> 13 mars 2019
En Allemagne, lorsque les chercheurs se mettent au ménage, cela fait du bruit. 131 foyers ont ainsi été choisis comme foyers-témoins afin de mieux connaître les produits ménagers utilisés par la population. Les placards fouillés, les étagères renversées, balais et serpillières mises de côté, il a fallu passer au crible les 1336 listes d’ingrédients récoltés. Si le limonène (14 % des produits) et le linalol (12% des produits) sont les deux allergènes les mieux représentés, le citronellol l’est également bien, puisqu’il occupe la cinquième place dans le placard à balais. On le retrouve dans 7,5 % des produits ménagers. L’hydroxycitronellal, en revanche, se fait extrêmement discret ; il n’apparait que dans moins de 1 % des listes d’ingrédients.1 Pendant que les Allemands fouillent la maison de la cave au grenier à la recherche du moindre grain de poussière et de l’allergène déposé par le produit d’entretien, les Danois se concentrent sur la salle de bain et passent au crible 5588 produits cosmétiques du marché. Linalol (49,5 %) et limonène (48,5%) sont au coude à coude et ne dépaysent pas la ménagère qui, après avoir lavé son sol, se débarbouille avec les mêmes notes olfactives. Le citronellol occupe dans la salle de bain la troisième place. Il est déclaré dans 28,5 % des compositions parfumantes.2 En ce qui concerne les parfums d’ambiance obtenus grâce à des bougies parfumées, limonène et linalol viennent encore en tête de liste (dans respectivement 95 % et 74 % des références) ; l’eugénol, le citronellol et l’alcool benzylique sont présents dans un tiers des produits.3 Limonène, linalol et citronellol constituent donc, et ce depuis une dizaine d’années, les molécules parfumantes de choix du parfumeur et du parfumé.4
Maintenant que l’on tient la preuve scientifique du goût prononcé des Européens pour les senteurs citronnées/rosées, il ne reste plus qu’à se pencher sérieusement sur le curriculum vitae des molécules concernées. Pour le linalol5 et le limonène,6 c’est fait. Pour le citronellol ou 3,7-diméthyl-6-octen-1-ol (CAS : 106-22-9 / 26489-01-0 / 7540-51-4 / 1117-61-9 ; EC : 203-375-0 / 247-737-6 / 231-415-7 / 214-250-5),7 on s’y met !
Le bêta-citronellol est un composant de l’huile essentielle de citronnelle (Lemon grass ou Cymbopogon citratus) et plus généralement des huiles essentielles de Cymbopogon. Verveine blanche (Lippia alba), rose et géranium rosat (teneur voisine de 30 %) présentent aussi dans leur signature olfactive du citronellol.8 Le citronellol a une odeur douce, une odeur de rose. Le bêta-citronellol existe sous deux isomères dans la nature : l’isomère R-(+) qui prédomine dans les végétaux de la famille des Rutacées et possède une odeur de pétales de rose et l'isomère S-(-) qui offre, quant à lui, un parfum rosé, très frais, léger, propre, semblable à celui d’un pétale.9
Si on laisse le citronellol dans un flacon débouché pendant quelques semaines, il sera possible de mettre en évidence un certain nombre de molécules oxydées : hydroperoxides de citronellol, citronellal, formate de citronellyle, époxycitronellal, époxycitronellol.10
Parmi les nombreuses propriétés que l’on veut bien accorder au citronellol, certaines sont exploitables dans le domaine cosmétique. Son effet antibactérien (effet plus marqué sur les bactéries Gram+ que sur les bactéries Gram-) et antifongique11 permet de l’imaginer comme conservateur antimicrobien. Un effet lipolytique très modéré lui est reconnu ; en effet lorsque l’on mélange à parties égales citronellol et huile d’olive, on constate, après une période d’incubation à 37°C pendant 60 minutes, une hydrolyse des triglycérides constitutifs de l’huile d’olive très faible (% limité à 2 %).12 A défaut de faire maigrir de manière spectaculaire, le citronellol apportera sa note parfumée aux produits amincissants !
