Nos regards
Rose Bertin, une marketeuse avant la lettre…

> 30 septembre 2017

Rose Bertin, une marketeuse avant la lettre… S’intéresser à Rose Bertin, marchande de modes et ministre des modes de Marie-Antoinette, c’est plonger, tête la première, dans un univers de légèreté et de frivolités. Rose Bertin a très bien compris qu’une mode doit en chasser une autre et que plus la mécanique de changement tourne vite mieux ses poches se rempliront... Cette femme a donc le cerveau en perpétuelle ébullition, de façon à satisfaire sa royale cliente et ces dames de haute naissance, qui veulent toutes copier ce que l’on n’appelle pas encore « la première dame de France ».

Emile Anglade nous livre une très jolie biographie de cette femme très jalousée qui régna pendant fort longtemps sur la garde-robe de Marie-Antoinette (La marchande de modes de Marie-Antoinette, Rose Bertin, Albin Michel, Paris, 1911, 336 pages). Le polémiste Théveneau de Morande ne décolère pas au sujet de Rose Bertin. « Rien n’égale l’impertinence et la hauteur de cette demoiselle » qui a fait peindre sur l’enseigne de sa boutique « Le grand Mogol », la mention fort racoleuse « fournisseur de Marie-Antoinette »…

Marchande de modes est un bien joli métier… Mais que sont donc les modes ? « C’est le nom qu’on donne à certaines des marchandises dont les formes et l’usage sont essentiellement soumis aux décrets suprêmes, mais changeants, du caprice et du goût. Cette dénomination s’applique aux ouvrages destinés à la parure et à l’ajustement des femmes, et même des hommes pour certains objets. » Rose Bertin est plus qu’une couturière ; c’est une artiste qui sait agrémenter une robe ou un chapeau de mille accessoires plus ravissants et originaux les uns que les autres.

C’est certainement au niveau des coiffures que Rose Bertin s’est exprimée avec le plus de talent. En l’honneur de Beaumarchais, elle crée une coiffure baptisée « Quès aco », « composée de trois panaches, plantés derrière le chignon. » De 1776 à 1780, la hauteur atteinte par les plumes ainsi mises en scène ne cesse d’augmenter. Ceci entraine quelques désagréments ; quand il s’agit de voyager, par exemple, le trajet en carrosse doit alors s’effectuer à genoux ! Dans les cas extrêmes où le panache ne peut même pas entrer dans le carrosse, tête haute, « on l’ôte au moment de monter et on le fixe à nouveau à l’arrivée. » Emile Anglade note avec humour : « Si l’usage de ces plumes et de ces coiffures extravagantes se fût prolongé, il aurait opéré une révolution dans l’architecture. On eût senti la nécessité de hausser les portes et le plafond des loges, et surtout l’impériale des voitures. » Il se fait également moqueur lorsqu’il précise « Jamais en France les femmes n’avaient dépensé tant d’art pour se rendre ridicules. » Le roi Louis XVI lui-même est assez critique vis-à-vis de ces pyramides qui coiffent son épouse et les jeunes femmes les plus en vue du royaume. De retour de l’opéra où la reine a été peu ovationnée, Louis XVI se permet une petite remontrance : « C’est qu’apparemment, Madame, vous n’aviez pas assez de plumes. » Le 13 juin 1776, dans une lettre adressée à sa mère Marie-Thérèse, Marie-Antoinette, qui est alors une jeune femme de 21 ans pleine de coquetterie, pose un regard aiguisé sur la cour qui l’entoure. « Il en est, disait-elle, de la coiffure, pour les femmes d’un certain âge, comme de tous les articles de l’habillement et de la parure, excepté le rouge, que les personnes âgées conservent ici, et souvent même un peu plus fort que les jeunes. Sur tout le reste, après 45 ans, on porte des couleurs moins vives et moins voyantes, les robes ont des formes moins ajustées et moins légères, les cheveux sont moins frisées et les coiffures moins élevées. » Passé un certain âge, les femmes de la cour tentent de se fondre dans le décor en toute discrétion ; l’adverbe « moins » est celui qui sied aux vieilles dames de 45 ans et plus (!!!)… à une exception près, le fard rouge est employé en quantité inversement proportionnelle à l’âge… Dans le Regard « Journal d’une femme de chambre ou Marie-Antoinette intime » (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/journal-d-une-femme-de-chambre-ou-marie-antoinette-intime-340/), nous rapportions une anecdote témoignant de l’attirance toute particulière des femmes pour ce produit de maquillage qui manque terriblement de discrétion. Enfin, pour en terminer sur le sujet, rappelons que le « Quès aco » peut s’orner de bijoux de qualité… C’est le cas pour la reine qui arbore une « aigrette en diamants sur le côté gauche de la tête » et « un jeu de perles sur le front ».

Les coiffures se suivent et ne se ressemblent pas… c’est là tout le génie de Rose !

