> 24 avril 2024
Pour sentir bon, sans doute. Pour se sentir mieux, vraisemblablement… Non, pas du tout, vous avez bien lu ! Il n’y a pas de faute de grammaire. On souhaite bien dire qu’il est maintenant possible d’utiliser des cosmétiques pour agir sur les mécanorécepteurs, responsables du sens du toucher. Pour affiner son sens du toucher (pour mieux sentir les différences de rugosité d’une plaque de matière plastique, par exemple), il convient d’hydrater sa peau (çà, c’est sûr), mais il convient également d’y appliquer le parfum le plus adapté, afin d’aiguiser notre sens tactile, en allant stimuler des récepteurs olfactifs logés… dans la peau et non pas seulement au niveau nasal, comme on a trop tendance à le croire.
Une huile parfumée est donc l’allié idéal de notre peau, de nos récepteurs. Pas n’importe laquelle, toutefois. Il faut choisir le parfum qui sera capable de nous permettre de gagner en capacités tactiles et donc de gagner n’importe quel jeu se passant dans une boite noire.
L’étude qui est en ligne depuis le 29 juin 2023 vient d’attirer notre attention. Cette publication émane d’un laboratoire de neuroscience de Marseille et de chercheurs des laboratoires Clarins.1
On vous met au parfum.
Les produits testés sont, d’une part, une huile de noisettes, de base, toute nue, ne renfermant que les composants habituels de toute huile de noisette qui se respecte et d’autre part, une huile mise au point par les laboratoires Clarins, une huile apppelée Orchidée bleue peaux déshydratées, composée d’huile de noisettes, additionnée de patchouli (Pogostemon cablin), d’un peu d’huile de tournesol et d'un extrait d’orchidée bleue, protégée de l’oxydation par de l’acétate de tocophérol.
Les huiles ont été appliquées (la dose n’est pas mentionnée), tous les jours, pendant un mois, au niveau de 4 zones contrôlées (l’index, la paume des mains, l’avant-bras et la joue) de volontaires (22 femmes différentes dans chaque cas, d’âge compris entre 40 et 60 ans). Dans le cas de l’huile parfumée, il semble que l’on gagne en sensibilité tactile. Ce n’est toutefois pas criant !
Au niveau des explants cutanés étudiés, l’expression du récepteur olfactif OR2A4 est significativement plus élevée dans 3 cas sur 4 dans le cas d’une huile parfumée et dans un cas sur 4 dans le cas de l’huile de base. Un récepteur olfactif qui, en étant stimulé, provoque une augmentation de la réactivité des capteurs tactiles, qui sont alors capables d’ouvrir grand leurs oreilles, afin de détecter le plus petit murmure !
Après un mois d’application d’une huile cosmétique, on constate que la peau est mieux hydratée. Il semble que l’acuité tactile soit également augmentée. Il est bon de savoir que les kératinocytes humains expriment le récepteur olfactif OR2A4, qui peut être activé par des molécules odorantes ; il s’ensuit une augmentation de la prolifération kératinocytaire, entre autres. Il y a donc un lien entre molécules volatiles et bon fonctionnement au niveau cutané.2
Pour expliquer cela, il faut savoir que les récepteurs olfactifs (OR) ont été identifiés, chez le rat, par Linda Buck et Richard Axel, en 1991 et, qu’un an plus tard, Parmentier et ses collaborateurs mettaient en évidence le même type de récepteurs dans des cellules germinales. Dès lors, de nombreux chercheurs ont eu à cœur de mettre en évidence des récepteurs ectopiques, siégeant dans l’ensemble du corps.3
Ces récepteurs olfactifs ne sont donc pas localisés que dans le nez ; on en trouve au niveau de différents organes comme la muqueuse intestinale, la prostate, le foie…4 On en trouve également au niveau cutané (récepteurs OR2A4 et OR51B5, entre autres)5 et l’activation de ceux-ci pourrait agir sur la mélanogenèse6 et sur la kératinisation, en fonction de leur localisation (expression au niveau des mélanocytes et/ou au niveau des kératinocytes suprabasaux).7 Certains récepteurs (cas du récepteur OR2AT4) pourraient, même, permettre d’agir sur le cycle pilaire et favoriser la pousse des cheveux.8,9
L’aromathérapie qui s’adresse au nez… pourrait donc désormais s’adresser à d’autres organes, susceptibles de communiquer avec des molécules odorantes10 et ce, d’autant plus, que l’on sait qu’un certain nombre de pathologies sont à mettre en lien avec l’activation de ces récepteurs particuliers (on citera à titre d’exemple les récepteurs Olfr15 et Olfr109, dont l’activation stimule ou inhibe la production d’insuline).11 Ceci n’est qu’un exemple, choisi parmi tant d’autres.
Dans l'œuvre Le petit prince, paru le 6 avril 1943, Antoine de Saint Exupéry décide de brouiller la réalité sensorielle, pour nous faire comprendre qu’il ne faut pas uniquement se fier à ses yeux pour aimer le monde qui nous entoure. « On ne voit bien qu’avec le cœur » !
