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Comme une odeur médicale qui colle à la peau !

> 30 juillet 2023

Comme une odeur médicale qui colle à la peau !

Dans La consultation, 4e opus de la saga des Thibault,1 Roger Martin du Gard entraîne le lecteur dans le sillage d’Antoine Thibault, l’aîné des frères Thibault. Il a maintenant 32 ans et jouit d’une bonne réputation en tant que médecin.

A peine reçue à l’Ecole Normale, Jacques, le cadet, prend, quant à lui, la poudre d’escampette, sans raison apparente. Disparu, volatilisé, il ne reste plus au narrateur qu’à se concentrer sur celui qui reste, à savoir Antoine, médecin de profession. Et le voilà qui nous guide de la chambre de M. Thibault au berceau d’un bébé agonisant.

Un cabinet de consultation sur-mesure

Antoine a réussi à louer l’appartement du rez-de-chaussée de l’immeuble voisin. En réunissant ce dernier à celui qu’il a occupé dans l’immeuble paternel, durant quelques années, Antoine a réussi à se constituer un beau cabinet de consultations, équipé d’un « laboratoire », résultat de la transformation de l’ancienne « salle de bains ».

Pour traiter un phlegmon

Un petit voisin pauvre souffre d’un phlegmonAntoine y donne un coup de lancette et aseptise le tout ! Pour éviter de tourner de l’œil, un peu de « cognac » et/ou un morceau de sucre, trempé dans un « doigt d’eau de vie » !

Pour traiter un cancer du rein

M. Thibault père est atteint d’un cancer des reins, un cancer qui tend à se généraliser, malgré l’ablation de la tumeur. Il est condamné, mais son fils Antoine se garde bien de le lui annoncer, surjouant, au quotidien, un optimisme forcené. Le cabinet de toilette d’Oscar Thibault ressemble désormais à une « officine », avec « des fioles, des récipients de porcelaine, des paquets de coton. » Pour le soulager, Antoine pratique des injections de « morphine » ; il utilise pour cela des ampoules, dont « il a secrètement maquillé les étiquettes pour que le malade n’ait aucun soupçon » quant à la gravité de son mal. Il analyse, par ailleurs, les urines récoltées durant la journée et recueillies dans des bocaux.

La morphine, administrée à intervalles réguliers, est présentée comme un « sérum », adapté au traitement de la « sciatique ».

Pour traiter les maladies honteuses

Le politicien Rumelles, la quarantaine flamboyante, la chevelure léonine, la « moustache retroussée au fer », vient se faire traiter, en secret, par le Dr Antoine. Il ne s’agit pas que son épouse soit mise au courant de sa désagréable mésaventure…

Pour venir à bout de la douleur, de la cocaïne. Pour cautériser la lésion, du « nitrate », qui arrache des cris de douleur au patient. La cocaïne, utilisée en mélange avec le nitrate d’argent, permet d’exercer un effet « calmant ». Antoine observe le travail du principe actif agissant sur l’organisme malade, en scrutant les traits de Rumelles. Le temps de la consultation, le politicien n’est plus qu’un patient anonyme sur lequel Antoine étudie « l’action chimique, le travail d’un caustique sur une muqueuse ».

M. Ernst souffre également de « syphilis », une affection contractée en Afrique. Cette maladie, qu’il croyait vaincue, s’est réveillée à son retour en France. M. Ernst ne vient pas consulter pour lui ; il vient pour son enfant aphasique. Le pauvre père met cette tare sur le compte de sa maladie mal soignée ! Antoine, rassurant, libère le pauvre père de ce remord tenace, en mettant le retard de l’enfant sur le compte d’un « accouchement laborieux », ayant nécessité l’emploi des fers. Rassurez-vous Monsieur, vous n’êtes pas en faute… contrairement à votre femme !!!

Pour traiter une tuberculose osseuse

Pour traiter la tuberculose dont souffre Huguette de Battaincourt, la fille âgée de 13 ans de son ami Simon, Antoine envisage d’emprisonner le buste de celle-ci dans « un corset de plâtre », durant de longs mois.

Cette petite fille, dont la chair pâle a été « somptueusement dorée » par le soleil de l’été (« La blancheur satinée du torse faisait paraître presque sombre le ton d’abricot mûr qui couvrait les épaules, les bras, les cuisses rondes ; ce hâle suggérait l’idée d’une peau chaude, brûlante. »), est condamnée. A Ostende, où elle vient de passer 3 mois, Huguette a remporté « le troisième prix de hâle », au « Palace » et un « accessit » au Casino. L’héliothérapie n’a, pourtant, pas endigué la maladie qui continue à provoquer ses dégâts.