Qui dit molécule parfumante dit bien souvent allergie. Une fois que l’on a dit cela, il ne reste plus qu’à… chiffrer nos propos. Et c’est à ce point précis que l’on tombe dans l’imprécis. Pour une même molécule, on observera des taux de sensibilisation très variable d’un échantillon à l’autre. Rappelons que l’hydroxycitronellal fait partie du fragrance Mix I et que le citronellol fait partie du Fragrance Mix II, des mélanges de molécules parfumantes utilisés par le dermatologue pour identifier les molécules à prohiber pour un patient donné. La littérature fait état pour le citronellol d’un taux de sensibilisation de 2,5 % (échantillon de 35 633 patients),13 de 1,2 % (échantillon de 565 patients),14 de 0,5% (échantillon de 21 325 patients),15 ou de 0,4% (échantillon de 1855 patients).16
Le 7-Hydroxycitronellal (CAS : 107-75-5 ; EC : 203-518-7) émarge en position 72 de l’Annexe III du Règlement (CE) N°1223/2009.17 Cet ingrédient qui se cache sous différents noms : « citronellal hydrate », « laurinal », « laurine » et peut rappeler différentes senteurs (lys, lilas, muguet) est utilisé en mélange racémique dans les parfums à des doses variant de 0,015 à 0,5 %.18 Dans l’organisme, le 7-hydroxycitronellal est métabolisé de deux façons différentes. Une réduction conduit à la forme alcool (7-hydroxycitronellol (7-HCO)), une oxydation conduit à la forme acide (7-hydroxycitronellylic acid (7-HCA)). Vingt-quatre heures après application cutanée ou administration orale, il est possible d'en retrouver respectivement 9 et 50 % de la dose appliquée principalement sous forme acide.19
Du point de vue de son effet allergisant, les résultats publiés sont différents d’une étude à une autre. Quelques cas cliniques sont présentés révélant des habitudes cosmétiques inhabituelles ; c’est le cas de ce dentiste ayant développé une éruption au niveau de la barbe suite au parfumage de son masque de protection.20 On signale également une hyperpigmentation de la face chez une femme de 27 ans utilisant une poudre compacte parfumée renfermant entre autres de l’hydroxycitronellal.21 Enfin, on évoquera un cas d’allergie à une lingette répellente renfermant entre autres de l’hydroxycitronellal, chez un enfant de 3 ans.22 Dans les années 1980, certains auteurs considèrent que la forme lévogyre est moins allergisante que la forme dextrogyre.23 Les taux de sensibilisation mentionnés sont de 1,3% (échantillon de 21 325 patients), de 3,8% (échantillon de 84 patients)24 ou de 4,5% (échantillon de 178 patients).25 En 2003, des dermatologues allemands mettaient en garde contre le cocktail constitué d’un mélange de tensioactif irritant (laurylsulfate de sodium) et d’hydroxycitronellal (allergisant).26 L’idée de réaliser une formule minimaliste où la présence de chaque ingrédient est mûrement réfléchie est une excellente idée. On a ainsi pu montrer qu’en fonction de la molécule parfumante choisie le flux cutané d’actifs est différent. Dans le cas de la caféine, le flux est multiplié par 4 en présence de limonène. En ce qui concerne l’acide salicylique, le flux est multiplié par 2.27 Le choix du parfum devra donc être adapté en fonction de l’effet désiré.
Le paludisme est une maladie qui se transmet par le biais d’un moustique, l’anophèle (Anopheles gambiae). Afin de lutter contre la maladie, il est judicieux de tenter d’éradiquer le vecteur de celle-ci. Les insecticides sont utilisés à cette fin. Le citronellol et l’hydroxycitronellal avec un effet larvicide respectivement de 16,7 ppm et de 3,7 ppm (dose létale 50 pour un temps d’exposition de 48 heures) constituent des candidats crédibles pour la mise au point de formules répellentes.28
Ces molécules parfumantes qui emmènent selon le cas au cœur d’une roseraie ou au beau milieu du champ d’un maraicher nantais29 constituent des matières premières de choix pour l’industrie de la parfumerie. Si le dermatologue et l’atopique plissent du nez en prononçant leurs noms, le formulateur qui cherche à mettre au point une formule répellente est conquis. Le pharmacologue nous signale qu’il faut bien réfléchir à ce que l’on « mélange » ensemble lorsque l’on veut « freiner » ou « accélérer » le passage transcutané. Au mot de « citronellol », Dior dit « J’adore »30 et Lush en dit autant parce qu’il est « naturellement présent dans certaines huiles essentielles ».31 Devant une telle unanimité, on ne peut que s’incliner !