La lecture de la publication émanant du groupe Clarins, nous donne envie, aujourd’hui, d’adapter cette formule mythique et de la transposer au sujet qui nous préoccupe aujourd’hui. Il semblerait bien, en effet, qu’on ne sente pas qu’avec le nez ! Ce qui explique pourquoi l’on utilise l’expression « se sentir bien dans sa peau », sans savoir exactement pourquoi.
Les cosmétiques ont désormais le dos large. Ils permettent depuis fort longtemps de se laver, de prendre soin de soi, de se maquiller. Ils permettent, désormais, de véhiculer des messagers olfactifs, capables de commander à nos cellules les plus intimes. Une information délirante, passionnante, inquiétante aussi, lorsque l’on sait qu’il existe des milliers de molécules parfumées et une infinité de combinaisons possibles, aboutissant à des parfums complexes.12 Désormais, et visiblement les chercheurs s’en occupent depuis une vingtaine d’années, il convient de jouer les Champollion, afin de décrypter le langage secret de la rose, du patchouli, du jasmin… Apprendre le langage des molécules odorantes permettra sûrement de les apprivoiser, afin de les marier pour le meilleur, toujours, mais jamais pour le pire !
1 Samain-Aupic L, Gilbert L, André N, Ackerley R, Ribot-Ciscar E, Aimonetti JM. Applying cosmetic oil with added aromatic compounds improves tactile sensitivity and skin properties. Sci Rep. 2023 Jun 29;13(1):10550
3 Maßberg D, Hatt H. Human Olfactory Receptors: Novel Cellular Functions Outside of the Nose. Physiol Rev. 2018 Jul 1;98(3):1739-1763
4 Mur L, Perrin A, Lebleu A, Labourasse L, Plaza C, Meyrignac C, Capallere C, Botto J, Imbert I. 421 Involvement of olfactory receptor OR2AT4 in skin aging and the response to environmental pollution. J Invest Dermatol.2022 ; 142 (8) :S72
5 de Arriba M, M. Carretero, N. Illera, A. Holguin, B. Duarte, S. Llames, Á. Meana, A. Garcia-Martín, M. Escamez, del Río M. 169 Olfactory receptors in skin. Localization, specific expression pattern and their potential role in wound healing. J Invest Dermatol. 2017 ;137 (10) Supplement 2 :S221
6 Wojcik S, Weidinger D, Ständer S, Luger T, Hatt H, Jovancevic N. Functional characterization of the extranasal OR2A4/7 expressed in human melanocytes. Exp Dermatol. 2018 Nov;27(11):1216-1223
7 Tsai T, Veitinger S, Peek I, Busse D, Eckardt J, Vladimirova D, Jovancevic N, Wojcik S, Gisselmann G, Altmüller J, Ständer S, Luger T, Paus R, Cheret J, Hatt H. Two olfactory receptors-OR2A4/7 and OR51B5-differentially affect epidermal proliferation and differentiation. Exp Dermatol. 2017 Jan;26(1):58-65
8 Edelkamp J, D. Pinto, H. Erdmann, T. Purba, F. Jiménez, R. Paus, Bertolini M. 572 Olfactory Receptor 2A4/7 Activation by the Fragrance, Cyclohexyl Salicylate, Promotes Human Hair Follicle Growth and Stem Cell Progeny Expansion. J Invest Dermatol. 2022 ;142 (12) Supplement :S279
9 Edelkamp J, D. Pinto, H. Erdmann, T. Purba, F. Jimenez, M. Bertolini, Paus R. 732 Treatment with cyclohexyl salicylate, an olfactory receptor 2A4/7 agonist, promotes human hair follicle growth and bulge stem cell progeny expansion. J Invest Dermatol. 2022 ;142 (8) Supplement :S126
10 Duroux R, A. Mandeau, Y. Quesnel, Loing E. 602 Discovery of new olfactory receptors in human keratinocytes: A potential role on skin stress response. J Invest Dermatol. 2020 ;140 (7) Supplement :S82
11 Wu C, Xu M, Dong J, Cui W, Shuguang Yuan S. The structure and function of olfactory receptors. Trends Pharmacol Sci. 2024,45 (3) :268-280
12 Kuroda S, Nakaya-Kishi Y, Tatematsu K, Hinuma S. Human Olfactory Receptor Sensor for Odor Reconstitution. Sensors (Basel). 2023 Jul 5;23(13):6164
Huile Orchidée Bleue Clarins : CORYLUS AVELLANA (HAZEL) SEED OIL, POGOSTEMON CABLIN OIL, LINALOOL, PARFUM/FRAGRANCE, LIMONENE, HELIANTHUS ANNUUS (SUNFLOWER) SEED OIL, COUMARIN, EUGENOL, CITRAL, ORCHID EXTRACT, TOCOPHERYL ACETATE
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