Pour traiter une otite surinfectée

Il semble qu’il n’y ait plus rien à faire pour sauver le bébé de Nicole Héquet. Les médecins, réunis autour du berceau, s’interrogent. Isaac Studler est favorable à l’euthanasie (« Ces piqûres…, reprit-il enfin, je ne sais pas, mais… peut-être qu’en forçant la dose… »). Pas question, pour Antoine, qui est pour « le respect de la vie »… du moins dans un premier temps.

Et puis, en réfléchissant, Antoine se souvient de la discussion qu’il avait eue avec son père (pro-vie), au sujet d’un « avorton nanti de deux têtes distinctes ». Plus qu’une discussion, des « scènes violentes », qui avait opposées M. Thibault à son fils, dont « l’intransigeance simpliste » « revendiquait pour le médecin licence de supprimer sans délai une existence aussi fatalement condamnée. »

Entre la théorie (soulager les maux quoi qu’il en coûte) et la pratique (enfoncer la seringue et son contenu mortel dans le bras du patient), il y a un monde… qu’Antoine ne se voit pas franchir !

Pour traiter l’indifférence

Anne de Battaincourt est une belle femme sur le retour, dont la peau est striée de « fines craquelures », au niveau des tempes. Séduisante, Anne ne pense qu’à elle, qu’à son confort. Pour elle, Huguette est une chichiteuse, qui fait son intéressante, en simulant fatigue et douleurs lombaires ! Son « parfum musqué », « trop lourd pour s’élever dans l’air », semble stagner autour d’elle. Ce parfum musqué, si fort qu’il en est gênant, est aussi désagréable que la façon dont elle houspille sa fille.

Pas de remède contre l’indifférence. La mère étant sourde aux souffrances de sa fille, Antoine n’a plus qu’à s’en remettre au père ou exactement au beau-père (rappelons que Simon a épousé une veuve ayant une fille à charge).

Pas de remède donc contre l’indifférence, contre l’égoïsme !

Pour traiter la peur des microbes

La fidèle Melle Waize, 78 ans, est toujours aussi inquiète par rapport au risque de propagation des maladies infectieuses. Elle veille, bien évidemment, à ce qu’Antoine se lave consciencieusement les mains avec du savon (« […] il se savonna au lavabo […] »). Depuis que Jacques est parti - cela fait maintenant 3 ans - la vieille demoiselle dépérit. La présence d’un « grand malade » (M. Thibault) dans son entourage n’est pas source d’apaisement pour cette hypocondriaque.

Et une voix tonifiante qui requinque les malades

Le Dr Antoine est un médecin dont la vocation ne peut être remise en cause. Les malades… il les aime… tous ! Avec sa « voix alerte et sonore, un peu tranchante », il rassure ses patients et les soulage en agissant à la manière « d’un tonique ». Rien que de lui parler… on se sent tout de suite mieux !

Et puis, Antoine sent confusément qu’il est capable de mettre au point une technique médicale susceptible de faire date dans l’histoire de la médecine. Il s’imagine très bien, à 50 ans à peine, avec « à son actif nombre de découvertes » d’importance.

Et puis des nouvelles de Gise

La nièce de Melle Waize a désormais 19 ans. Depuis que Jacques a disparu, Gise souffre en silence. Elle attend le retour de celui qu’elle aime. Un bouquet de roses rouges, en provenance de Londres, lui laisse supposer la présence de Jacques en Angleterre ; afin de le retrouver, Gise réussit à faire des pieds et des mains pour être autorisée à aller étudier dans la capitale londonienne.

Et une bonne douche

Dans cet opus, nous suivons Antoine pas à pas, dans sa pratique médicale quotidienne. Une pratique harassante, qui le conduit au chevet de l’un, puis de l’autre. Une vie éreintante avec, toutefois, des petits moments de bonheur… des bains pour chasser le chagrin, la fatigue. « Et, puis, une bonne douche froide… Système Thibault : détremper la fatigue avant de se mettre au lit ! »

La consultation, en bref

Pas beaucoup de cosmétiques, dans cet ouvrage, centré sur le Dr Thibault. Pas de doux parfums de verveine ou de citronnelle. Pas de lourd parfum d’ambre gris. Une odeur de malade, de maladie traquée, une odeur animale, une odeur de musc, qui colle aux vêtements d’une mère dénaturée. Et puis, tout de même du savon pour laver les mains du docteur après chaque consultation !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Martin du Gard R., La consultation in « Les Thibault » tome I, Gallimard, 875 pages, 2022

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