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De l’eau de bleuet pour soigner ses yeux !

> 07 mai 2023

De l’eau de bleuet pour soigner ses yeux !

Les vacances de Pâques auront lieu à Cransac cette année… du moins pour Michel et Alice, un couple uni pour le meilleur et pour le pire depuis 10 ans !1 Dans la propriété, Michel s’abandonne « au bain de l’ombre fraîche », après une journée ensoleillée. Le tour du domaine avec le régisseur Chevestre n’a été que sources d’ennuis, des travaux à effectuer, des dettes en prévision… Bref, le chaos… Et pourtant, il y a des odeurs de « catalpa », d’aubépine rouge, d’églantine, de seringa et de cytise. Des vacances qui commencent bien tout de même… Qui commencent bien, mais finiront mal, très mal, même !

Michel, une rangée de dents soignées

Michel est un homme séduisant aux « dents soignées », aux « yeux couleur de tabac », avec une petite barbe très courte à l’espagnole. Elle semble « comme peinte sur sa peau » ! Le parfum de Michel est un parfum qualifié par Alice de « brun clair ». Il est, semble-t-il, dans les mêmes tonalités que le pyjama de couleur tabac qui lui sert au moment des vacances.

Michel, un teint brouillé

Lorsqu’Alice aura dévoilé à Michel son infidélité, le teint de celui-ci se brouillera subitement. « Il a l’air grimé », pense Alice, en regardant, avec pitié, l’épiderme de Michel, ployer sous ce coup du sort ! Michel en tombe malade. Fiévreux, au point d’absorber un gramme d’aspirine. « Un gramme, c’est beaucoup » pense Alice, tout à coup ! Pas de quoi s’inquiéter tout de même.

Michel, une mémoire abîmée

Maintenant que Michel a eu connaissance des lettres de l’amant d’Alice, difficile pour lui de s’ôter, de la tête, les mots de l’autre (cet amant qui n’est autre que son propre associé). Les expressions crues, parlantes ne veulent plus sortir de sa mémoire. « Qu’est-ce qu’il y a de pire que de ne pas avoir de doutes ? Et puis qu’elle s’avise d’ôter sa robe devant moi, de me tourner le dos pour enjamber le bord de la baignoire, de se mettre à quatre pattes pour chercher sa bague ou son bâton de rouge, de… » Toutes les saletés lues dans les lettres vont désormais faire partie de son quotidien. Comment faire, maintenant, pour aborder avec sérénité tous ces gestes qui ramènent illico à la prose fleurie d’Ambrogio ?

Alice, une coiffure immuable

Alice est une jeune femme séduisante, dont la coiffure « immuable » est « lisse et excentrique ». « La frange épaisse » et longue flirte avec les sourcils.

Alice, un maquillage discret

Alice est une jeune femme dont le visage est « peu fardé ». Les produits de maquillage, elle les utilise, au quotidien, avec parcimonie. Un peu de rouge à lèvres (« la bouche à peine rougie »). Un peu de parfum (Michel hume avec délice son « parfum familier »).

Alice, une sueur parfumée au santal

Lorsque Michel se met à loucher vers le contenu du sous-main violet qui contient les lettres d’amour qu’Ambrogio a envoyées à Alice, à la suite d’une courte aventure qui n’a duré que quelques semaines, il sent une odeur étrange. L’odeur de la peur qui transpire par tous les pores de la peau de sa femme (« la sueur arrachée cruellement aux pores par la peur, par l’angoisse, l’odeur qui caricaturait le parfum du santal, du buis échauffé, le parfum réservé aux heures de l’amour et aux longs jours du plein été. »)

Alice, une embeurrée cosmétique, suite à une crise de larmes

Et forcément, lorsque Michel comprend son infortune, il y a des cris, des larmes, des cosmétiques qui volent, qui coulent… Et Michel qui ne veut surtout pas que Maria, la bonne de la maison, ait connaissance de ses déboires conjugaux, insiste sur l’importance d’user d’une bonne poudre de riz : « Remets-toi de la poudre… Tu as du noir, là, sous l’œil. Non, pas avec ton doigt, tu l’étales… Fais attention, bon dieu. »

Alice s’est « poudrée d’une main distraite »… Son « nez trop blanc, sa bouche trop rouge » témoignent de sa distraction, lors d’une séance de maquillage forcée. Surtout donner le change, pense Michel.

Alice, un peu d’eau de bleuet pour calmer les yeux

Et puis, il y a une trêve entre Alice et Michel. Une petite balade à Cransac. Une petite balade, qui ramène Michel au cœur de ses préoccupations. La « pharmacienne a proposé à Alice de l’eau de bleuet pour les bains de paupières »… Visiblement, tout le monde est au courant des scènes de ménage qui secouent le couple en vacances.

Alice, un parfum léger

Lorsqu’elle ne sent pas le santal adultéré, Alice dégage un « parfum faible », mais qui dure longtemps… Dans son lit (Michel et Alice dorment dans des lits jumeaux), couchée en chien de fusil, le corps d’Alice parle à Michel un langage familier… Ce corps est tout « baigné dans sa zone de parfum faible » !

Maria, un épiderme qui voudrait dire « Stop »

Maria, la femme de ménage du couple, ne perd pas une miette du drame qui se joue sous ses yeux. Les affaires de cœur, elle s’y connaît, Maria, la femme violentée par un mari balourd ! A l’aide d’un tisonnier, l’homme lui brûle la peau, histoire d’affirmer sa virilité. Et Maria de s’en enorgueillir ! Même pas mal… ou si peu. Une brûlure, qui joue le rôle de trait d’union entre Alice et MariaAlice (solidarité féminine oblige !) attrape le bras de sa servante, y appose un « liniment épatant » (bien mieux que du beurre) et protège le tout par un beau pansement.

Et un ménage de printemps, à fond, à fond !

Alice, à peine arrivée dans sa résidence secondaire, se met tout de suite à astiquer la salle de bain. Ce n’est pas Maria, la femme de ménage, qui s’en occupera comme il faut. Aussi, lorsque Michel propose de se laver les mains (« On se lave les mains. »), Alice pose-t-elle ses conditions : « Oui, mais dans la cuisine. Tout est propre dans le cabinet de toilette, je te défends d’y entrer. J’ai même fait les nickels. »

Et des traces de rouge à lèvres sur le bord d’un verre

Alice est partout dans la maison de Cransac. Il y a son parfum léger, qui flotte dans l’air. Il y a « un arc de fard rouge », « au bord d’un verre », qui rappelle qu’Alice y a trempé les lèvres… Difficile pour Michel de bouder efficacement.

Duo, en bref

Difficile de survivre à l’infidélité… Tout est clair maintenant pour Michel, qui ne voit plus qu’une seule issue à son mal-être profond : la rivière qui coule en bas du jardin. Une maladresse et hop… voilà Michel débarrassé des fantômes inquiétants qui peuplent son cerveau. C’est désormais au tour d’Alice de devoir lutter contre un fantôme bien encombrant. Et pas sûr qu’un peu d’eau de bleuet soit suffisant pour effacer toute trace de larmes !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Colette, Duo, Le livre de Poche, Frenczi, 1955, 179 pages

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