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Un rouge à lèvres antiseptique pour des fêtes aseptisées !

> 27 décembre 2023

Un rouge à lèvres antiseptique pour des fêtes aseptisées !

En décembre 2022, quelques articles de presse discrets ont fait état d’une découverte d’intérêt cosmétique et médical. Des chercheurs venaient, nous disait-on alors, de mettre au point le premier rouge à lèvres antiseptique de l’humanité. Suite à la pandémie traversée, ce rouge à lèvres risquait fort de rencontrer du succès. Pourtant non… un flop ! Pas beaucoup de vagues générées par ce pavé dans la mare, le marché des sticks labiaux colorés restant fermé à cette invention moderne. Quid de cette invention ? Quid de cette nouveauté ? Retour sur une mode qui date depuis bien plus longtemps que cela ! Et puis, pour commencer, avant d’étudier des rouges à lèvres antiseptiques, on se souviendra que les rouges à lèvres constituent un bon milieu de culture pour toutes sortes de germes plus ou moins sympathiques !

Le rouge à lèvres avant emploi, un nid à « microbes », dans certains cas

C’est du moins le constat fait par des chercheurs bangladais en 2023. Les produits cosmétiques fabriqués de manière artisanale dans le pays constituent de véritables nids à microbes, selon les auteurs. Ceux (poudres, crèmes, rouges à lèvres) achetés dans la ville de Dhaka se révèlent, en effet, tous, sources de bactéries. Escherichia coli, Klebsiella pneumoniae, Pseudomonas aeruginosa, Salmonella spp., Staphylococcus aureus, Staphylococcus epidermidis, Bacillus cereus et autres Bacillus ont été identifiés dans les trois types de produits.1 Même constat pour cette étude, réalisée en Arabie Saoudite, aussi bien sur des cosmétiques de piètre qualité que des produits de marques reconnues. Comme attendu, les produits des marques les moins réputées sont quand même les plus contaminés. Les espèces de bactéries les plus présentes sont Staphylococcus aureus (27 %), Escherichia coli (27 %), Streptococcus pneumoniae (18 %), Staphylococcus epidermis (17 %), Bacillus subtilis (12 %) et Pseudomonas aeruginosa (5 %). Des Aspergillus sont les champignons les plus fréquents (57 %), suivi par des Penicillium (29 %) et des Rhizopus (14 %).2 Et pourtant, ici, on nous parle de produits qui n’ont pas encore été utilisés, qui sortent tout droit de la chaîne de production ou bien des mains de l’artisan qui les a formulés. On nous parle de produits protégés par un emballage contaminé lors du processus de conditionnement.

Le rouge à lèvres après emploi, un nid à « microbes » dans certains cas

C’est ce que nous révèle une publication coréenne qui montre que l’ADN extrait de 20 rouges à lèvres a permis l’identification de 105 genres bactériens différents dont 4 (Leifsonia, Méthylobacterium, Streptococcus et Haemophilus) étaient présents dans la grande majorité des cas.3 Même chose, en Angleterre avec une étude qui affiche les taux de contamination des produits entamés, mais également des éponges utilisées lors du maquillage.4 Là, on nous parle de produits utilisés dont l’emballage a été ouvert et qui ont été contaminés par l’utilisatrice. Une contamination-maison, donc !

Le rouge à lèvres antiseptique à la canneberge, une arme anti-microbes mise au point en Espagne

Ce rouge à lèvres a un an. La publication, qui en vantait les mérites, a effectivement un an tout juste. Le rouge à lèvres ainsi mis en avant est, en réalité, plutôt, un baume à lèvres liquide, puisqu’il est composé de beurre de karité, d’huiles de babassu et d’avocat, de vitamine E, de panthénol et… d’un extrait de canneberge. Ce rouge à lèvres s’avère efficace en matière de réduction de la prolifération d’un certain nombre de germes microbiens. Les chercheurs espagnols qui ont mis au point cette solution simple et efficace (du moins in vitro) pour lutter contre la transmission d’un certain nombre de pathologies via le baiser ont, bien sûr, eu les honneurs de la presse qui s’est empressée de titrer « Un rouge à lèvres pour lutter contre les microbes » !5 Il est, en effet, séduisant (à plus d’un titre) de penser que la réalisation d’un simple petit geste cosmétique peut avoir pour conséquence d’établir entre les autres et soi-même une sorte de bouclier protecteur inviolable.6

Concernant l’extrait de canneberge (Vaccinium microcarpon) incorporé dans ce baume à lèvres, il est utile de préciser que l’inventaire européen ne reste pas sec à son sujet, puisqu’il nous présente l’extrait du fruit (vaccinium microcarpon fruit) comme un agent conditionneur cutané7 et comme un agent astringent.8 Pas vraiment ce que l’on recherche ici.

