Nos regards
Une gamme alchimique qui transforme notre enthousiasme en déception !

> 23 mars 2022

Une gamme alchimique qui transforme notre enthousiasme en déception !

Un passage au Bon Marché et c'est l'occasion d'y trouver des cosmétiques originaux. En matière d’originalité, ça fonctionne plutôt bien avec Maison Flamel,1 une « Maison de Beauté inspirée de l’alchimie ». Saturées de cosmétiques bio, vegan, clean, slow, éthique… nous avons tourné nos regards, avec étonnement, vers une gamme qui nous parle de « rencontres », de « fulgurance », de « Saint Germain des Prés » et d’alchémille. Du nouveau, du « pas commun » ! Des cosmétiques alchimiques qui transforment une peau morose, flagada, terne, déprimée… en peau joyeuse, rebondie, rayonnante et pleine d’optimisme... Un programme qui risque d’en séduire plus d’un... Reste à savoir ce qui se cache derrière Nicolas Flamel et derrière ces cosmétiques !

Ces produits formulés sans certains ingrédients (« 0% parabène, phénoxyéthanol, silicone, alcool, PEG, EDTA, SLS, phtalates ») sont formulés avec d’autres.... oui, mais quels autres ?

La référence à Nicolas Flamel

Quelle légende que celle qui entoure la vie de Nicolas Flamel et de son accorte épouse, Dame Pernelle ! Ecrivain public, maître d’écriture pour les enfants de la cour, libraire, brocanteur et usurier, Nicolas a pu, à certains moments de sa vie, voir passer entre ses mains des documents bien étranges. Fabriqués en écorces d’arbres recouverts de signes cabalistiques, ces ouvrages traitaient certainement d’alchimie et ont, sans doute, tenté notre touche-à-tout qui, entre deux récréations ou deux vides-greniers, devait trouver le temps bien long. Pour s’occuper, Nicolas bidouille, soit-disant, des recettes-maisons (le DIY du XIVe siècle, en somme) et tente de fabriquer de l’argent ou de l’or. Son avoir est important, mais semble plus dû à sa constance au travail qu’à sa capacité alchimique. Oui, dans un sens, tout ce que touche Nicolas devient de l’or, si l’on en croit ses biographes qui se plaisent à comptabiliser toutes ses possessions (malin le Nicolas, qui investit dans la pierre avec beaucoup de pragmatisme) et à montrer sa générosité à l’égard des œuvres de l’Eglise (Nicolas finance des travaux au niveau d’un cimetière et de différents édifices religieux parisiens). Il sait parfaitement qu’il est « poussière » et qu’il redeviendra poussière (c’est ce qu’il fera graver sur sa tombe), assure ses arrières en faisant montre de générosité à l’égard d’œuvres de charité. En bon littéraire, il aime à graver des sentences dans la pierre, pour orner de belle façon ses acquisitions.2

Un peu apothicaire, semble nous dire Eugène Guitard, sans trop y croire, en évoquant, au sujet de Nicolas Flamel, un élixir de longue vie, susceptible de réveiller des morts.3 En tout cas alchimiste à retardement puisque les écrits qui lui sont attribués sont, en réalité, des faux.4 En effet, c’est bien après sa mort, que certains écrivains, exploitant sa belle notoriété, se mirent à le faire parler et à évoquer tous ses secrets alchimiques.5

Le gel micellaire sans défaut... ou presque

Nicolas Flamel pour la belle histoire... L’alchemille (Alchemilla vulgaris) qui se cache sous divers noms vernaculaires, « Manteau des dames, Pied-de-lion, Patte de lapin », une herbe de la famille des Rosacées poussant sur les terrains humides en Europe, pour la formulation du gel micellaire. Les parties aériennes de l’alchémille, du fait de leur richesse en tanins, sont utilisées, depuis longtemps en médecine traditionnelle, pour leurs propriétés astringentes. A l’actif des tisanes réalisées à partir de cette plante les inflammations de la bouche, les saignements de nez, les furoncles, les affections d’ordre gynécologique et gastro-intestinale... Et une belle réputation de « plante guérisseuse » « des plaies, des contusions, des ulcères »,6 de quoi faire rêver l’alchimiste cosmétique qui a décidé de transformer, dans son chaudron magique, les ingrédients cosmétiques en élixir de jeunesse permanente. A 3 % dans la glycérine, l’extrait d’alchémille est souverain pour traiter les aphtes, nous disaient les chercheurs de Naturveda-Vitro-Bio Research Institute (Lavaur, France) en 2006.7 En association avec le Chardon-Marie, la prêle et les germes de soja, l’alchémille ferait merveille également en matière de lutte contre la destruction des fibres élastiques de la peau (autrement dit ce cocktail végétal permet d’inhiber partiellement les enzymes de type élastases).8 Pour l’inventaire européen, l’extrait d’alchémille est un actif « astringent, conditionneur cutané »,9 ce dernier qualificatif étant employé chaque fois que l’on ne sait finalement pas trop quoi dire d’un ingrédient...

