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Avec la crème Tokalon, naissance des premières crèmes de jour, de nuit... pour ceci, pour cela…

> 21 octobre 2017

Avec la crème Tokalon, naissance des premières crèmes de jour, de nuit... pour ceci, pour cela…

Au début du XXe siècle, les parfumeurs prétendent que les crèmes « nourrissent l’épiderme » voire même que « l’épiderme digère » ; on crée, alors en conséquence « des crèmes de jour pour protéger le visage et des crèmes de nuit pour nourrir la peau et lui faire digérer les corps gras. »

L’idée que l’on puisse comparer la peau à un organisme entier avec un système digestif (la peau s’alimente) et avec un système pulmonaire (la peau respire) laisse plus d’un scientifique perplexe. En 1937, dans la très sérieuse revue médicale The Lancet, le dermatologue Arthur Burrows, franchement irrité, s’interroge sur la notion de crèmes nourrissantes alors très en vogue. Pour lui, ces crèmes ont pour but « de faire se sentir belle », rien de plus (Burrows A. Cosmetics, The Lancet, 230, 5959, 1154 – 1155, 1937). Le pharmacien René Cerbelaud ironise, quant à lui : « A quand les crèmes laxatives » (René Cerbelaud - Formulaire de parfumerie - 1933) pour peaux constipées ? A quand les crèmes astringentes pour intestin hyperactif, en période de gastroentérites ? Le concept marketing qui, semble-t-il, a pour but de doubler les ventes est tout nouveau. Jusque-là, on parlait de « crème à tout faire » (Voir à ce propos https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/diadermine-la-creme-a-tout-faire-168/, https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/creme-simon-un-simple-glycerole-d-amidon-169/, https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/mixa-ou-l-histoire-d-un-sourire-170/). Désormais, on raffine le texte « des réclames ». Sans en apporter une justification claire et nette, on recommande une crème pour le jour et une crème pour la nuit. Une crème lorsque la peau « travaille », une autre lorsqu’elle est au repos. Le terme « chronobiologie » n’est pas encore prononcé, mais on y viendra !

La crème Tokalon (de « to », emprunté à nos amis, les Anglais et « Kalos » emprunté à nos (autres) amis, les Grecs) est une crème qui a pour but littéralement de rendre beau. Arthur Burrows, sous ses airs blasés, a donné une définition éclairée des crèmes nourrissantes. Il s’agit pour lui de cosmétiques, comme les cosmétiques qui les ont précédés depuis des siècles, utilisés pour embellir le consommateur qui leur fait confiance.

En 1938, les lectrices du Pèlerin scrutent avec intérêt les publicités leur assurant une guérison complète de leur eczéma grâce à la préparation fabriquée par les laboratoires de l’abbé Panet, la fin de leurs douleurs arthritiques grâce à la Tisane des Chartreux... un effet rajeunissant spectaculaire avec la ou plutôt les crème(s) Tokalon. « Mon médecin m’a dit que le Biocel contenu dans cet Aliment spécial pour la peau est obtenu de jeunes animaux soigneusement sélectionnés. Il pénètre profondément dans la peau et fournit la nourriture même dont elle a besoin pour être ferme, fraîche et jeune. Découvert par un Grand Professeur de l’Université de Vienne, il est maintenant combiné à la crème Tokalon (Couleur Rose) juste dans les proportions voulues pour nourrir les tissus cutanés. Employez cette crème le soir, avant de vous coucher et, le matin, employez la Crème Tokalon, Couleur Blanche. En trois jours, elle vous permettra de commencer à vous débarrasser des imperfections de votre teint et des muscles du visage flasques et affaissés. Au cours d’essais faits dans un Hôpital de Vienne par le Professeur Dr Stejskal, sur des femmes de 55 à 72 ans, les rides disparaissent en l’espace de six semaines « (Le Pèlerin, 1938).

Dans ces argumentaires publicitaires, on retrouve toutes les clés de la réussite. Une double caution scientifique d’abord : le Dr Stejskal est à l’origine des tests d’efficacité démontrant les effets remarquables du cosmétique en question et le médecin traitant qui recommande à sa patiente déprimée par la profondeur de ses rides le produit-miracle ! Des tests réalisés en milieu hospitalier (à l’Hôpital de Vienne), ensuite ! Un échantillon de volontaires d’âge respectable (la taille de cet échantillon n’est, toutefois, pas précisée) et enfin un actif surpuissant (« Ce Biocel aliment pour la peau est merveilleux ») !

Le Biocel est un actif obtenu à partir de jeunes animaux (on ne sait pas exactement lesquels et on ne sait pas non plus comment). Bien que sa composition exacte ne soit pas parvenue jusqu’à nous on peut penser qu’il s’agit d’un ingrédient biologique complexe !!!

L’argumentaire publicitaire insiste sur la notion d’efficacité et glisse sur la notion d’innocuité...

D’un point de vue de leur composition, il semble que Crème Rose et Crème Blanche soient interchangeables, au colorant près. La Crème Blanche semble se résumer à un excipient, la Crème Rose à ce même excipient auquel on ajoute le précieux Biocel. Cet actif fait donc toute la différence !

La crème Tokalon est une crème au stéarate de sodium, épaissie par de la gélose. Celle-ci a pour but d’augmenter la consistance de la préparation et de favoriser la stabilité de ce cosmétique anti-âge.

Le nombre des ingrédients entrant dans la composition de la formule-miracle se compte sur les doigts d’une seule main. De la gélose pulvérisée (5 g), de l’eau distillée de rose (650 g), de l’acide stéarique pur (150 g), de la glycérine (450 g) et de la lessive de soude (25 g) permettent d’obtenir une formule simple et agréable à appliquer, qui « convient aux épidermes neutres et aux peaux grasses ». Un parfum de fantaisie à base de musc, de coumarine, d’éthylvanilline, de linalol de bois de rose, de terpinéol, de rhodinol d’essence de géranium de la Réunion, de méthylionone et d’essence de jasmin apporte la touche propice au rêve.

Comme nous pouvons le constater Tokalon est l’une des premières crèmes anti-âge se déclinant sous deux formes, une forme Jour et une forme Nuit. Puis les formules vont se raffiner... se multiplier... Le tout-en-un va désormais devenir la norme et on oubliera le geste cosmétique chrono-dépendant !

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