Dans la littérature scientifique, en revanche, le fruit de la canneberge n’est pas vraiment connu pour ses propriétés cosmétiques, mais plutôt pour son utilisation en médecine traditionnelle, comme principe actif susceptible de traiter les infections du tractus urinaire.9 La richesse de ces fruits en polyphénols à caractère anti-inflammatoire et antibactérien (anti-biofilm en empêchant l’adhésion des bactéries type E. coli au tractus urinaire)10 est à l’origine du fait que l’on considère ce fruit comme un aliment-santé.11,12 On trouve, tout de même, quelques publications se rapportant à des bains de bouche antiseptiques à la canneberge,13 ce qui nous rapproche du domaine cosmétique.

Le rouge à lèvres antiseptique à base de pitaya, une arme antimicrobienne mise au point en Malaisie

En 2017, des chercheurs malaisiens et anglais s’associent pour tenter de mettre au point un rouge à lèvres médicamenteux, susceptible de couvrir différents besoins : hydrater et colorer les lèvres, tout en les protégeant vis-à-vis d’un certain nombre d’agents pathogènes. La peau de pitaya ou de fruit du Dragon (Hylocereus polyrhizus)14 constitue, à leurs yeux, une bonne solution pour un usage cosmétique, puisqu’il s’agit d’un fruit qui contient des colorants de la famille des bétalaïnes, des colorants qui cochent presque toutes les cases en matière de qualité cosmétique, puisque, outre leur pouvoir colorant, on les crédite d’effets antimicrobien, antioxydant… mais, malheureusement, ils sont hydrosolubles, ce qui ne fait pas vraiment l’affaire dans le domaine de la formulation de produits de maquillage. Pour autant, l’extrait colorant de pitaya a été incorporé, à hauteur de 4 %, dans une base de rouge à lèvres formée de cire d’abeille, de graisse (sans plus de précision), d’huiles d’olive et de coco, de glycérine et de parfum. La formule s’avère, in vitro, susceptible de réduire la croissance d’un certain nombre de bactéries, ce dont se félicitent les auteurs, qui voient dans le rouge à lèvres ainsi formulé un produit multifonctions, capable de rafraichir l’haleine et « d’améliorer la qualité générale de la santé » !15 Une conclusion un peu excessive semble-t-il.

Le rouge à lèvres à base d’éosine… une invention qui date

C’est pas récent, récent. L’éosine, sa date de synthèse : 1874. Son inventeur : Heinrich Caro, directeur de l'entreprise chimique allemande Badische Anilin-und Soda-Fabrik,16 plus connue désormais par ses initiales BASF.

L’éosine, qui consiste en un mélange de tétrabromoflurescine (éosine Y ou CI 45380) et de dibromo dinitrofluorescéine (éosine B ou CI 45400), est un ingrédient à double casquette, à la fois médicale (c’est un « antiseptique de la famille des colorants actifs sur les bactéries Gram+ et sur les champignons »)17 et cosmétique (du moins au début du XXe siècle).

Dans le domaine cosmétique, on en incorpore dans les fards à joues et dans les rouges à lèvres, dès le début du XXe siècle,18 réalisant donc, déjà, sans le savoir, ce que l’on nous présente aujourd’hui comme des rouges à lèvres antiseptiques. Des rouges à lèvres, pas toujours très bien tolérés, comme en témoignent les publications faisant état de chéilites, liées à leur utilisation.19

A l’heure actuelle, l’éosine Y n’émarge pas dans la liste des colorants que peuvent contenir les produits cosmétiques, contrairement à l’éosine B (Annexe IV du Règlement (CE) N°1223/2009, n°76) qui peut être employée dans tous les cosmétiques, sauf les teintures capillaires (Annexe II, n°1334). Un colorant que l’on retrouve encore dans un certain nombre de produits de maquillage des lèvres, comme nous l’indique le site INCI Beauty.20

Les rouges à lèvres antiseptiques, en bref

Ce serait déjà bien que l’on trouve sur le marché des rouges à lèvres non contaminés par toutes sortes de micro-organismes. Ce serait déjà bien que les conservateurs employés pour assurer la conservation du produit soient efficaces et permettent de le protéger durant toute sa vie. De là à nous vendre des cosmétiques antiseptiques, capables de repousser les infections…il y a de la marge. Quant à la nouveauté de ce genre de cosmétiques, rappelons l’attrait des Antiques pour les résines variées,21 à caractère antiseptique. Pour arriver à nous étonner, il faudra faire encore beaucoup plus fort… en 2024 !

