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Anne d’Autriche, une reine au capillaire impressionnant

> 13 janvier 2019

Anne d’Autriche, une reine au capillaire impressionnant

Dans ses mémoires, Mme Françoise de Motteville, née Bertaut, est bien décidée à rendre justice à sa souveraine, « l’une des plus grandes beautés de son siècle ».1 Cette jolie brune, mariée à 18 ans avec un barbon de 80 ans, « s’ennuyait quelquefois de la moitié du lit » (ça on veut bien le croire), mais ne s’ennuyait jamais à la cour d’Anne d’Autriche. Pas de temps mort pour cette femme de qualité qui a l’œil partout, qui juge tout et nous permet de croiser une reine d’Angleterre à la beauté fuyante (« Comme sa beauté n’avait duré que l’espace du matin et l’avait quittée avant son midi, elle avait accoutumé de maintenir que les femmes ne peuvent être belles passé 22 ans. »), un roi de Pologne « vieux et accablé de goutte et de graisse », un duc d’Enghien, à la « barbe négligée » et aux cheveux « fort gras », un prince de Condé, au physique ingrat et qui ne se fait propre que quelques jours par an, lorsque lui prend envie de séduire telle ou telle belle dame de la cour, une duchesse d’Orléans, ni vraiment laide, ni vraiment belle, mais qui « avait de l’esprit et n’en paraissait point avoir. », qui était « grasse et maigre tout ensemble » (cela dépendait où l’on dirigeait son regard) et était « l’ambiguïté » même.

Une famille royale pas piquée des vers

Françoise dresse un portrait de famille à charge. Anne d’Autriche est « belle et fort aimable ». Le jeune époux est une « beauté brune » qui, malheureusement, « courut toute sa vie après des bêtes, et se laissa gouverner par ses favoris, si bien qu’ils vécurent ensemble avec aussi peu d’intelligence que de bonheur. » La belle-mère, Marie de Médicis, est odieuse, comme de bien entendu. Son sport favori est de dresser son fils contre sa bru ! Elle est secondée en cela par un cardinal de Richelieu qui n’en manque pas une ! Ainsi, en 1635, au début de la guerre qui oppose la France et l’Espagne, le cardinal accuse-t-il la reine d’intelligence avec l’ennemi. Afin d’étayer cette accusation, il envoie ses sbires fouiller l’abbaye du Val-de-Grâce, fondée en 1624 par la reine. Faute de trouver des documents compromettants, on mit la main sur des « ceintures avec des pointes de fer, et des haires », témoins des mortifications que s’infligeait la souveraine et une cassette, « remplie de gants d’Angleterre », preuve que l’on peut être d’une grande piété tout en restant coquette.

Une maternité très attendue

Si certains mettent la conception de Louis XIV sur le compte d’une météorologie orageuse, Mme de Motteville présente, quant à elle, une version bien différente. L’idylle qui se noue entre Melle de La Fayette, « une fille si sage » et le roi, un « prince si pieux », serait le point de départ de divers d’évènements qui permettront au futur Louis XIV de voir le jour. Afin de rester « sage », Melle de La Fayette se voit contrainte d’entrer en religion ; Louis XIII, encore très amoureux, lui rend de fréquentes visites au couvent des filles de Sainte Marie, situé rue saint Antoine. Lors de l’une de ses dernières visites, il demeura « fort tard avec elle, il ne put retourner coucher à Saint-Germain selon son dessein, et fut contraint d’aller au Louvre prendre la moitié du lit de la Reine, qui était venue à Paris pour quelques affaires de peu d’importance. »

Une agonie qui dure, qui dure...

Le décès de Louis XIII survient le 14 mai 1643, au terme d’une agonie fort longue (« mourant tous les jours sans pouvoir achever de mourir. »). Anne d’Autriche est désormais régente et tous les regards se portent sur celle qui est désormais « regardée comme un soleil » par tout courtisan espérant « quelque favorable influence ». Après Richelieu... Mazarin… les cardinaux se suivent mais ne se ressemblent pas. Mazarin est « tout l’opposé du cardinal Richelieu » ; difficile de lui faire un plus beau compliment.

Un emploi du temps réglé comme du papier à musique

Mme de Motteville nous livre une partie de l’emploi du temps de la reine, en se concentrant sur le lever et le coucher. La reine se réveille entre 10 et 11 h, en temps ordinaire, à 9h les jours de dévotion. Elle commence sa journée par une longue prière, puis reçoit en audience quelques privilégiés, durant une courte demi-heure. Après avoir passé une robe de chambre, elle se remet en prière, puis déjeune de « grand appétit ». Au menu, un « bouillon, des côtelettes, des saucisses et du pain bouilli. » Il faut alors enfiler une chemise qui est tendue affectueusement par le Roi ou par quelque dame de haute naissance. Il peut survenir, parfois, quelques prises de bec entre personnes qualifiées ou non à tendre ladite chemise. Un « corps de jupe », « un peignoir », une « hongreline noire » constituent l’habillement habituel. La reine assiste alors à la messe au terme de laquelle elle se met, enfin, à sa toilette. Toutes les personnes de son entourage aiment à la voir se peigner. Ses cheveux « étaient fort longs et en grande quantité ». « Ils se sont conservés longtemps sans que les années aient eu le pouvoir de détruire leur beauté. » La fin de la journée trouve la reine en son oratoire. Le souper est servi à 11 heures. Minuit sonne le moment de l’extinction des feux.

