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Celle qui croyait percer le secret de la nature des hommes…

> 03 janvier 2021

Celle qui croyait percer le secret de la nature des hommes…

Quand le narrateur (qui est peut-être Théophile Gautier lui-même) est résolu à trouver une maîtresse,1 il se « fait peigner et friser [l]es cheveux, retrousser et cirer le peu [qu’il a] de moustaches »… nous sommes prévenus !

Ce sur quoi nous n’étions pas prévenus, c’est, en revanche, sa misogynie décomplexée. Il assure « qu’une femme qui n’est pas belle est plus laide qu’un homme qui n’est pas beau » !

Exigeant le monsieur… qui avoue lui-même n’être peut-être pas assez attentif pour rencontrer la maîtresse de ses rêves, ce qui lui fait dire : « Si j’avais regardé à mes pieds, peut-être y aurais-je vu quelque belle Madeleine avec son urne de parfums et sa chevelure éplorée. »

Il nous dresse un portrait aussi précis que possible de l’objet incessant de sa quête. « Cette transparence de ton, cette fraîcheur charmante et pleine d’éclat, ces chairs où courent tant de sang et tant de vie, ces belles chevelures blondes se déroulant comme des manteaux d’or, ces rires étincelants, ces fossettes amoureuses, ces formes ondoyantes comme des flammes, cette force, cette souplesse, ces luisants de satin, ces lignes si bien nourries, ces bras potelés, ces dos charnus et polis, toute cette belle santé appartient à Rubens. » Bien qu’elle lui déplaise « considérablement », Mme de Thémines pourra fort bien faire l’affaire, pour l’heure… simplement parce qu’elle « est à la mode ». A moins qu’il ne s’entiche de « cette petite femme en rose qui joue avec son éventail ». « Sa taille était petite, mais assez bien prise, quoiqu’un peu chargée d’embonpoint ; elle avait le bras blanc et potelé, la main assez noble, le pied joli et même trop mignon, - les épaules grasses et lustrées, peu de gorge, mais ce qu’il y en avait fort satisfaisant et ne donnant pas mauvaise idée du reste ; pour les cheveux, ils étaient extrêmement brillants et d’un noir bleu comme des ailes de geai ; - le coin de l’œil troussé assez haut vers la tempe, le nez mince et les narines fort ouvertes, la bouche humide et sensuelle, une petite raie à la lèvre inférieure, et un duvet presque imperceptible aux commissures. » Et avec cela une bien étrange créature à deux faces, « un Janus féminin », « une Messaline prude ».

Une fois « l’amant en pied de la dame en rose », on ne sait pourquoi, il s’habillait « d’une manière trop efféminée », les « cheveux […] bouclés et lustrés avec plus de soin qu’il ne convenait ». Cette dame « nous l’appellerons Rosette ; c’est un joli nom : [s]a petite chienne s’appelait comme cela. » Un mufle, on vous dit !

Un mufle… oui, même si Rosette le rend parfois poète ! Ne s’exclame-t-il pas qu’« elle s’élevait avec le parfum du cœur d’une large rose à cent feuilles. » !

Il n’exige des « femmes qu’une seule chose - c’est la beauté », se passant « très volontiers d’esprit et d’âme. »… Et attention… « N’être point difforme, avoir des traits à peu près réguliers, c’est-à-dire avoir le nez au milieu de la figure, ni camard, ni crochu, des yeux qui ne sont ni rouges ni éraillés, une bouche convenablement fendue, cela n’est pas être beau ». Lui-même « espère toujours qu’un printemps ou l’autre, [il se dépouillera] de cette forme [qu’il a] comme un serpent qui laisse sa vieille peau. »… Rien n’est moins sûr… « Etre beau, c’est-à-dire avoir en soi un charme qui fait que tout vous sourit et vous accueille ; qu’avant que vous ayez parlé tout le monde est déjà prévenu en votre faveur et disposé à être de votre avis ». « Et celui qui joindrait à la beauté suprême la force suprême, qui, sous la peau d’Antinoüs, aurait les muscles d’Hercule, que pourrait-il désirer de plus ? » Effectivement… On est plus Johnny Weistmüller que Théophile Gautier

Quand paraît Melle de Maupin…

… sous la forme d’« un jeune cavalier ». En effet, Madeleine de Maupin a décidé d’user de ce stratagème afin de s’introduire dans des cercles masculins et, ainsi, de savoir exactement ce que ces messieurs pensent des femmes. Elle est désormais le chevalier Théodore de Sérannes ! On se rappellera à ce propos que George Sand, à la même époque, s’habillait volontiers en homme, comme en témoigne le portrait qu’Eugène Delacroix2 a fait d’elle ou encore que Mélanie d’Hervilly va à la rencontre de son futur mari, Samuel Hahnemann, travestie en homme. Pratique courante donc au XIXe siècle dans une certaine aristocratie. Mais revenons à Madeleine/Théodore. « Il est impossible d’avoir meilleure grâce ; il n’est pas très grand, mais il est svelte et bien pris dans sa taille ; […] bien des femmes lui envieraient sa main et son pied. Le seul défaut qu’il ait, c’est d’être trop beau et d’avoir des traits trop délicats pour un homme. »… Et pour cause ! « Comme il est fort jeune », il « n’a pas d’apparence de barbe » (et re et pour cause !) « Ses cheveux bruns et lustrés sur son cou en grosses boucles, donnent à sa tête un caractère particulier. » D’où les lamentations de notre conteur « Quel dommage que ce soit un homme, ou quel dommage que ne soit pas une femme ! »