« Un mois après l’apparition du Quès aco, une autre invention l’avait détrôné, qu’on appelait le pouf aux sentiments. » « Le pouf aux sentiments comportait les objets les plus divers : fruits, fleurs, légumes, oiseaux empaillés ou autres bibelots entraient dans sa composition […] ». Rose Bertin met au point une stratégie de vente qui s’avère payante. Bien sûr, ses accessoires sont de qualité mais ce n’est pas suffisant… Bien sûr, ils sont prodigieusement originaux… mais cela n’est toujours pas suffisant… pour se démarquer de la concurrence, il faut toucher le cœur des gens et pour ce faire il est indispensable de raconter une histoire ou de rebondir sur une anecdote. C’est ainsi qu’une locution provençale mise à la mode par Beaumarchais, « Quès aco », était devenue un couvre-chef tendance. Mêler à ses cheveux tous les objets auxquels on tient… une idée formidable, personnalisable à l’infini… Rose Bertin fait plus que vêtir sa clientèle, elle la fait rêver ! La duchesse de Chartres rend hommage à sa famille par cheveux interposés. Un simple coup d’œil à l’échafaudage qui orne son front permet de connaître ses goûts et ses affections. « Au fond était une femme assise sur un fauteuil et tenant un nourrisson ; ce qui désignait le duc de Valois et sa nourrice. A droite était un perroquet becquetant une cerise, oiseau précieux à la princesse ; à gauche était un petit nègre, image de celui qu’elle aimait beaucoup ; le surplus était garni d’une touffe de cheveux du duc de Chartres son mari, du duc de Penthièvre son père, du duc d’Orléans son beau-père. » La duchesse de Lauzun joue la carte nature et reconstitue, sur son pouf, une scène de chasse : « […] il offrait tout un paysage en relief ; d’abord une mer agitée, des canards nageant sur ses bords, un chasseur à l’affût prêt à les coucher en joue ; sur le sommet une meunière se faisait courtiser par un abbé, et tout au bas de l’oreille, on voyait le meunier conduisant un âne. » En 1781, la baronne d’Oberkirch fait sensation, lorsqu’elle apparaît, à l’occasion d’un bal, chapeautée de « petites bouteilles plates et courbées dans la forme de la tête, contenant un peu d’eau, pour y tremper la queue des fleurs naturelles et les entretenir fraîches dans la coiffure. »

Bonnets « à la religieuse », coiffures « au ballon » ou « à la Montgolfière » (en l’honneur de l’invention éponyme), coiffures « au globe de Paphos »… Il est important de montrer que l’on est en phase avec l’actualité et donc son temps ; un détail au niveau de la coiffure peut tout changer !

Souhaitant refréner les idées créatrices de la célèbre modiste, Louis XVI passe à l’action en mai 1783. « Ces jours derniers, le roi, en revenant de la chasse, s’est fait faire un chignon à la manière des femmes, et est allé ainsi chez la reine. Sa Majesté s’est mise beaucoup à rire et lui a demandé ce que signifiait cette mascarade, si l’on était revenu au carnaval ? Est-ce que vous trouvez cela vilain, lui a dit son auguste époux ? C’est une mode que j’ai envie d’amener, je n’en ai encore institué aucune. Ah ! Sire, gardez-vous bien de celle-ci, elle est affreuse, a répliqué Sa Majesté. Cependant, Madame, a repris le monarque, il faut bien que les hommes aient quelques manière de se coiffer distinguée de celle du sexe, vous nous avez enlevé le plumet, le chapeau, la cadenette, la queue, aujourd’hui c’est le cadogan (sic) qui ne restoit (sic) et que je trouve fort vilain aux femmes. » La reine comprit fort bien le message et se fit défaire « sur le champ ses cadogans » et « reprit le chignon », plus classique !

Petit à petit, les excentricités vont faire place à des tenues plus sobres. A 30 ans, la reine prévient Rose Bertin qu’elle ne « porterait plus ni de plumes ni de fleurs », considérés comme des attributs de la jeunesse.
Emile Anglade est, semble-t-il, comme beaucoup d’autres, sous le charme de la reine. Il se plaît, en particulier, à retranscrire une partie de la lettre d’un aristocrate anglais, Horace Walpole, à l’un de ses amis. Lors du mariage de Clotilde de France, Marie-Antoinette apparaît dans toute sa splendeur. « On ne peut avoir d’yeux que pour la reine ! Les Hébés et les Flores, les Hélènes et les Grâces ne sont que des coureuses de rue à côté d’elle. Quand elle est debout ou assise, c’est la statue de la beauté ; quand elle se meut, c’est la grâce en personne. […] On dit qu’elle ne danse pas en mesure, mais alors c’est la mesure qui a tort. »

De Versailles au Temple, les créations de Rose Bertin accompagneront fidèlement Marie-Antoinette. Les robes somptueuses et les poufs excentriques feront place à de simples « robes de basin blanc et bonnets de linon » pour parer la reine dans son malheur.

Les émigrés à Londres, quant à eux, n’ont pas abdiqué leurs habitudes de grandeur et de luxe ostentatoire, d’autant que Rose Bertin les a accompagnés dans leur exil et continue à proposer ses services. « On n’avait pas les moyens de louer des carrosses, on montait, bravement, en grande toilette, coiffé, paré, pomponné sur l’impériale des voitures publiques, à la grande stupeur des Anglais. »

Quelles que soient les circonstances, Rose Bertin a parfaitement compris les ressorts qu’il faut actionner lorsque l’on travaille dans le domaine de la mode. Toujours en avance, elle dicte les règles à suivre et impose un style dans un monde où la concurrence est pourtant rude !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard qui nous livre, une fois encore, sa vision de poète et de plasticien, pour illustrer ce Regard.

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