Outre cette alchémille, pleine de promesses, le gel micellaire renferme des humectants, propylène-glycol en tête,10 glycérine ensuite (à tout prendre on aurait choisi uniquement la glycérine),11 des tensioactifs non ioniques doux (un dérivé polyoxyéthyléné, un dérivé de sucre), des conservateurs antimicrobiens, un adaptateur de pH et du panthénol, ingrédient ubiquitaire et multi-tâches.12 Rien à redire pour ce produit nettoyant dont la composition ne révolutionne pas pour autant l’univers cosmétique.

Le sérum Cu2+, sans aucune retenue en matière d’incorporation de dérivés perfluorés

Et 1 (perfluorohexane)… et 2 (perfluoroperhydrophenanthrene)… et 3 (perfluorodecalin)… et 4 (perfluorodimethylcyclohexane)... dérivés perfluorés, pour ce « sérum triphasé anti-rides clean et actif ». Clean, hum, hum... il faut le dire vite ! Autant de dérivés perfluorés retrouvés au niveau de l’inventaire européen, mais sur lesquels la littérature scientifique reste muette en matière d’usage cosmétique…

En ce qui concerne le perfluorohexane, les publications retrouvées concernent le domaine médical avec des applications en matière de dépistage ou de traitement de certains cancers (thyroïde).13-15 ou de dépistage de cancers. Rien de très cosmétique donc !

Pour le perfluoroperhydrophenanthrène, c’est l’ophtalmologue qui lui trouve une application avec, depuis le début des années 1990,16,17 un emploi lors de la chirurgie vitréo-rétinienne.18 Pas très cosmétique non plus…

Toujours dans les années 1990, la perfluorodécaline est étudiée par des chercheurs japonais et américains ; un effet anti-ulcéreux est observé par les Japonais, grâce à des bains de pied proposés à des personnes souffrant de troubles ischémiques des extrémités,19 alors qu’un effet de renforcement de la barrière cutanée est objectivé par les Américains.20 Depuis lors, perfluorodécaline rime avec détatouage et actes de chirurgie esthétique. Des publications récentes vantent ainsi des patchs de perfluorodécaline pour abaisser la température de la peau lors du processus d’élimination des tatouages à l’aide d’un laser21 et pour accélérer le blanchiment des tatouages.22 Une crème à base de perfluorodécaline, en outre, administrée après des actes de chirurgie esthétique permet de réduire les effets indésirables post-opératoires.23 Un peu plus cosmétique, que le reste.

Pour le perfluorodimethylcyclohexane, grand silence !

Dérivés perfluorés et santé, dérivés perfluorés et environnement, autant de thèmes qui devraient être abordés par le CSSC, afin de clarifier la situation. En ce qui nous concerne, ces dérivés ne nous réjouissent pas plus que cela.

Pour le reste, le sérum qui porte le nom de « Cu2+ » renferme effectivement un sel de cuivre, le gluconate de cuivre, à la fois « agent conditionneur et protecteur ».24 On ne dispose que de peu d’informations concernant les vertus de ce sel, mis à part un effet cicatrisant observé in vitro.25

On dirait bien, ici, que Nicolas Flamel aurait comme des velléités de nous faire prendre les vessies cuivrées pour des lanternes perfluorées ! Une peau sur-oxygénée (les dérivés perfluorés sont les champions en matière de rétention de l’oxygène) voilà ce qui nous pend au nez !