Où l’on fait la connaissance d’un petit page

« Le maître était beau comme une femme, - le page beau comme une jeune fille. - Cette tête ronde et rose […] la bouche […] laissait apercevoir de petites dents d’un blanc laiteux. » Qu’il (notre lecteur a sans doute compris que l’on devrait plutôt dire « elle ») est beau. « Quelle adorable fossette il a au menton ! quelle finesse et quelle blancheur de peau ! »

Une chevauchée qui finit mal

Une chute de cheval et « l’enfant resta évanoui sur le coup », « ses beaux cheveux blonds ruisselaient de toutes parts éparpillés sur le sable ». Et Rosette qui « n’avait sur elle ni sels, ni flacon, et son embarras était grand. » De l’eau de pluie fera l’affaire…

Où Madeleine rencontre plusieurs types d’hommes

Un hôtelier d’abord. « C’était un homme pansu, avec un nez rouge, des yeux vairons et un sourire qui lui faisait le tour de la tête. A chaque moi qu’il disait, il montrait une double rangée de dents pointues et séparées comme celles des ogres ». Gageons qu’il ne va beaucoup la renseigner sur ce que les hommes pensent des femmes.

Plus intéressant, l’un des deux gentilhommes de passage à l’auberge… « C’était un jeune homme de vingt-quatre ans à peu près, d’une assez belle figure, les cils noirs et la moustache presque blonde ; ses longs cheveux roulaient autour de sa tête comme des flots de l’urne renversée d’un fleuve, une légère rougeur passait sous ses joues pâles comme un nuage sous l’eau, ses lèvres étaient à demi entrouvertes et souriait d’un sourire vague et languissant. » Et dire que Madeleine (ou plutôt Théodore) va être obligée de partager son lit, faute de place ! « Un chevalier assez beau, un lit assez étroit, une nuit assez noire ! » sera la conclusion de cet épisode.

Quand Théodore redevient Madeleine…

« Elle s’avança dans la chambre, la jour légèrement allumée d’un rouge qui n’était pas du fard, et chacun de s’extasier, et de se récrier, et de se demander s’il était bien possible que ce fût lui, Théodore de Sérannes […] et s’il était parfaitement sûr qu’il ne fût pas sa sœur jumelle. »

Une vieille artistocrate qui trouve une épouse à Théodore

Elle a le « front jaune », la vieille douairière, la peau citréine des vieilles femmes. « Ses yeux, quoique terminés à leurs angles par une patte de plis et recouverts d’une paupière large et molle, avaient encore quelques étincelles de leur feu primitif ». « Son nez mince et maigre, un peu recourbé en bec d’oiseau de proie, donnait à son profil une sorte de grandeur sérieuse que tempérait un sourire indulgent de sa lèvre autrichienne peinte de carmin, selon la mode du siècle passé. » Elle apprécie tellement Théodore, qu’elle désire lui faire épouser sa petite-fille…

Où Madeleine arrive à certaines conclusions concernant les hommes…

Et de nous confier : « Tant que je ne les avais vus que de loin et à travers mon désir, les hommes m’avaient paru beaux, et l’optique m’avait fait illusion. – Maintenant je les trouve du dernier effroyable ». « Comme leurs traits sont grossiers, ignobles, sans finesse, sans élégance ! quelles lignes heurtées et disgracieuses ! quelle peau dure, noire et sillonnée ! – Les uns sont hâlés comme des pendus de six mois, hâves, osseux, poilus, avec des cordes à violon sur les mains, […] une sale moustache toujours pleine de victuailles et retroussée en croc sur les oreilles, les cheveux rudes comme des crins de balai, […] des lèvres gercées et cuites par les liqueurs fortes, les yeux entourés de quatre ou cinq orbes […]. – Les autres sont matelassés de viande rouge, et poussent devant eux un ventre cerclé à grand peine par leur ceinturon ; ils ouvrent en clignotant leur petit œil vert de mer enflammé de luxure, et ressemblent plutôt à des hippopotames en culotte qu’à des créatures humaines. » Evidemment… ça fait pas envie…

Où Madeleine ne sait plus trop qui elle est

Il lui arrive de rencontrer « une charmante petite fille de quinze ans tout au plus ». « Elle était blonde, mais d’un blond si délicat et si transparent que les blondes ordinaires eussent paru auprès d’elle excessivement brunes et noires comme des taupes ». « Ses sourcils étaient d’une teinte si douce et si fondue qu’ils se dessinaient à peine visiblement ; […] sa bouche, petite à n’y pas fourrer le bout du doigt, ajoutait encore au caractère enfantin et mignard de sa beauté. » Une conquête de M. Théodore ! « Théodore-Rosalinde, mademoiselle d’Aubigny, ou Madeleine de Maupin » ? Allez savoir… « Au lieu de retourner dans sa chambre, elle entra chez Rosette. – Ce qu’elle y dit, ce qu’elle y fit, je n’ai jamais pu le savoir, quoique j’aie fait les plus consciencieuses recherches ». Et c’est sans doute préférable ainsi…

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration... mais au fait qui est qui ?

Bibliographie

1 Gautier T. Mademoiselle de Maupin, Maxi-poche, Classiques français, 1997

2 https://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/eugene-delacroix_george-sand-habillee-en-homme_huile-sur-bois_1834

 

 

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