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Antigone et Ismène, deux visions opposées des cosmétiques

> 17 mai 2020

Antigone et Ismène, deux visions opposées des cosmétiques

Jean Anouilh, en 1944, dépoussière l’Antigone de Sophocle et nous propose une version plus contemporaine du drame antique.1 Tout y est... Un roi (Créon), une épouse discrète, parfumée à la lavande (Eurydice), un fils amoureux (Hémon), une nièce, belle comme le jour et cosmétiquée à ravir (Ismène), une nièce inquiétante comme la nuit, véritable tête de cochon (Antigone), des neveux dévoyés, conspirateurs et avides de pouvoir (Polycite et Etéocle). Il y a de l’orage dans l’air... Il y a une quête d’absolu, un besoin de s’affirmer... Il y a des cosmétiques dans les tiroirs de la belle Ismène et du rouge sur les lèvres de la pauvre Antigone. La pelote se dévide inexorablement. Suivons le fil !

Antigone, un pruneau sec

Antigone, fille d’Oedipe et de Jocaste,2 est une jeune fille brune, pas vraiment jolie. Sa sœur, Ismène considère, quand même, qu’elle est « belle, autrement ». « Noire et maigre », c’est ainsi que tout le monde la voit. Antigone a toujours un peu jalousé la beauté de sa sœur ; elle l’a même, un jour, « attachée à un arbre afin de lui couper les cheveux », des cheveux qui font toute sa beauté et qui semblent former autour d’elle comme un écran protecteur vis-à-vis « des mauvaises pensées, des peurs, des doutes, de tout ce qui rend la vie impossible à vivre. » « Comme cela doit être facile de ne pas penser à des bêtises avec toutes ces belles mèches lisses et bien ordonnées autour de la tête ». Ismène, sans son casque protecteur, resta malgré tout une Ismène lisse, tranquille, sans aucune ride sur le front.

Antigone, une petite fille, ennemie des cosmétiques

Très jeune, la nourrice d’Antigone, qui a une nette préférence pour celle-ci par rapport aux autres enfants princiers, a senti que la petite fille était différente. Pas coquette pour un sou, elle ne se soucie ni de sa mise, ni de ses cheveux qui sont laissés en liberté, jamais peignés. « Tu n’étais pourtant pas comme les autres, toi, à t’attifer toujours devant la glace, à te mettre du rouge aux lèvres, à chercher à ce qu’on te remarque. »

Antigone, une jeune fille, tentée par les cosmétiques

Afin de séduire Hémon et d’obtenir de lui une nuit d’amour avant que ne commence la tragédie, Antigone se fait pie voleuse. Elle passe dans la chambre de sa sœur et s’y procure tout ce qui brille à ses yeux, rouge à lèvres, poudre et parfum, afin de rentrer dans le moule des jeunes filles modèles. Une touche de sang sur les lèvres, de la poudre couleur pêche sur les joues, une pulvérisation de parfum au creux du poignet et dans le cou... Antigone a revêtu sa parure de femme ordinaire.

Antigone, une jeune fille qui entre en dissidence

Bien sûr, son oncle Créon est monté sur le trône à la mort de son frère (Oedipe) et de ses neveux, Polynice et Etéocle. Bien sûr, pour assurer à Thèbes un avenir serein, le vieux roi à peine monté sur le trône, a décidé de distribuer les rôles aux uns et aux autres. Etéocle sera le héros ; il sera donc enterré en grandes pompes. Polynice, en revanche, le conspirateur, celui qui a livré la ville aux troupes ennemies, restera à pourrir à proximité de la ville. Comédie que tout cela. Il n’y a aucun « bien sûr » qui ne tienne ! Oui, Créon aime « ce qui est propre, net, bien lavé » ; il a donc passé méthodiquement la serpillère sur une scène de crime abondamment tachée de sang.

En réalité, Polynice et Etéocle sont à mettre dos à dos. Ils ont tenté tour à tour d’assassiner leur père et se sont finalement entretués pour obtenir le pouvoir ! Cela Antigone ne le sait pas lorsqu’elle décide d’aller recouvrir le cadavre de Polynice de terre en se servant de la petite pelle qui lui servait autrefois à construire des châteaux de sable.

Entrer en rébellion contre l’autorité du roi, c’est se condamner à mourir. Toute personne qui sera trouvée à proximité du cadavre et qui agira de manière à l’enterrer sera exécutée. Tout est dit !

Antigone, une jeune fille en quête d’absolu

Antigone n’est pas comme les autres. Elle a appris à dire « non », avant de savoir dire « oui ». La vie, elle préfère la quitter que de la passer à tricoter, sagement assise à côté de Monsieur Hémon. Antigone va donc s’entêter et restera campée sur ses positions, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Ismène, une pêche à la chair délicieuse

Rien à voir avec sa sœur Antigone. Ismène, « blonde, belle, heureuse », « rose et dorée comme un fruit », prend la vie du bon côté et ne se pose pas mille questions à son réveil. Pour obtenir ce teint de pêche remarquable, Ismène, passe, c’est certain, de longues heures devant son miroir à tester les cosmétiques les plus performants mis au point par les artisans de Thèbes. Heureuse Ismène qui ne se tourmente jamais.

La reine Eurydice, un doux parfum de lavande

La reine Eurydice est une vieille dame charmante qui passe ses journées à tricoter. Lorsque le drame frappe à sa porte, la vieille dame range tranquillement son tricot et se tranche la gorge dans « sa chambre à l’odeur de lavande ». Elle vient d’apprendre que son fils Hémon s’est suicidé au pied d’Antigone alors que celle-ci venait d’être emmurée sur ordre de Créon.

L’Antigone d’Anouilh, c'est une pièce rondement menée qui sépare les être en deux tas, ceux qui aiment les cosmétiques (et ils sont les plus nombreux) (Créon et son savon, Eurydice et son parfum de lavande, Ismène et ses multiples produits de beauté) et les autres (Hémon et Antigone). A tout prendre, il semble plus sage de se placer dans le camp de ceux qui usent et abusent de cosmétiques. Mais ce point de vue, nous vous l’accordons, se discute !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'éloge de la peau de pêche !

Bibliographie

1 Anouilh J. Antigone, La table ronde, 1985, 123 pages
2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/oedipe-jocaste-et-laius-recherche-quatrieme-pour-belote-endiablee-1388/

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