Le baume alkémique, sans nigelle, sans curcuma SVP

Pour le baume alkémique, l’huile de nigelle (une huile fixe renfermant une certaine quantité d’huile essentielle pas forcément très bien tolérée)26 et l’extrait de curcuma, connu pour ses phyto-œstrogènes,27 ne nous donnent pas envie d’utiliser ce baume quotidiennement et pour toutes sortes d’usages…

Gamme Maison Flamel, en bref

Tout formulateur cosmétique doit être un bon chimiste, afin de pouvoir prévoir les réactions chimiques qui se produisent lorsque l’on mélange les ingrédients entre eux. Certains ingrédients s’apprécient, d’autres se contrarient ; le formulateur, maître du jeu, doit connaître leurs amitiés et inimitiés, afin de créer l’harmonie la plus parfaite au sein des solutions, émulsions, suspensions dont il a la charge. Tout formulateur cosmétique doit également être une sorte d’alchimiste, capable de transformer de vulgaires ingrédients en un produit cosmétique capable de faire rêver. Des alchimistes capables de transformer l’eau (soit elle infusée d’alchémille !) de la formule en or (en retombées pécuniaires)... Dans le cas présent, la démarche originale (ça nous change de tout ce que l’on voit à profusion) bute sur l’aspect toxicologique. C’est du moins notre avis !

Un grand merci à Jean-Claude Le Joliff pour avoir attiré notre attention sur cette gamme « alkémique » ! 

Bibliographie

1 https://www.maison-flamel.com/maison/

2 Marcel Aubert, La maison dite de Nicolas Flamel, rue Montmorency, à Paris, Bulletin Monumental, 1912, 76, pp. 305-318

3 Guitard Eugène-Humbert, La légende de Nicolas Flamel, pseudo-alchimiste : Léon Bocquat, in Æsculape, 1953, Revue d'Histoire de la Pharmacie, 1954, 141, pp. 286-28

4 Jean Hossard, « Médecins alchimistes » (Paris, Salpêtrière, 27 septembre-5 octobre 1964), Revue d'Histoire de la Pharmacie, 1964, 183, pp. 185-189

5 Frank Greiner, Livres alchimiques en quête d'auteurs, Littératures classiques 2013/1 (N° 80), pages 207 à 224

6 Tasić-Kostov M, Arsić I, Pavlović D, Stojanović S, Najman S, Naumović S, Tadić V. Towards a modern approach to traditional use: in vitro and in vivo evaluation of Alchemilla vulgaris L. gel wound healing potential. J Ethnopharmacol. 2019 Jun 28;238:111789

7 Shrivastava R, John GW. Treatment of Aphthous Stomatitis with topical Alchemilla vulgaris in glycerine. Clin Drug Investig. 2006;26(10):567-73

8 Benaiges A, Marcet P, Armengol R, Betes C, Gironés E. Study of the refirming effect of a plant complex. Int J Cosmet Sci. 1998 Aug;20(4):223-33

9 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=84594

10 Le propylène glycol, un humectant à utiliser avec mesure | Regard sur les cosmétiques (regard-sur-les-cosmetiques.fr)

11 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-propylene-glycol-un-humectant-a-utiliser-avec-mesure-1976/

12 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-panthenol-partout-est-son-nom-de-code-1693/

13 Wang F, Wang Z, Pang L, Wan S, Qiu L. Preparation and in vitro study of stromal cell-derived factor 1-targeted Fe3O4/poly(lactic-co-glycolic acid)/perfluorohexane nanoparticles. Exp Ther Med. 2020 Sep;20(3):2003-2012

14 Liu Y, Ma Y, Peng X, Wang L, Li H, Cheng W, Zheng X. Cetuximab-conjugated perfluorohexane/gold nanoparticles for low intensity focused ultrasound diagnosis ablation of thyroid cancer treatment. Sci Technol Adv Mater. 2021 Feb 1;21(1):856-866

15 Su YL, Fang JH, Liao CY, Lin CT, Li YT, Hu SH. Targeted Mesoporous Iron Oxide Nanoparticles-Encapsulated Perfluorohexane and a Hydrophobic Drug for Deep Tumor Penetration and Therapy. Theranostics. 2015 Aug 9;5(11):1233-48

16 Blinder KJ, Peyman GA, Paris CL, Dailey JP, Alturki W, Lui KR, Gremillion CM Jr, Clark LC Jr. Vitreon, a new perfluorocarbon. Br J Ophthalmol. 1991 Apr;75(4):240-4

17 Blinder KJ, Peyman GA, Desai UR, Nelson NC Jr, Alturki W, Paris CL. Vitreon, a short-term vitreoretinal tamponade. Br J Ophthalmol. 1992 Sep;76(9):525-8

