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Une histoire où l’on voit le double de cosmétiques par rapport à d’habitude !

> 08 juin 2024

Une histoire où l’on voit le double de cosmétiques par rapport à d’habitude !

L’histoire commence un mois de novembre très pluvieux à Paris (« Pantruche »).1 Alors que le commissaire San Antonio vient de s’installer dans une salle obscure, histoire de se faire sécher le paletot, un « gnace vient déposer son pétrousquin » sur le fauteuil libre sur lequel le commissaire vient de placer, avec un soin tout amoureux, son « bitos » trempé. Le gars, qui a eu l’outrecuidance d’écrabouiller le chapeau du commissaire, est un gars du milieu, bien connu des services de police. Voilà un début prometteur, lorsque l’on connaît le caractère sourcilleux du bonhomme. De fil en aiguille, San Antonio se met à nous tricoter une chouette d’histoire de contre-espionnage. Il faut à tout prix y voir clair ! Avec les lunettes de Frédéric Dard, pas de soucis, on ne risque pas la myopie !

La nouvelle mission de San Antonio

Le grand patron a fait appeler San Antonio, afin de lui confier une mission de choix. Il s’agit de mettre en lieu sûr une « formule concernant la fameuse fusée Stevens ». Cette formule a fuité ; il s’agit pour San Antonio de mettre la main sur la taupe, qui vit dans l’entourage du professeur Stevens, le grand savant à l’origine de cette invention. Attention à ne pas avoir la berlue !

Ferdinand, l’as du cambriolage !

Le gars qui a eu l’audace d’écraser le chapeau du commissaire se prénomme Ferdinand. C’est un as en ce qui concerne l’ouverture professionnelle des portes d’entrée et de coffre-fort. Il ne se sépare jamais d’une « petite trousse de voyage en cuir », qui ne contient, bien évidemment, « ni rasoir ni savonnette », mais renferme, en revanche, tout un arsenal d’objets de précision de serrurerie.

Ce gars a été contacté, il y a peu, par une jeune fille qui lui a proposé un marché. Forcer un coffre-fort, ne rien prendre dedans, se tailler après le plus vite possible !

Une mission simple. Une mission qui se termine, pour notre brave truand, dans une mare de sang !

Et forcément, San Antonio, intrigué par tout cela, va se mettre sur la piste de ceux qui ont mis fin à la vie du brave Ferdinand.

Et forcément, la bande d’espions qui est derrière cela va essayer d’avoir sa peau, à plusieurs reprises, tant le fin limier se rapproche de la vérité à vitesse grand V.

Héléna Cavarès, l’as de l’espionnage

Héléna Cavarès est la secrétaire du professeur Stevens. C’est forcément elle qui est suspectée en premier et ce, à raison ! Une fille au physique « sensationnel » avec des cheveux soyeux « roulés en demi-couronne » et des yeux de biche…

Une fille, présentée par les uns comme casanière et qui, en filature, mène tout droit San Antonio vers un établissement de plaisir dirigé par une « dame d’aspect trop respectable », « la bouche en issue d’œufs ». Un établissement, dans lequel la belle Héléna se retrouve, très vite, en position horizontale, en galante compagnie, avec un certain M. Maubourg. Petit intermède grivois pour le commissaire, qui observe toute la scène, depuis un trou pratiqué dans le mur de la chambre voisine.

Sur l’oreiller de la belle Héléna, le commissaire prélèvera, ultérieurement, des cheveux… « Je les ramasse, non que j’aie l’intention de m’en faire tricoter un passe-montagne, mais quelque chose attire mon attention. Je m’aperçois que les crins de la pauvre môme Héléna n’étaient pas bruns à l’origine, mais d’un blond vénitien. Elle se faisait teindre comme la plupart des souris. Près de la racine, les cheveux sont brillants comme des fils d’or rouge. » Et le commissaire de s’interroger. Il faut vraiment être une « gonzesse déplafonnée pour se faire peinturer la tignasse », lorsque l’on possède une telle teinte de cheveux. Et pour cause, cette Héléna n’est pas la bonne, la vraie, l’unique. C’est un sosie dont on a bricolé le physique afin d’augmenter la ressemblance !

Il est bon de préciser que la belle Héléna (la vraie !) n’est pas hermétique aux cosmétiques, puisqu’elle utilise un parfum caractéristique qui la fait repérer de loin.

Elle est également munie de bas très spéciaux. Des bas « imprimés en braille », sur lesquels les spécialistes du domaine arriveront à lire les formules du professeur Stevens.