Une reine qui aime à se baigner

Le bain est apprécié d’Anne d’Autriche, qui voit là un moyen d’assurer son hygiène et de se rafraichir, en cas de fortes chaleurs. Lorsqu’elle prend son bain, il est possible de venir discuter avec elle et, pourquoi pas, de tenter d’obtenir une faveur. Anne d’Autriche est fière de son intérieur et ne manque pas de faire le tour du propriétaire aux invités de marque (la reine fait ainsi visiter, à la femme de l’ambassadeur de Danemark, « son petit appartement, sa chambre, ses bains et son oratoire. »). Durant l’été, la cour se transporte à Fontainebleau pour profiter des joies de la nature. « Les divertissements de toutes les dames » sont « entièrement renfermés dans les bornes de la rivière de Seine. » Tous les jours, l’on se rend sur les bords de Seine en traversant la forêt et l’on reste de longues heures à se prélasser dans l’eau. Lorsque le roi est enfant, il se baigne avec son gouverneur, le maréchal de Villeroy. Hommes, femmes et enfants respectent la pudeur en se couvrant de « grandes chemises de toile grise qui traînaient jusqu’à terre. »

Un amour immodéré des cosmétiques

La jeune Anne d’Autriche se déplace dans un nuage de poudre. Celle-ci recouvre ses cheveux. La poudre est alors très en vogue ; impossible de prétendre à la beauté si l’on ne se laisse pas enfariner (parlant du prince de Condé : « L’ajustement, la frisure et la poudre lui étaient nécessaires pour paraître tel ; mais il se négligeait déjà infiniment. »). Anne d’Autriche raffole des cosmétiques ; elle a le teint très blanc, possède un beau grain de peau, mais dépose sur ses joues, « à la mode d’Espagne », « trop de rouge ». De beaux yeux verts, une « gorge fort belle », une bouche « petite et vermeille » sont complétés par... un gros nez. C’est son amie qui vous le dit. « Ses mains et ses bras avaient une beauté surprenante, et toute l’Europe en a ouï publier les louanges : leur blancheur, sans exagération, égalait celle de la neige [...] ». Après la mort de Louis XIII, Anne d’Autriche « cessa de mettre du rouge ». L’éclat de son teint n’en parut que plus grand car elle était très pâle de teint. Toutes les femmes de la cour suivirent son modèle. En mai 1644, la reine « quitta son grand deuil, qui l’avait fait paraître belle : l’âge de 40 ans, si affreux à notre sexe, ne l’empêchait point d’être fort aimable. Elle avait une fraîcheur et un embonpoint qui lui pouvaient permettre de se compter au rang des plus belles dames de son royaume. »

La petite vérole, une pathologie qui fait fuir les plus courageux

Le 10 novembre 1647, la petite vérole du roi Louis XIV se fait annoncer. « Toutes les jeunes personnes qui prétendaient en beauté ou celles qui n’avaient point eu cette maladie, quittèrent le Palais-Royal. » N’écoutant que son courage, Mme de Motteville resta fidèle au poste. Précisons, toutefois, que cette belle dame avait déjà contracté le méchant virus auparavant. Afin de se faire mousser, elle nous indique incidemment qu’il n’est pas rare qu’on attrape deux fois cette terrible maladie ! Si Mme de Motteville est courageuse, elle n’est, cependant, pas téméraire ; elle se garde bien, dans ces conditions, de pénétrer dans la chambre de l’auguste malade.

Oui, il est bien plaisant de se balader au bras de Mme de Motteville. Celle-ci connaît toutes les ficelles de la cour. Avec elle, on peut se glisser tout aussi bien dans la ruelle de la reine que dans sa salle de bain. On y respire les parfums entêtants chers à Anne d’Autriche,2 on y goûte les sucreries préparées en l’honneur du roi de Pologne (« bassins remplis d’oranges douces, de citrons doux et de confitures »), on s’y rafraichit lors de baignades interminables dans les bras de la Seine…

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, grâce à qui, aujourd'hui, nous pouvons voir Anne d'Autriche au bain...

Bibliographie

1 Mémoires de Mme de Motteville sur Anne d’Autriche et sa cour, Elibron classics, 417 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-grande-mademoiselle-ou-les-coulisses-de-la-cour-de-louis-xiv-183/

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