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Comme une odeur de verveine et de citronnelle !

> 22 juillet 2023

Comme une odeur de verveine et de citronnelle !

Le cahier gris est le premier volume de la série des Thibault, œuvre de Roger Martin du Gard.1 On y découvre la famille Thibault, le père, pétri de bons sentiments, mais piètre éducateur, du fait d’une incapacité à entrer en relation avec ses fils, Antoine, l’aîné, le médecin, celui à qui tout sourit, Jacques, le cadet, adolescent passionné, en quête d’absolu… Une relation épistolaire saisi au collège (des lettres enflammées que s’adressent Jacques et son ami Daniel) met le feu aux poudres. Lorsque l’abbé met la main sur ce courrier compromettant, il ne reste plus aux adolescents qu’à fuir la colère des adultes en fuguant. Une fuite de quelques jours, qui va se terminer diversement selon les familles. Pour Daniel, c’est le giron familial qui accueillera le jeune repenti ; pour Jacques, ce sont les portes du pénitencier qui vont s’ouvrir en grand !

Roger Martin du Gard n’est pas très généreux, quant à la description du père de famille. Une « moustache grise », une « barbiche blanche », un certain embonpoint, voilà l’aspect général d’Oscar-Marie Thibault, « chevalier de la légion d’honneur, ancien député de l’Eure, vice-président de la ligue morale de puériculture, fondateur et directeur de l’œuvre de préservation sociale, trésorier du syndicat des œuvres catholiques du diocèse de Paris » ! Ouf… Quel CV cet Oscar-Marie ! Une vie à se dévouer à la « criminalité enfantine » avec, entre autres, la création d’un pénitencier pour adolescents de tout premier ordre. Un modèle du genre, du moins en théorie, car, en pratique, c’est autre chose. Cet homme froid ne sait pas montrer ses sentiments et ce, en particulier, en direction de Jacques, son cadet, dont le tempérament est si éloigné du sien.

Melle de Waize, une gouvernante qui sent l’amour maternel

Melle de Waize ou Mademoiselle est la gouvernante, qui tient le ménage des Thibault. Plus qu’une gouvernante, dans la mesure où c’est elle qui a élevé Antoine et Jacques, orphelins de mère depuis 14 ans. Elle élève, maintenant, une petite nièce à elle âgée de 10 ans, également orpheline, Gisèle (Gise pour les intimes). Cette demoiselle possède un cœur gros comme ça. Il fait bon se faire consoler par elle.

Gisèle, un petit lutin qui sent l’espièglerie

Un petit lutin brun de peau, au teint mat, comme une Algérienne. Une petite fille de 10 ans, aux jolies boucles brunes, qui apporte de la vie dans une maison bien austère par ailleurs.

Antoine, un médecin qui sent le savon désinfectant

Antoine est un jeune homme sympathique, à la mine ouverte, à la « barbe assez fournie sur les joues ». Cheveux et poils sont du plus beau roux ! Un roux foncé, « presque brun ».

Antoine est un médecin consciencieux qui aime son métier et nettoie ses mains scrupuleusement après chaque consultation (« Antoine, en manches de chemise, se brossait les ongles dans une cuvette que l’infirmière lui tenait. »). Un scientifique, cartésien, qui considère avec admiration son frère, poète à ses heures. Antoine sent que le petit possède des dons qu’il faut absolument encourager.

Jacques de Fontanin, un adolescent qui sent fort la teinture d’iode

Jacques est un adolescent au physique ingrat. Ses « cheveux roux, durs et broussailleux » poussent comme de « l’herbe », sur un crâne osseux, aux oreilles décollées. Des « taches de son » constellent un visage assombri par des yeux « d’un bleu dur » ! Jacques est un tourmenté et cela s’observe sur sa face.

Jacques est un cancre à l’école. Sa seule joie se rapporte à son amitié pour Daniel, une amitié totale, exclusive, passionnée. Si les adultes y voient à redire, c’est qu’ils ont les idées mal placées. Ils n’ont rien compris à la pureté de la relation entre les deux adolescents.

Une pureté violée par un abbé curieux, qui fouille dans les casiers et tombe sur un cahier gris rempli de lettres et de poèmes. Comment affronter le regard de cet homme désormais, celui de son père, de son frère ? Il ne reste plus à Jacques que la fuite et dans le cas extrême, le suicide, à l’aide d’un petit flacon de teinture d’iode.

Une fuite qui le mène à Marseille, dans une ville hostile, où il sera bien vite retrouvé.

Daniel de Fontanin, un adolescent qui découvre le parfum de l’amour

Elevé dans une famille protestante, Daniel est le grand ami de Jacques. Bon élève, Daniel n’a jamais posé de soucis à ses parents.

Durant sa virée à Marseille, Daniel est pris en charge par une femme de petite vertu, qui se charge de son éducation. Cette jeune femme à « cheveux courts », qui se lave « la figure à grande eau » devant lui, admire, chez Daniel, une peau blanche (« une peau blanche comme une fille »). Elle lui fera découvrir, en une nuit, un monde nouveau, plein de sensualité.