18 Loewenstein A, Humayun MS, de Juan E Jr, Campochiaro PA, Haller JA. Perfluoroperhydrophenanthrene versus perfluoro-n-octane in vitreoretinal surgery. Ophthalmology. 2000 Jun;107(6):1078-82

19 Iwai T, Sato S, Yamada T, Muraoka Y, Sakurazawa K, Inoue Y, Kinoshita H, Endo M. A new treatment for ischemic ulcers: foot bath therapy using high oxygen soluble fluid. J Cardiovasc Surg (Torino). 1989 May-Jun;30(3):490-3

20 Stanzl K, Zastrow L, Röding J, Artmann C. The effectiveness of molecular oxygen in cosmetic formulations. Int J Cosmet Sci. 1996 Jun;18(3):137-50

21 Danysz W, Becker B, Begnier M, Clermont G, Kreymerman P. The effect of the perfluorodecalin patch on particle emission and skin temperature during laser-induced tattoo removal. J Cosmet Laser Ther. 2020 Apr 2;22(3):150-158

22 Reddy KK, Brauer JA, Anolik R, Bernstein L, Brightman L, Hale E, Karen J, Weiss E, Geronemus RG. Topical perfluorodecalin resolves immediate whitening reactions and allows rapid effective multiple pass treatment of tattoos. Lasers Surg Med. 2013 Feb;45(2):76-80

23 Gold MH, Nestor MS. A Supersaturated Oxygen Emulsion for Wound Care and Skin Rejuvenation. J Drugs Dermatol. 2020 Mar 1;19(3):250-253

24 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=33028

25 Tenaud I, Sainte-Marie I, Jumbou O, Litoux P, Dréno B. In vitro modulation of keratinocyte wound healing integrins by zinc, copper and manganese. Br J Dermatol. 1999 Jan;140(1):26-34

26 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-huile-de-nigelle-une-huile-matriochka-1433/

27 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-curcuma-et-ses-phyto-oestrogenes-de-quoi-reflechir-708/

Composition

Gel micellaire - gel démaquillant : AQUA/WATER (ALCHEMILLA VULGARIS INFUSION), PROPYLENE GLYCOL, GLYCERIN, POLOXAMER 188, CAPRYLYL/CAPRYL GLUCOSIDE, AQUA, CENTAUREA CYANUS FLOWER WATER, POLYACRYLATE CROSSPOLYMER-6, ALCHEMILLA VULGARIS EXTRACT, PANTHENOL, SODIUM BENZOATE, SODIUM LEVULINATE, SODIUM ANISATE, POTASSIUM SORBATE, CITRIC ACID, PARFUM, LIMONENE.

Sérum Cu2+ - sérum anti-rides et perfecteur : AQUA/WATER(1), C15-19 ALKANE, GLYCERIN, PERFLUOROHEXANE(2), PROPYLENE GLYCOL, PERFLUOROPERHYDROPHENANTHRENE(2), PERFLUORODECALIN(2), AVENA SATIVA (OAT) KERNEL EXTRACT, HYDROLYZED COLLAGEN,HYDROLYZED HYALURONIC ACID, SODIUM HYALURONATE, COPPER GLUCONATE, COPPER LYSINATE/PROLINATE, MAGNESIUM ASPARTATE, ZINC GLUCONATE, METHYLGLUCOSIDE PHOSPHATE, OXYGEN(2), ROSMARINYL GLUCOSIDE, TOCOPHERYL ACETATE, PENTYLENE GLYCOL, CARRAGEENAN, XANTHAN GUM, SODIUM ANISATE, SODIUM BENZOATE, SODIUM LEVULINATE, CITRIC ACID, PERFLUORODIMETHYLCYCLOHEXANE(2), PARFUM, GERANIOL, CITRONELLOL.

Baume alkémique - baume multi-usage : CAPRYLIC/CAPRIC TRIGLYCERIDE, STEARIC ACID, NIGELLA SATIVA (BLACK CUMIN) SEED OIL, BUTYROSPERMUM PARKII (SHEA) BUTTER, ALCHEMILLA VULGARIS (LADY’S MANTLE) EXTRACT, TOCOPHERYL ACETATE, FRAGRANCE, RETINYL PALMITATE, CURCUMA LONGA (TURMERIC) ROOT EXTRACT, HELIANTHUS ANNUUS (SUNFLOWER) SEED OIL, LINOLEIC ACID, TOCOPHEROL, BETA-SITOSTEROL, SQUALENE, LINOLENIC ACID.

 

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