Bibliographie

1 Nusrat N, Ahmad Zahra M, Ahmed A, Haque F. Assessment of potential pathogenic bacterial load and multidrug resistance in locally manufactured cosmetics commonly used in Dhaka metropolis. Sci Rep. 2023 May 13;13(1):7787

2 Alshehrei FM. Isolation and Identification of Microorganisms associated with high-quality and low-quality cosmetics from different brands in Mecca region -Saudi Arabia. Saudi J Biol Sci. 2023 Dec;30(12):103852. doi: 10.1016/j.sjbs.2023.103852

3 Lee SY, Lee SY. Assessment of bacterial contamination of lipstick using pyrosequencing. J Cosmet Sci. 2017 Jul/Aug;68(4):245-252

4 Bashir A, Lambert P. Microbiological study of used cosmetic products: highlighting possible impact on consumer health. J Appl Microbiol. 2020 Feb;128(2):598-605

5 https://www.sudouest.fr/sante/destination-sante/un-rouge-a-levres-pour-lutter-contre-les-microbes-13510702.php

6 https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/41678-Des-chercheurs-cree-rouge-levres-tue-virus-les-microbes

7 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/60002

8 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/60003

9 González de Llano D, Moreno-Arribas MV, Bartolomé B. Cranberry Polyphenols and Prevention against Urinary Tract Infections: Relevant Considerations. Molecules. 2020 Aug 1;25(15):3523

10 Yarnell E. Botanical medicines for the urinary tract. World J Urol. 2002 Nov;20(5):285-93. doi: 10.1007/s00345-002-0293-0. Epub 2002 Oct 17

11 Nemzer BV, Al-Taher F, Yashin A, Revelsky I, Yashin Y. Cranberry: Chemical Composition, Antioxidant Activity and Impact on Human Health: Overview. Molecules. 2022 Feb 23;27(5):1503

12 Mantzorou M, Giaginis C. Cranberry Consumption Against Urinary Tract Infections: Clinical Stateof- the-Art and Future Perspectives. Curr Pharm Biotechnol. 2018;19(13):1049-1063

13 Abu-Obaid E, Salama F, Abu-Obaid A, Alanazi F, Salem M, Auda S, Al Khadra T. A Comparative Evaluation of the Antimicrobial Effects of Different Mouthrinses against Oral Pathogens: An In Vitro Study1. J Contemp Dent Pract. 2020 May 1;21(5):500-508

14 Taharuddin NH, Jumaidin R, Mansor MR, Hazrati KZ, Tarique J, Asyraf MRM, Razman MR. Unlocking the Potential of Lignocellulosic Biomass Dragon Fruit (Hylocereus polyrhizus) in Bioplastics, Biocomposites and Various Commercial Applications. Polymers (Basel). 2023 Jun 12;15(12):2654

15 Afandi A., Lazim A.M., Azwanida N.N., Bakar M.A., Airianah O.B., Fazry S. Antibacterial Properties of Crude Aqueous Hylocereus polyrhizus Peel Extracts in Lipstick Formulation against Gram-Positive and Negative Bacteria. Malaysian Appl. Biol. 2017;46:29–34

16 Kay AB. The early history of the eosinophil. Clin Exp Allergy. 2015 Mar;45(3):575-82

17 Dorvault F., L’Officine, Vigot, 23e édition, Paris, 1995, 2089 pages

18 Cerbelaud R., formulaire des spécialités de parfumerie et de pharmacie, Paris, 1912, 1190 pages

19 Hecht R., Rappaport B., cheilitis, fixed drug eruption, and gastrointestinal allergy from eosin dye in lipstick, Journal of allergy, 11, 3, 1940, 331) (Tomb RR. Allergic contact dermatitis from eosin. Contact Dermatitis. 1991 Jan;24(1):27-9

20 https://incibeauty.com/ingredients/10343-ci-45380

21 https://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_1988_num_76_279_3019

 

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