Jenny de Fontanin, une fillette au doux parfum de larmes

La sœur de Daniel est une fillette sensible, qui déclenche une méningite, au départ de son frère chéri. Evanouie, elle est ranimée avec de l’éther, par les bons soins du Dr Antoine Pasquier, qui diagnostique rapidement une méningite, jugée fatale. La science ne pourra rien pour Jenny. La prière, en revanche, ramènera à la vie celle qui était prête à passer de vie à trépas. Que de larmes au chevet de cette fillette !

Mme de Fontanin, une mère protestante qui sent la miséricorde

Thérèse de Fontanin est une femme d’une quarantaine d’années, aux cheveux blonds, parsemés de mèches grises. Son allure reste celle d’une jeune femme, malgré tout.

Une excellente épouse, qui aime son mari volage et lui pardonne encore et toujours. Une excellente mère, qui s’inquiète pour ses enfants et voit ses cheveux blanchir lors de la maladie de Jenny et de la disparition de Daniel. « […] deux jours avaient suffi pour que ses cheveux, argentés déjà mais encore blonds, eussent tout à fait blanchi sur les tempes et autour du front. »

M. Jérôme de Fontanin, un mari volage qui sent la verveine et la citronnelle

Le mari de Mme Fontanin, Jérôme, est un coureur de jupons invétéré. Un homme plein de charme, au regard câlin et au teint « ambré » ; son hâle, assorti aux vêtements exotiques dont il se couvre, lui confère un style « oriental », qui augmente la séduction qui émane de tout son être.

Un homme parfumé, qui laisse dans son bureau et autour de lui « un arôme acidulé de verveine, de citronnelle, une odeur de toilette » (« Un parfum de verveine, de citronnelle, flottait autour de lui. » ; « cette senteur acidulée de citronnelle et de verveine qui montait de lui »)

Un homme, aux mains soignés et aux « ongles polis », qui semble vivre de l’air du temps, sans se soucier du lendemain. Un homme qui protège ses mains dans des gants de cuir de couleur claire, imprégnés du parfum « subtil », dont il s’asperge quotidiennement.

Disparaissant du foyer conjugal pendant des semaines, il est retrouvé chez une ancienne bonne ou chez la propre cousine de Mme de Fontanin, Noémie Petit-Dutreuil. A chacun de ses retours, Jérôme fait comme si de rien n’était, apparaissant au petit-déjeuner, « rasé de frais », le sourire aux lèvres !

Noémie Petit-Dutreuil, une maitresse qui sent la jalousie

Noémie est une belle femme, âgée d’environ 35 ans, « brune, grande, un peu grasse ». La maîtresse officielle de Jérôme qui, infidèle par nature, trompe son amante avec une « bonniche de 19 ans », entre autres. Une femme jalouse, qui a du mal supporter les incartades de son amant !

James Gregory, un pasteur qui sent l’air frais

Le pasteur Gregory est un homme à l’aspect sévère et au visage « jaune et anguleux ». Ce croyant fervent n’a aucune confiance en la médecine de son temps. C’est par la prière que James compte bien ramener à la vie la petite Jenny.

Entier, coléreux, James envoie balader tous les médicaments (« les ampoules, les compresses, le seau de glace pilée ») qui s’entassent au chevet de la malade. La santé de Jenny est remise entre les mains de « l’Eternel » et aux bons soins du souffle d’air frais qui provient de la fenêtre grande ouverte. « Open the window » crie James, en entrant dans la chambre de la malade, dont « l’air est vicié » ! Et cela fonctionne. Grâce au renouvellement de l’air de sa chambre, grâce aux prières, Jenny revient lentement à la vie.

Et le parfum d’une église

Le parfum « connu » de Jacques. Un parfum rassurant d’encens, qui fait se sentir tout petit et qui amène aux lèvres, « quelques Pater, quelques Ave »…

Et une nuit passée sur un quai de Marseille

Une nuit houleuse dans un port inconnu, au milieu des caisses qui sentent « le bois mouillé » ! Pendant que Daniel passe une folle nuit aux côtés d’une belle inconnue, Jacques dort à la dure sur un quai de chargement.

Le cahier gris, en bref

Dans ce premier opus, Roger Martin du Gard met en place ses personnages. Le catholique obtus, la protestante aimante, la gouvernante au grand cœur, la femme trompée, le mari volage… Un parfum de verveine et de citronnelle imprègne les pages consacrées à Jérôme. Et puis, il y a ces deux frères, si dissemblables et que l’on sent pourtant si attachés l’un à l’autre. Un parfum de fraternité persiste, qui risque bien de durer longtemps !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour.

Bibliographie

1 Martin du Gard R., Le cahiers gris in « Les Thibault » tome I, Gallimard, 875 pages, 2022

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