Le sosie d’Héléna Cavarès, l’as du maquillage

Dans cette enquête qui fait naviguer le commissaire d’un bar à un hôtel louche, en passant par la maison chic d’un savant atomiste, il va y avoir des rebondissements à volonté. San Antonio est envoyé sur une fausse piste dans une maison abandonnée à Louveciennes. Là, dès les premiers pas, il bute sur le cadavre de la belle Héléna (la fausse, la rousse, celle qui se teinte) et se retrouve aux prises avec la belle Héléna (le vraie, la perfide, l’espionne de grande classe) !

Le Champignon-Bar, un véritable nid d’espions

Dans ce bar, San Antonio flirte avec la demoiselle du vestiaire (celle-ci se parfume à l’eau de Cologne) et obtient d’elle de monter à sa chambre, pour attendre la fin de son service. San Antonio espère bien lui tirer les vers du nez. Il n’y arrivera pas puisqu’on tente, à cette occasion, de le faire succomber à une fuite de gaz.

Le patron du Champignon-bar, un certain Schwartz, « un brun » aux yeux bleus et à la « peau très blanche », est, avec Héléna, le cerveau d’une entreprise d’espionnage ! C’est lui qui a eu l’idée de maquiller une de ses danseuses roumaines en secrétaire franco-française.

Et le professeur Stevens, dans tout ça ?

Et bien lui aussi possède son sosie. Le vrai professeur a été escamoté ou plus exactement trucidé. En lieu et place notre bande d’espions a eu recours à un sosie !  Et de deux !

Et où le lecteur se fait encore injurier

Le lecteur, une fois de plus, se fait traiter de tous les noms par un Frédéric Dard survolté qui trouve que son lectorat n’est pas très vif en matière de comprendo. Et voilà les lecteurs traités de « belle bande de mous-de-la-tronche » ! Les pas « dégourdis » que nous sommes sont traités, avec mépris, par un écrivain qui mitraille les informations et transforme notre cerveau en véritable passoire. Et Frédéric Dard de se moquer de notre « sacrée logique en fonte renforcée ». Et d’en rajouter une couche en évoquant notre « mentalité d’encéphale - ferrugineux - antidérapant » !

Et où François Mauriac en prend pour son grade

Un auteur ennuyeux, si l’on en croit la comparaison qui est faite ici avec un « corsage », qui « bâille comme un crocodile occupé à lire un roman de Mauriac » ! La femme, dont le cou sort de ce corsage, n’est guère séduisante ; elle a, outre des formes tombantes, des « sourcils épilés comme un derrière de singe » !

Et où le savon est évoqué de diverses façons

Très propre, San Antonio ne manque aucune occasion de se laver « les paluches » ; pour ce faire, il utilise une bonne dose de « baveux » (de savon) ! Il n’oublie pas, à l’occasion, de courtiser la demoiselle du vestiaire, qui lui sourit « comme la vache de Monsavon » !

Et où San Antonio se voit sur un petit nuage rose

Dans cette enquête, on ne peut pas dire que San Antonio ait beaucoup le temps de dormir. De filature en filature, le pauvre n’a guère le temps de roupiller. Il réussit, toutefois, une fois, une seule, à dormir paisiblement. Un joli rêve l’accompagne. « Des lèvres rouges se mettent à voleter » autour de lui, « comme des papillons ». Malheureusement, au moment où San Antonio arrive à se reprocher de l’une de ces lèvres pulpeuses… la sonnerie stridente du téléphone retentit, brisant ainsi le charme !

Et où l’on utilise une expression douteuse pour mettre en avant le flair de San Antonio

Le fait de payer un truand pour ouvrir un coffre-fort sans rien voler dedans… du « maquillage », qui cache « la crotte au chat », en langage imagé !

Et où l’on utilise une expression douteuse pour parler d’un mort

« […] personne ne peut plus rien pour lui, excepté le menuisier qui lui fera un pardessus en planches avec de belles poignées en métal argenté. »

Mes hommages à la donzelle, en bref

Quelle affaire que celle qui utilise deux sosies pour le prix d’un. Derrière cette ténébreuse affaire, se cache le cerveau d’une femme, celui d’Héléna. Une femme prête à tout pour livrer à l’ennemi les plans d’une fusée mise au point par un savant anglais, sur la terre de France. La pauvre Héléna finira mal. San Antonio lui a promis la vie sauve, contre remise des formules nécessaires pour faire fonctionner une fusée ; il a promis… lui. Pas ses collègues. A peine libérée, déjà reprise. San Antonio, galant, conclut : « Présente-lui mes hommages » ! Mes hommages à la donzelle !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Dard F., San Antonio Tome 1, Mes hommages à la donzelle, Bouquins la collection, Paris, 2010, 1241 pages

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