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Une définition, pas très académique, du « blond vénitien » par un académicien plus très académique !

> 08 janvier 2023

Une définition, pas très académique, du « blond vénitien » par un académicien plus très académique !

Il est bien différent du Laurent Pasquier du grand-père (Georges Duhamel), le Laurent Pasquier du petit-fils (Jérôme Duhamel).1 Alors que Georges prend un malin plaisir à nous décrire les routines hygiène-beauté de tous les membres du clan Pasquier, Jérôme, quant à lui, oublie les bains, les douches, les actes d’hygiène, les séances durant lesquelles on se pomponne, pour s’en tenir à l’essentiel - selon lui - à savoir la vie avec un grand V, la vie amoureuse. Aussi, lorsque l’on découvre un Laurent Pasquier débridé, souffrant du démon de midi, on comprend que les chemins de Jérôme ne sont pas ceux de Georges.

Un médecin qui se la pète

Jusque-là, Laurent Pasquier était d’une grande discrétion sur le chapitre de ses mérites ou de ses titres. Bien que membre de l’Institut, c’est avec une grande modestie qu’il zappait cette partie de sa vie. Avec Jérôme, Laurent change de braquet. Il pérore… médecin des grands de ce monde (Sarah Bernhardt, Joséphine Baker, Eugénie de Montijo, Gabrielle Chanel, Camille Claudel)… Laurent a collé son oreille à plus d’une poitrine renommée. Il le dit. Il en est fier !

Un médecin qui lève le masque

Jusque-là, Laurent Pasquier a ausculté toutes les douleurs familiales, mettant sur chaque bobo un cataplasme d’amour. Désormais, fini le Laurent Pasquier à l’écoute des uns et des autres. Sur le paquebot Le Normandie, qui le ramène en France, Laurent écoute battre son cœur et cède aux avances d’une jeune rousse, pleine de piment. Désormais, le Saint-Bernard de la fratrie va profiter de la vie. Et pour commencer, il décide de reprendre son journal, afin de se « mettre en scène sans masque ». « Un récit sans trop de fard », voilà le programme !

Un médecin-écrivain qui croule sous une tonne de courriers

9 000 lettres… voilà le nombre de courriers reçus par notre académicien-scientifique-écrivain !

Un médecin qui manque de mots pour décrire la femme de sa vie

Laurence Pasquier ne manque pas de maux. Dans sa famille, c’est un peu le chaos, avec un père qui décède brutalement, une mère qui souffre de la maladie d’Alzheimer, un frère (Joseph) qui passe son temps à lui tirer dans les pattes, une femme (Jacqueline), qui le laisse sage depuis bien trop longtemps. Aussi, lorsque la flamboyante Camille fait son apparition, c’est un tsunami qui déferle sur le pont du Normandie ! Pour la décrire, Laurent manque de mots. Il en viendrait presque à emprunter aux « mauvais romanciers » des formules comme « elle semblait rayonner comme un astre » ou il se dégageait de tout son être « un étrange parfum de mystère et d’aventure », pour montrer à quel point Camille le remue au plus profond de lui-même. Difficile pour cet écrivain tombé en amour de parler « du grain et des odeurs de sa peau, des reflets changeants de ses cheveux. »

Un médecin qui dispose d’un large vocabulaire pour qualifier les odeurs aimées

A peine débarqué, notre Laurent (nouveau cru) présente sa maîtresse à sa femme et à son fils aîné ! Jacqueline, pleine de délicatesse et de naïveté (elle n’a pas encore compris les liens qui unissent Laurent et Camille), propose à Camille de l’héberger. Quelle aubaine pour Laurent qui réunira ainsi, sous un même toit, la femme de son ex-vie et la femme qui lui a fait faire peau neuve.

Dès son arrivée à la maison, Laurent est assailli par les odeurs de son chez soi. Une « curieuse odeur » qui mêle les « fumets de bonne cuisine », aux « effluves discrets des produits ménagers » et au « parfum dominant de papier et de vieux livres ». Le parfum cher à l’écrivain, celui du papier et de l’encre est un « régal des sens », selon ses propres mots. Une source de « plaisir » inextinguible. De quoi bondir lorsqu’un malotru qualifie l’odeur des livres d’odeur « infecte de papeterie » !

Une jeune femme qui panse les plaies

Camille Sherman, une Allemande, juive, traductrice de son état, âgée de 34 ans, est une beauté aux yeux changeants. Leur couleur varie du « vert léger et pétillant comme les jeunes pousses de tilleul », au « gris virant au noir », comme un « ciel d’orage ». Une « couleur douce », comme celle des « huîtres de Marennes », un regard iodé qui fait souffler sur la vie de Laurent un vent de modernité, de sensualité.

Pour qualifier la couleur des cheveux de Camille, Laurent sort la carte « blond vénitien ». Pourtant, il ajoute, tout de go, qu’il ne sait pas exactement ce qui se cache derrière cette expression. Est-ce une « sorte de roux léger, comme décoloré ? » Est-ce « un châtain pâle virant au doré sous la lumière ? » « Est-ce une vraie couleur ou le résultat de quelque mystérieuse teinture dont les familles de la cité des Doges se transmettaient le secret de génération en génération ? » Laurent ne sait pas vraiment. Ce qu’il sait, en revanche, c’est que Camille possède des cheveux d’un « châtain clair qui tire nettement vers le roux. »

Le bateau d’Amérique, en bref

Déjà, on ne savait pas que Laurent Pasquier était parti en Amérique. Ensuite, on est étonné de le retrouver tout chamboulé, aux côtés d’une rousse qui n’a visiblement pas froid aux yeux…  Enfin, on s’étonne de voir Laurent achopper sur la définition du blond vénitien, alors même que le dictionnaire de l’Académie est d’une grande limpidité. Un blond « tirant sur le roux »,2 sans plus de commentaire !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Duhamel J., Le bateau d’Amérique in L’heure où les loups vont boire, Le clan des Pasquier, Flammarion, 2012, 621 pages

2 https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9B1396

 

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