1 Wieck S, Olsson O, Kümmerer K, Klaschka U, Fragrance allergens in household detergents, Regul Toxicol Pharmacol., 2018, 97, Pages 163-169
2 Bennike NH, Oturai NB, Müller S, Kirkeby CS, Jørgensen C, Christensen AB, Zachariae C, Johansen JD, Fragrance contact allergens in 5588 cosmetic products identified through a novel smartphone application, J Eur Acad Dermatol Venereol., 2018, 32, 1, Pages 79-85
3 Bartsch J, Uhde E, Salthammer T, Analysis of odour compounds from scented consumer products using gas chromatography-mass spectrometry and gas chromatography-olfactometry, Anal Chim Acta., 2016, 21, 904, Pages 98-106
4 Rastogi SC, Heydorn S, Johansen JD, Basketter DA, Fragrance chemicals in domestic and occupational products, Contact Dermatitis., 2001, 45, 4, Pages 221-5
5 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-linalol-l-allergene-qui-ne-manque-pas-d-air-955/
6 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-limonene-second-violon-de-la-symphonie-cosmetique-960/
7 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=32861
8 Boukhatem MN, Kameli A, Ferhat MA, Saidi F, Mekarnia M, Rose geranium essential oil as a source of new and safe anti-inflammatory drugs, Libyan J Med., 2013, 7, 8, Page 22520
9 Elsharif SA, Buettner A, Influence of the chemical structure on the odor characters of β-citronellol and its oxygenated derivatives, Food Chem., 2017, 1, 232, Pages 704-711
10 Rudbäck J, Hagvall L, Börje A, Nilsson U, Karlberg AT, Characterization of skin sensitizers from autoxidized citronellol - impact of the terpene structure on the autoxidation process, Contact Dermatitis., 2014, 70, 6, Pages 329-339
11 Santos PL, Matos JPSCF, Picot L, Almeida JRGS, Quintans JSS, Quintans-Júnior LJ, Citronellol, a monoterpene alcohol with promising pharmacological activities - A systematic review, Food Chem Toxicol., 2019, 123, Pages 459-469
12 Choi HS, Lipolytic effects of citrus peel oils and their components, J Agric Food Chem., 2006, 3, 54, 9, Pages 3254-3258
13 Krautheim A, Uter W, Frosch P, Schnuch A, Geier J, Patch testing with fragrance mix II: results of the IVDK 2005-2008, Contact Dermatitis., 2010, 63, 5, Pages 262-269
14 Pónyai G, Németh I, Altmayer A, Nagy G, Irinyi B, Battyáni Z, Temesvári E; Hungarian Contact Dermatitis Group., Patch tests with fragrance mix II and its components., Dermatitis., 2012, 23, 2, Pages 71-4
15 Schnuch A, Uter W, Geier J, Lessmann H, Frosch PJ, Sensitization to 26 fragrances to be labelled according to current European regulation. Results of the IVDK and review of the literature, Contact Dermatitis., 2007, 57, 1, Pages 1-10
16 Frosch PJ, Johansen JD, Menné T, Pirker C, Rastogi SC, Andersen KE, Bruze M, Goossens A, Lepoittevin JP, White IR, Further important sensitizers in patients sensitive to fragrances, Contact Dermatitis., 2002, 47, 2, Pages 78-85
17 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=34491
18 Stoeckelhuber M, Krnac D, Pluym N, Scherer M, Leibold E, Scherer G, A validated UPLC-MS/MS method for biomonitoring the exposure to the fragrance 7-hydroxycitronellal.J Chromatogr B Analyt Technol Biomed Life Sci., 2017, 15, 1068-1069, Pages 261-267
19 Human metabolism and excretion kinetics of the fragrance 7-hydroxycitronellal after a single oral or dermal dosage, Stoeckelhuber M, Krnac D, Pluym N, Scherer M, Peschel O2, Leibold E, Scherer G, Int J Hyg Environ Health., 2018, 221, 2, Pages 239-245
20 Calnan CD, Contact Dermatitis., Unusual hydroxycitronellal perfume dermatitis, 1979, 5, 2, Page 123
21 Serrano G, Pujol C, Cuadra J, Gallo S, Aliaga A, Riehl's melanosis: pigmented contact dermatitis caused by fragrances, J Am Acad Dermatol., 1989, 21, 5, 2, Pages 1057-60
22 Corazza M, Virgili A, Bertoldi AM, Benetti S, Borghi A, Allergic contact dermatitis caused by insect repellent wipes, Contact Dermatitis., 2016, 74, 5, Pages 295-296
23 Ford RA, Api AM, Suskind RR, Food Chem Toxicol., Allergic contact sensitization potential of hydroxycitronellal in humans, 1988, 26, 11-12, Pages 921-926
24 Vejanurug P, Tresukosol P, Sajjachareonpong P, Puangpet P, Fragrance allergy could be missed without patch testing with 26 individual fragrance allergens., Contact Dermatitis., 2016, 74, 4, Pages 230-5
25 Hirano S, Yoshikawa K., Patch testing with European and American standard allergens in Japanese patients, Contact Dermatitis., 1982, 8, 1, Pages 48-50
26 Heydorn S, Andersen KE, Johansen JD, Menné T, A stronger patch test elicitation reaction to the allergen hydroxycitronellal plus the irritant sodium lauryl sulfate, Contact Dermatitis., 2003, 49, 3, Pages 133-139
27 Muhammad F, Riviere JE, Differential effects of some natural compounds on the transdermal absorption and penetration of caffeine and salicylic acid, Int J Pharm., 2015, 10, 483, 1-2, Pages 151-157
28 Tamires Cardoso L, Eliningaya J K, Chrian M M, Damião Pergentino S, Larvicidal Activity of Essential Oil Constituents Against Malaria Vector, Anopheles gambiae (Diptera: Culicidae), 2016, 11, 10, Pages 1539-1540
30 https://www.dior.com/fr_fr/products/beauty-Y0715201-jadore-eau-de-parfum
31 https://www.lush.ca/fr/ingredient-finder/ingredient?iid=10443