Nos regards
Emile Zola, un petit peu pédiophobe sur les bords ?

> 25 décembre 2021

Emile Zola, un petit peu pédiophobe sur les bords ?

Poupées anti-soucis1 ou anti-tracas2 pour s’endormir paisiblement le soir ou tout simplement voir la vie du bon côté, poupée éducative, afin de s’entraîner à être parent et à prendre soin de son nourrisson en tout lieu sauf la salle de bain (« Attention, ne plongez pas la poupée dans un récipient d’eau, cela pourrait engendrer des dégâts irréversibles, car l’eau restera à l’intérieur de la poupée »),3 poupée mannequin pour se projeter dans l’avenir et mimer les attitudes et activités des grandes personnes (le coffret Barbie au spa à ce sujet est à ne pas manquer, avec son kit constitué d’un marqueur permettant de simuler des imperfections cutanées et la pâte à modeler permettant de mettre au point des masques de beauté à la redoutable efficacité),4 poupon à materner, cajoler, embrasser...5 les poupées sont de toutes les tailles et réalisées en toutes sortes matériaux. Il existe des collectionneurs de poupées qui les aiment à la folie ; il y a aussi des personnes qui souffrent de pédiophobie, c’est-à-dire d’une peur incontrôlable des poupées.6

Au jeu du « j’aime », « j’aime pas »,7 il est utile de connaître les goûts de ses compagnons. J’aime ou j’aime pas, les poupées ? Si vous jouez avec Emile Zola, la réponse est NON et puisque l’on dispose d’un peu de temps, on vous en dira un peu plus sur le sujet.

C’est dans le journal La cloche du 18 avril 1870 qu’Emile Zola nous fait part de son aversion pour la poupée Catherine, offerte à une petite fille de ses amis, nommée Rose.8

Catherine, une « femme faite » disposant d’un cabinet de toilette bien garni

Catherine, la poupée de Rose, n’est pas un poupon dont on doit s’occuper maternellement. Catherine est une « femme faite » et, disons-le honnêtement, plutôt bien faite. Des « formes souples et arrondies », des « hanches », de « la gorge », de belles jambes, de beaux yeux, des dents splendides... Catherine est une séductrice, qui possède un trousseau parfaitement bien monté. Comme toute femme de la meilleure société, Catherine dispose de toutes sortes de vêtements, adaptés à chaque moment de la journée. Des tenues estivales, pour la pratique des bains de mer, sont également renfermées dans la malle qui lui tient lieu de commode. Catherine n’est pas venue les mains vides chez Rose, elle a emménagé avec tout un petit mobilier - charmant du reste - allant de la chambre au cabinet de toilette, en passant par le salon où l’on reçoit les amis, autour d’une bonne tasse de thé. Le cabinet de toilette mérite le détour, tant il est la copie conforme de la réalité. C’est une « merveille » ; les meubles regorgent de tout l’arsenal d’ustensiles nécessaires à la beauté féminine. Les cosmétiques (« boîtes à poudres de riz, fard, teinture pour les lèvres, etc, etc. ») ne sont pas oubliés.

Catherine, une femme « faite » qui change de toilette toute la journée

La journée de Catherine - et donc de Rose - commence immuablement par une mise en beauté, devant la psyché en modèle réduit. « C’est l’instant solennel de la journée ». Rose, qui n’a pas ses yeux dans sa poche connaît, par cœur, la routine - cosmétique de sa mère. Il est donc logique qu’elle la réalise avec soin, de mémoire, sur sa poupée chérie. « Elle la frotte de poudre de riz, de fards, d’onguents ; elle crêpe ses faux cheveux, les natte, les dispose d’une galante façon. » La texture de ces cosmétiques semble être au goût de Rose, tant cette jeune demoiselle semble prendre de plaisir à « fourrer ses doigts dans la pommade » ! Après l’étape « soin esthétique », l’étape habillage. Une tenue pour le matin, une autre pour le déjeuner, une autre encore pour la promenade et une dernière pour la soirée. Le travail est tel que Rose a dû s’adjoindre les services d’une femme de chambre... une seconde poupée, cela va sans dire !

Catherine, une poupée qu’il faudrait brûler

Lorsqu’Emile Zola regarde la petite Rose s’occuper de Catherine, la colère le prend... Envie de faire un « beau feu de joie » avec cette poupée mannequin et tout son attirail. Les parents de Rose lui ont offert une « marionnette mondaine », dont la tête en cire est désespérément creuse. Une jolie tête, un beau corps, une poupée parfaite pour enseigner à une jeune enfant « la frivolité vide et lâche », le « vice mondain ». Dommage, Rose vaut mieux que cela.

Et le grand responsable dans tout cela ?

L’empire qui « a perverti jusqu’aux poupées de nos enfants ».

Catherine, en bref

Alors, pédiophobe, Emile Zola ? Non, pas vraiment. Une poupée, pourquoi pas ? Mais pas n’importe laquelle. Pas une poupée qui joue les grandes dames, qui passe des heures dans son cabinet de toilette et se parfume comme une lorette. Une poupée molle, en revanche, « bourrée de son », sans formes précises, ni bouche garnie de dents, une poupée, dont le regard intelligent ne manquera pas de dire à l’enfant qui s’occupera d’elle : « Je suis ta fille. Tu m’habilles de ton travail, tu apprends à être honnête femme, à être mère. » Une poupée éducative, quoi !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ce collage à partir de cette poupée qui nous est si chère !

Bibliographie

1 https://www.sensitiveetfils.com/fr/product/accessoires/porte+cles%2C+grigris/pousou,poupees-anti-soucis-thailande.html

2 https://www.idkids.fr/kids-mag/jeux-et-activites/do-it-yourself/bricolage-et-decoupage/diy-fabriquer-des-poupees-anti-tracas-avec-ses-enfants

3 https://www.girodmedical.com/poupee-bebe-fille-ba78-erler-zimmer.html

4 https://play.barbie.com/fr-fr/shop/productdetail?id=10039377&ProductName=Barbie-Coffret-Journ%C3%A9e-au-Spa&Category=collection&SubCategory=Fashionistas&SeoName=Fashionistas

5 https://www.corolle.com/c-poupons-412/

6 https://www.rtbf.be/tv/article/detail_voici-la-raison-pour-laquelle-les-poupees-vous-font-peur?id=10282292

7 https://izeedor.fr/jeux-activites/pour-jouer-en-car-train/j-aime-j-aime-pas/

8 Zola E., Catherine in Contes et nouvelles I (1864 - 1874), GF Flammarion, Paris, 2008, 264 pages

Retour aux regards