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Une histoire pas très catholique de crème de jour pour masquer une rougeole !

> 16 mai 2024

Une histoire pas très catholique de crème de jour pour masquer une rougeole !

Après l’opus Treize à la douzaine,1 qui permet au lecteur de découvrir une famille nombreuse à l’organisation irréprochable, Franck et Ernestine, deux enfants de la fratrie se chargent de nous raconter la suite d’une histoire qui s’est terminée par la mort du père.2 Désormais, il va falloir que la mère de famille arrive à faire bouillir la marmite, afin de permettre à chacun de ses enfants de faire des études supérieures. L’ingénieure spécialisée dans la rationalisation des mouvements dans le domaine industriel va devoir se retrousser les manches, afin de mener à bien son projet de vie. Et elle va y réussir pleinement, aidée en cela par des enfants aimants et inventifs !

Un modèle écologique

Par souci d’économie, « toute lampe allumée ou tout robinet ouvert » intempestivement est taxé. Des amendes sont distribuées afin que chacun ne perde jamais de vue la nécessité d’économiser l’eau et l’énergie. Et cela fonctionne plutôt bien !

Un modèle militaire

Le père de famille a habitué sa tribu à une obéissance totale en ce qui concerne les règles d’hygiène, entre autres. Dans un emploi du temps affiché sur les murs, Papa avait établi un roulement pour que chacun puisse se « brosser les dents », sans gêner son voisin. Il faut dire qu’il n’y a que deux salles de bain dans la maison, l’une pour les filles, l’autre pour les garçons.

Un modèle hospitalier

Quand la rougeole s’abat dans la maison personne n’y échappe. La paisible maisonnée se transforme en hôpital de campagne !

Ernestine, qui doit passer le lendemain son examen d’entrée à l’Université, se voit obligée de remettre cela à plus tard. Elle qui comptait masquer ses plaques rouges sous « une bonne couche de crème et de poudre » n’obtient pas l’aval du médecin de famille pour cette supercherie.

Tom, le domestique à tout faire, aimerait bien jouer les médecins, mais Papa a toujours été très strict à ce sujet : pas de remèdes sans ordonnance !

Un modèle laxatif

Le Dr Burton a exigé que Tom surveille le bon fonctionnement des intestins de l’ensemble de la fratrie. « Surtout, pas de constipation. » Afin d’éviter cela Tom passe son temps à se balader dans la maison avec un plateau, sur lequel il dispose des verres de jus d’orange mêlé… d’huile de ricin.

Un modèle pudique

Lorsqu’il s’agit de prendre des vacances au bord de la mer, il faut penser à emmener des maillots de bain très pudiques pour les filles. Un maillot de bain deux pièces pas comme on l’entend de nos jours. Un maillot deux pièces, car composé de deux épaisseurs destinées à être superposées l’une sur l’autre !

Un maillot de bain qui protège des regards et du soleil… mais qui permet tout de même d’obtenir une mine superbe et hâlée !

Un modèle avant-gardiste

Lillian Gilbreth est, selon ses enfants, une pionnière en matière d’agencement domestique. La cuisine équipée où tout est à portée de main est née dans son esprit ingénieux. « C’est ainsi que maman fut la première à concevoir l’organisation d’une cuisine modèle, comparable à celles que l’on voit aujourd’hui dans tant d’immeubles. » Une idée avant-gardiste en cette année 1924 !

Un modèle hors de contrôle

Dans certaines circonstances, la famille part en vrille. C’est le cas, par exemple, lorsque la cuisinière de la famille impose tous les soirs un régime à base de soupe de palourdes pêchées sur la plage. Franck saisit son bol et l’envoie sur la tête d’Ernestine, donnant ainsi le signal d’une bagarre généralisée. Il faut alors, ensuite, organiser un bain de mer pour tout le monde, car la maison de vacances ne dispose ni de baignoire, ni de douche. « Comme nous n’avions ni baignoire ni douche à la maison, notre père ayant estimé qu’il était plus sain de se baigner dans l’eau salée, il nous fallut descendre à la plage pour nous laver. » Et il faut bien un lavage énergique pour nettoyer les cheveux, « englués de soupe et de palourdes. »

Un modèle malicieux

Lorsque les filles commencent à avoir des soupirants, ceux-ci doivent être adoubés par l’ensemble de la famille, afin de pouvoir continuer à courtiser la jeune demoiselle en question. L’odieux Allan Parker, le soupirant d’Anne aux cheveux « laqués », est ainsi mis en déroute par les garçons de la maison, qui ne jugent pas cette fréquentation à leur goût. Alors que le jeune Allan vient passer un week-end dans la maison familiale, les garçons s’ingénient à lui rendre la vie impossible. Tout le monde se met ainsi au bain, dans la journée, afin que soit épuisé le ballon d’eau chaude, le soir ; puis, l’on dévisse la targette de la porte de la salle de bain, afin de pouvoir entrer à tout bout de champ dans celle-ci, lorsqu’Allan sera nu comme un ver. Tous les garçons défilent ainsi, à tour de rôle. Franck repasse même deux fois, dont une, déguisé en fille, enroulé dans une robe de Marthe, avec des « bas de soie » et des chaussures à hauts talons ! Et cela fonctionne bien… Al décampe rapidement jugeant, sans doute, qu’il vient de mettre les pieds dans une maison de fous !

Pour Bob, le second soupirant, tout ira beaucoup mieux ; le jeune médecin fera la conquête de l’ensemble des enfants en un rien de temps.

Un modèle hygiénique

Pas question de s’asseoir sur la table de la cuisine… dixit Tom. C’est là, qu’il mange ! Alors, évidemment, dès qu’il trouve un intrus installé sur sa table, il s’arme « d’un torchon et d’un morceau de savon », afin de la récurer et de l’aseptiser ! Il faut dire que Tom est un tantinet hypochondriaque, craignant les microbes plus que tout. Son remède fétiche : « l’élixir de quinine » !

Un modèle classique

Après avoir été une mère attentive, Lillian devient une grand-mère attentive, refaisant, avec ses petits-enfants, les gestes d’autrefois. « Tandis que maman baignait et poudrait nos enfants, et qu’elle leur donnait leur lait ou leur bouillie, elle semblait plus gaie et plus heureuse que nous ne l’avions jamais vue depuis la mort de notre père. »

Six filles à marier, en bref

Une famille reçue par le Président Hoover, des enfants rompus à l’art d’obéir… une vie réglée comme du papier à musique, depuis le lever, jusqu’au coucher. Des bains et des douches chronométrés, un art consommé de l’économie. Franck et Ernestine nous dévoilent un modèle éducatif original, dans lequel chacun est à sa place et où les robinets ne gouttent jamais bien longtemps. Savoureusement désuet !

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/comment-gagner-du-temps-sous-la-douche-reponse-d-un-manager-engage-1432/

2 Gilbreth F. et E., Six filles à marier, Idéal bibliothèque, Hachette, 1958, 189 pages

 

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