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Un cœur qui balance entre attrait pour les lumières de la ville et fidélité aux terres familiales

> 19 novembre 2023

Un cœur qui balance entre attrait pour les lumières de la ville et fidélité aux terres familiales

Avec son roman Maria Chapdelaine,1 Louis Hémon nous transporte dans le Québec du début du XXe siècle, au sein d’une famille de colons de Péribonka, sur la rive nord du lac Saint-Jean. La vie est rude et l’hiver… froid… très froid.

La lecture nous donne à voir toute une série de portraits d’hommes et de femmes qui ont le courage comme dénominateur commun.

Samuel Chapdelaine, le père

Il est comme son parent, Nazaire Larouche, « tous deux hauts et larges, gris de cheveux, des visages couleur de cuir ». Quel climat ! L’été un soleil qui brûle la peau… l’hiver, un froid qui la rougit !

Laura Chapdelaine, la mère de famille

Une mère courage qui sera vaincue par la maladie et enlevée à l’affection des siens, beaucoup trop tôt, par un mal inconnu et ce n’est pas « les quelques pilules grises qui roulaient ça et là sur le fond de la boîte » qui pourront servir de traitement ! « Un remède »… vraiment ? Pourtant « préparé par quelque homme repu de science, en des pays lointains ». Ils veulent y croire… vraiment ! « Le même respect troublé les courbait qu’inspire aux Indiens la décoction d’herbes cueillies par une nuit de pleine lune, au-dessus de laquelle le guérisseur de la tribu a récité les formules magiques. » Outre les pilules, le médecin requis prescrit aussi « une drogue jaunâtre »,… « quinze gouttes » seulement ! Mais les gouttes, pas plus que les pilules, ne pourront enrayer ce mal qu’il n’est pas capable d’identifier, lui qui n’est capable de venir à bout que de « la fièvre typhoïde et [de] la pneumonie » ! Il doit s’agir d’une maladie « des rognons »… donc très au-delà des limites de sa science !

Maria, l’héroïne qui doit faire le bon choix

Elle se caractérise par « sa jeunesse forte et saine, ses beaux cheveux drus, son cou brun de paysanne, la simplicité honnête de ses yeux et de ses gestes francs ».

Esdras, l’aîné des enfants de la famille Chapdelaine

Il travaille aux chantiers, dans les hauteurs, durant l'hiver et redescend chez lui, au printemps, pour aider aux travaux de la ferme. C’était « un grand garçon au corps massif, brun de visage, noir de cheveux, à qui son front bas et son menton renflé faisaient un masque néronien, impérieux, un peu brutal ». Mais, ne nous y trompons pas, comme « il parlait doucement » « et montrait en tout une grande patience », il fallait gratter un peu et découvrir « un cœur simple, doux, et qui mentait à son aspect redoutable. »

Avec son père et ses frères, il travaille dur, soumis à de nombreuses attaques, celle du soleil, celle des insectes… « Les mouches et les maringouins jaillissaient par milliers du foin coupé et les harcelaient de leurs piqûres ; le soleil ardent leur brûlait la nuque et les gouttes de sueur leur brûlaient les yeux ». « Le dur travail des champs » imprime des « callosités » « aux paumes » des « mains frêles » du plus jeune des frères.

François Paradis, premier et grand amour

Un nom de famille plein d’espérance, pour ce « beau garçon, assurément beau de corps à cause de sa force visible, et beau de visage à cause de ses traits nets et de ses yeux téméraires ». L’amour fou de Maria, ce bûcheron épris de liberté… au « beau visage rougi par le soleil », on peut même dire « cuit » et aux « yeux intrépides » ! « Parmi toutes ces figures brunes, hâlées par le grand air et le soleil, sa figure était la plus brune et la plus hâlée ».

Le destin va décider de son sort… il « s’en est allé à travers les troncs serrés, les membres raides de froid, la peau râpée par le norouâ impitoyable, déjà mordu par la faim »… et au bout la mort inéluctable, le manteau neigeux canadien pour linceul…

Lorenzo Surprenant, l’attrait de la grande ville

Lorenzo, le citadin de passage en provenance des Etats-Unis, représente ce dont peut avoir envie une jeune fille comme Maria… des boutiques pour faire du lèche-vitrine, un hiver plus clément… bref, une vie plus facile ! « Il avait une figure grasse aux traits fins, des yeux tranquilles et doux, des mains blanches ».

Eutrope Gagnon, l’heureux élu

Etait-il beau ? Etait-il fort ? Sentait-il… etc etc… Louis Hémon ne nous en dit rien… si ce n’est que c’est sur ce colon, attaché à sa terre, que va finalement se porter le choix de Maria !

Edwige Légaré, le valet de ferme qui portait un prénom de femme

« Court, large, il avait des yeux d’un bleu étonnamment clair », « à la fois aigus et simples, dans un visage couleur d’argile surmonté de cheveux d’une teinte presque pareille et éternellement haché de coupures. » Leur cause ? Contre toute attente du fait du contexte, « il se rasait deux ou trois fois la semaine, par une inexplicable coquetterie, et toujours le soir, devant le morceau de miroir pendu au-dessus de la pompe, à la lueur falote de la petite lampe, promenant le rasoir sur sa barbe dure avec des grognements d’effort et de peine. »

Le curé de Saint-Henri, « un homme de la terre »

Il avait les caractéristiques de ses paroissiens… « le masque jaune et décharné, les yeux méfiants, les larges épaules osseuses. Mêmes ses mains, dispensatrices de pardons miraculeux étaient des mains de laboureur, aux veines gonflées sous la peau brune. » C’est lui qui conseillera à Maria d’oublier François et de se décider parmi les deux prétendants possibles. Il le faisait à la manière « d’un homme de loi ou d’un pharmacien énonçant prosaïquement des formules absolues, certaines. »

Et quelques odeurs…

Celle du « cyprès gommeux, dont la flamme sentait la résine » quand il brûlait « dans le foyer »…

Maria Chapdelaine, en bref

Roman catholique, oui certes… car on y récite beaucoup d’Ave… Roman tradi, voire réac… oui, sûrement, avec cet attachement à la terre et à la famille… bref, de quoi faire grincer pas mal de dents en ces temps où ces différentes valeurs peuvent être considérées comme des tares…

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Hémon L., Maria Chapdelaine, Boréal compact, Gatineau, 2012, 215 pages

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