lueurs violettes ».

On pénètre dans la maison désertée de Tolstoï, « le barine à la barbe hirsute ». « L’unique gardien de la maison, vieil homme aux yeux délavés, à la barbe en broussaille, semblait appartenir à ce lieu depuis toujours. »

On fait la fête avec une communauté tzigane, hypnotisé par « une grande belle rousse aux yeux verts ».

Des odeurs diverses et variées

Il y a « l’odeur suave et entêtante d’un régime de bananes ».

Il y a aussi cet amant de passage, sur un bateau, pour Léa qui sent les « œufs pourris » ; elle sera contrainte de prendre « une longue douche brûlante en se frottant rageusement le corps au gant de crin sans parvenir à dissiper l’entêtante odeur ». Et au sortir de sa cabine, pas de chance de trouver dans le couloir « une forte odeur de mazout et de cuir brûlé. »

On aime « l’odeur d’un gâteau chaud, à peine sorti du four » et ses « effluves paisibles et maternels ». Comme Léa et lady Lyndon, à Samarcande, on s’enivrera du « parfum de ces ruelles si vivantes qui sentaient l’huile, le benjoin et le cumin. » Par la ville régnait « un climat voluptueux parfumé par les jasmins en fleur ».

On apprécie beaucoup moins « l’odeur de gaz naturel qui flottait sur la ville » d’Orenbourg, une ville à la frontière de l’Europe et de l’Asie, sur le fleuve Oural ! On déteste franchement « l’odeur de la viande grillée que chassait à peine la fumée parfumée des cigarettes Pall Mall » !

Un certain esprit de rébellion

Au bout du compte (ou du conte !), « on se plaignait de tout : de l’absence de courrier, du manque d’hygiène et, surtout, du déficit d’informations sur le but de ce satané voyage. » C’est certain que c’est toujours mieux de savoir où l’on va… même si l’on accompagne un général… et quel général ! Ce dernier finira seul le périple, aux confins de la Russie, dans un monastère, dans l’« odeur doucereuse que diffusait un brûle-parfum en bronze. Il lui semblait que les effluves qui en émanaient étaient de plus en plus forts et opiacés. » Il croit même se retrouver face à Pétain, « fleurant l’eau de Cologne, la moustache neigeuse immaculée ». Réveillez-vous mon Général !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Rouart J.-M., Ils voyagèrent vers des pays perdus, Albin Michel Ed., Paris, 2021, 325 pages

2 La coumarine ou comment chercher un parfum dans une botte de foin | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

Retour aux regards