Nos regards
Une cosmétique qui fait froid dans le dos !

> 04 janvier 2020

Une cosmétique qui fait froid dans le dos !

La première phrase du roman d’Amélie Nothomb Cosmétique de l’ennemi a tout pour nous plaire.1 « Cosmétique, l’homme se lissa les cheveux avec le plat de la main. Il fallait qu’il fût présentable avant de rencontrer sa victime dans les règles de l’art. »

Ce personnage « cosmétique » se nomme Textor Texel ; il est hollandais et a pris pour cible un brave homme d’affaires, Jérôme Angust, qui se retrouve coincé dans un aéroport pour quelques heures, du fait du retard de son avion, le 24 mars 1999. Alors que Jérôme s’apprête à tuer le temps, un bon livre à la main, Textor se plante devant lui, bien décidé à lui gâcher sa lecture. Rien de pire effectivement pour un amoureux des livres !

Textor est dégoulinant de confidences. Cet être abject a fait mourir un camarade de classe à l’âge de 8 ans, par l’unique force de sa pensée, simplement parce qu’il était populaire, contrairement à lui. A 12 ans et demi, pris de folie, il s’est mis à manger de la pâtée pour chats ; jeune homme, il a violé une jeune fille aux cheveux châtains et aux yeux bleus, rencontrée par hasard dans un cimetière. Textor ne fait aucun effort pour se mettre en valeur... Si ses cheveux sont bien ordrés ; sa vie, en revanche, relève du chaos.

Le viol pratiqué un 4 octobre est suivi d’un meurtre (celui de la jeune fille violée dix ans auparavant), le 24 mars 1989.

Textor explique à sa victime - Jérôme Angust - et aux lecteurs que son attitude, qui semble très éloignée de la raison, relève, en réalité, d’une « cosmétique rigoureuse et janséniste ». « Les produits de beauté » n’ont bien évidemment rien à voir avec la question. « La cosmétique, ignare (l’ignare est en l’occurrence Jérôme), est la science de l’ordre universel, la morale suprême qui détermine le monde. Ce n’est pas ma faute si les esthéticiennes ont récupéré ce mot admirable. »

Textor a, semble-t-il, choisi Jérôme selon une loi cosmétique. « Il eût été anticosmétique de débarquer en vous révélant d’emblée votre élection. »

Jérôme n’a vraiment pas tiré le gros lot. Textor s’avère être son ennemi intime, celui qui dort au plus profond de lui-même, depuis des années. Jérôme, l’homme d’affaires bien lisse, et Textor, l’ennemi aux cheveux bien lissés, constituent les deux faces de la même médaille.

Amélie Nothomb ne nous révélera pas la nature des cosmétiques retrouvés dans la trousse de toilette de l’homme d’affaires qui se suicidera le 24 mars 1999, dans un hall d’aéroport, sous les yeux horrifiés des passagers du vol pour Barcelone. Cet homme, assassin de sa femme Isabelle (mais est-on vraiment sûr qu’il s’agisse de l’assassin ?) a écouté la voix « cosmétique » qui lui intimait l’ordre de supprimer le fauteur de trouble.

A défaut de connaître le nom du dentifrice, du gel à raser ou du déodorant de « l’ennemi », on apprend ici que, pour Amélie Nothomb, le mot « cosmétique » se réfère à la morale. Elle nous permet ainsi, avec brio, d’étoffer la liste des définitions consacrées à ces produits qui ne laissent personne indifférent.2

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration de ce Regard !

Bibliographie

1 Nothomb A. Cosmétique de l’ennemi, Le livre de Poche, Albin Michel, 2019, 122 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/exercices-de-style-a-la-maniere-de-raymond-queneau-autour-de-la-definition-du-cosmetique-672/

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