> 07 janvier 2023
Alain Gajac est le jeune homme de l’Evangile, celui qui a tout reçu et qui peine à rendre, ne serait qu’un centième de ce dont il a été comblé.1 Un adolescent pas comme les autres, un « diseur de riens », qui passe sa vie entre une mère qui ne veut que son bien et un vieil abbé qui ne cherche que son salut. Un ange, un pur… qui se heurte à la violence du monde et n’ose pas retourner pleurer dans le giron maternel. Un adolescent qui n’arrive pas à couper le cordon ombilical qui le relie de manière irrémédiable à un milieu bourgeois qui pèse son poids. Une rencontre, une nuit d’amour… et voilà notre jeune homme tout retourné !
Simon Duberc, le fils du régisseur du domaine de Maltaverne est un jeune prêtre qui préfère la chasse aux vêpres. Avec Alain, Simon a de longues conversations qui tournent toutes autour de Dieu et de sa Création. Au retour de la chasse, Simon dégage un « fumet » particulier, une « odeur forte ». « Je sentais cette odeur de transpiration qui imprègne sa soutane. Non qu’il soit sale : il l’est moins que sa famille paysanne, qui ne sait pas ce que c’est que se laver, moins peut-être que nous-mêmes, car pour pêcher au moulin, il se met à l’eau presque chaque jour. »
Laurent, le frère d’Alain, aime également la chasse à la folie, contrairement à son cadet qui préfère se plonger dans un bon bouquin, plutôt que d’affronter le froid et les intempéries. Au retour de la chasse, Laurent dégage une odeur particulière, particulièrement rassurante. « Je détestai son odeur à la fin d’un jour d’été, mais j’étais content qu’il fût là. »
Alain et Laurent partagent la même chambre à Maltaverne. Toutefois, lorsque Laurent est pris de fièvre et de crachements de sang, Alain est isolé, manu militari, par une mère qui craint, par-dessus tout, la contagion. « Je ne reconnaissais pas l’odeur habituelle de Laurent, son odeur canine mais saine. » Alain ne reverra pas son frère vivant. Il en voudra toute sa vie à celle qui, par amour, l’a tenu éloigné du lit de l’agonisant !
Lorsque Laurent se met à vomir le sang, Alain est envoyé dormir chez sa mère. « Cette nuit-là, je m’éveillai en pleine nuit, comme perdu dans ce lit qui n’était pas le mien et qui avait l’odeur de maman. »
De Marie, on ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’Alain la rencontre dans la bibliothèque où elle est employée. Marie plait à Alain. Pourtant leurs milieux les opposent, leurs âges aussi (Marie a 10 ans de plus qu’Alain !)… Leurs rencontres ont lieu chez Marie (là règne « l’odeur de l’inhabité »), dans des cafés qui sentent l’absinthe ou le chocolat chaud.
Lorsque Marie retrouve Alain, elle se maquille un peu… Trop, selon les habitudes du milieu dont il est issu. « Elle s’était mis du rouge comme aurait dit ma mère sur un ton de condamnation. »
A Bordeaux, Alain vit dans l’ombre de sa mère. Chaque soir, par un rituel immuable, il vient l’embrasser. Avant de rejoindre la vieille femme, il passe au lavabo se laver la figure et les mains. Pourtant, rien n’y fait, la vieille femme sent bien l’odeur de l’autre, celle qui est en train d’embobiner son grand nigaud de fils. « […] ma mère m’attirait à elle, me flairait, reconnaissait sur moi une odeur étrangère. » Sans se parler, la mère et le fils sont « transparents l’un à l’autre » ! « Elle ne m’embrassait si longuement que pour me flairer […] ».
Alain est attaché à sa terre ; c’est ce qui fait son malheur (« […] cette odeur de résine et de marécage qui est pour moi (c’est fou !) l’odeur même du désespoir. »)
Pour une nuit, une seule, Marie est venue dormir à Maltaverne, dans la chambre de Laurent. Avant de partir, les deux amants descendent se recueillir sur les bords de La Hure, au milieu des orties… Celles-ci deviendront, dans la mémoire d’Alain, des touffes de menthe odorantes.
Sûr, que Marie n’est pas faite pour lui… Elle le sait bien, la pauvre, qui a accepté de s’effacer par amour. Marie épousera M. Bard, le propriétaire de la bibliothèque où elle travaille… Alain doit, désormais, oublier ce premier amour avorté… C’est à Paris, qu’Alain trouvera la paix en s’anonymisant dans la grande cité. « Je me baigne dans ce fleuve humain, je me laisse porter par lui, je flotte à la surface des trottoirs […] ».
Elle est plus complexe qu’il n’y parait cette relation fusionnelle mère-fils. Comme une louve, Mme Gajac sent son petit et sait bien détecter sur ses joues l’odeur de l’inconnue. Une inconnue combattue énergiquement, tant il paraît difficile d’unir deux familles aussi différentes sur le plan social. Une femme qui se met du rouge, dont le père s’est suicidé par pendaison, vous vous rendez compte !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour.
1 Mauriac F., Un adolescent d’autrefois, Les chefs d’œuvre de François Mauriac, Tome XXVI, Cercle des bibliophiles, 272 pages
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