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Un vernis à ongles rouge sang comme un pressentiment !

> 12 juin 2022

Un vernis à ongles rouge sang comme un pressentiment !

Une chambre partagée à deux, entre cousins presque frères. L’un douze ans (Sucker), l’autre seize (Pete).1 Le petit qui admire le grand, bouche ouverte. Le grand qui admire une fille de toute beauté, bouche ouverte, une fille qui se prénomme Maybelle et qui le méprise royalement. Des tensions, de la dureté... Pete délaisse Sucker, le malmène, le rudoie... si bien que le tendre Sucker devient dur comme du bois. Après une scène mémorable où Pete couvre Sucker d’injures, en beauté, le fossé entre eux deux se creusent... Désormais, Pete appelle son cousin Richard (c’est après tout son vrai prénom) ; celui-ci a dans le regard des reflets assassins !

Maybelle Watts, celle par qui tout arrive

Maybelle méprise magnifiquement Pete. C’est une très jolie blonde, d’un blond « lumineux ». Parfois lisses, parfois bouclés, ses cheveux sont disciplinés à l’aide d’une « sorte de laque ». Côté maquillage, ce sont ses ongles qui sont fascinants. « Pointus, très bien soignés, couverts d’un vernis rouge vif », ces ongles attirent l’œil comme des aimants. En classe, Pete ne regarde qu’elle. Ses mains « très petites, très blanches, à l’exception de ce vernis rouge » tournent les pages des livres d’école ostensiblement. Un petit doigt en l’air ! L’air de rien, Maybelle attire tous les regards « Elle rend dingue tous les garçons ».

Sucker, celui par qui tout peut arriver

Après la mort de ses parents qui ont péri dans un naufrage, Sucker a été recueilli par son oncle et sa tante. D’un naturel calme, il est capable de s’enfermer des heures entières dans la salle de bain, non pas pour se laver, mais pour « se raconter des histoires ». Admiratif de Pete, Sucker vit dans son ombre, jusqu’à ce qu’une fille vienne s’intercaler entre lui et sa source de lumière. Méprisé par celui qu’il aime comme un frère, Sucker se met alors à grandir trop vite... et en vient à « tripoter » le « rasoir neuf » de Pete, jusqu’à s’en faire une « longue entaille » sur la joue.

Du Mercurochrome, comme peinture de guerre

Pour une fille, Pete et Sucker ont déterré la hache de guerre. Sur la porte de la chambre commune, Sucker a peint ses mots au Mercurochrome : « Malheur à l’étranger qui s’aventure en ces lieux » et ajouté des « os croisés en guise de signature ».

Sucker, en bref

En quelques pages, Carson McCullers dresse le tableau noir d’un amour contrarié. Je t’aime... moi non plus... Pete aime Maybelle, qui ne l’aime pas. Sucker aime Pete à un point pas croyable. Entre le déficit d’amour d’un côté et l’excès d’amour de l’autre, le fléau de la balance de Pete s’est mis à débloquer complètement... Au lieu de pencher du côté du sentiment le plus lourd, le plus fort, le fléau déboussolé s’est penché vers le plateau couvert de plumes. Dommage et même plus que dommage pour ces deux garçons qui vivront désormais comme des ennemis mortels.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !

Bibliographie

1 Mc Cullers C., Sucker in Le cœur hypothéqué, Le livre de Poche, 342 pages, 2017

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