> 11 juin 2022
Au Val-Aimé, une petite plage bretonne, les vacances s’éternisent pour quelques Parisiens surpris par la déclaration de guerre (la Seconde).1 Trop jeune pour s’engager et se couvrir de gloire, Antoine trépigne en lisant Les jeunes filles de Montherlant2 et en imaginant, sur sa peau, des cicatrices témoignant de son courage au combat. Pourtant, Antoine n’est encore qu’un enfant, un enfant qui découvre l’amour et la trahison - l’innocente Sophie n’a, en effet, pas mis longtemps à coucher avec son professeur de Français (sans permission !) et avec un soldat polonais en permission. De quoi, évidemment se mettre en colère !
Sophie est une jeune fille qui ressemble à « un nuage »… c’est du moins ce qu’elle susurre à l’oreille d’Antoine (« Sur une photo qu’il avait faite, mon parrain a été surpris par la ressemblance d’un nuage et de mon profil). Une jeune fille bien soigneuse qui se démaquille après s’être maquillée pour la fête de l’école (la St Charlemagne) et se parfume « légèrement ». Une jeune fille qui se met à brunir lorsque le professeur de gymnastique emmène sa troupe d’élèves s’oxygéner sur les falaises voisines. Un hâle superbe, homogène, qui n’épargne que la zone du maillot (« des traces blanches de maillot de bain »). Une jeune fille toute fraîche !
Sophie possède de longs cheveux, relevés « à la mode » « d’un coiffeur de Saint-Brieuc » ! On dirait presque une dame. Une dame qui commande à Antoine, lui intime l’ordre de se brosser les dents comme pourrait le faire toute épouse accomplie.
Amoureux de Sophie, Antoine soigne sa toilette pour elle et elle-seule. Lorsqu’elle s’absente, Antoine se laisse aller. « Il ne se rasa pas. Un coup de peigne suffit. Ses dents, il les lavait du bout de la brosse. Depuis trois mois c’était pour Sophie qu’il se faisait beau. C’était pour elle qu’il soignait même les régions de son corps qu’elle n’atteignait pas, ses coudes par exemple, qu’il ponçait. »
Amoureux de Sophie, Antoine n’est, cependant, pas prêt à tout pour elle. Pas question, par exemple, de rejoindre la troupe de théâtre pour lui faire plaisir. « Il s’anima pour lui expliquer qu’il crèverait plutôt que de se montrer avec le rose de sa mère aux joues devant des familles attendries et un corps enseignant souriant. »
Paule est une intellectuelle âgée de 24 ans, qui met du rouge sur ses lèvres et fume avec un fume-cigarette. Ses cheveux sont magnifiques. Avec Antoine, elle ne dirait pas non ! Sauf qu’Antoine ne pense qu’à Sophie.
Sonia, une Polonaise, fiancée à un compatriote engagé auprès des soldats français, fait partie du petit cercle d’intimes de Paule, l’institutrice friande de lectures, que fréquente Antoine. Sonia maitrise mal le français et confond les termes « poudrière » et « poudrier » (ce poudrier « hideux », qui lui a été offert, pour son anniversaire, par Vladi, son fiancé « aux mains sales » et calleuses). Effectivement, dans ce petit cercle d’amis, c’est un peu une poudrière de sentiments !
En 1945, c’est le procès d’Antoine, un procès mal engagé. On comprend qu’Antoine n’a pas choisi le bon camp durant cette fichue guerre. Père et fils se retrouvent au parloir. Le père se souvient de l’enfant, de sa main dans la sienne (« Ta main dans la mienne »).
Une époque troublée, où les femmes se cachent derrière des nuages de poudre de riz, où l’on avale de la « poudre contre la constipation » lors d’un pique-nique mémorable, où l’on fuit sur les routes un ennemi invisible... Une histoire d’adolescent trahi, qui trahit son pays, sa famille, son père. Une histoire d’amour insondable, celle d’un père qui aime son fils, jusqu’à la fin, quoi qu’il ait fait.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !
1 Laurent J., Le petit canard, Les cahiers rouges, Grasset, 2009, 148 pages
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