> 14 mars 2024
Sir Edmund Hillary et Desmond Doig publient, chez Plon, en 1963, le récit de leurs exploits dans l’Himalaya (expédition menée au cours des années 1960–1961).1 Un récit de 200 pages assez indigeste parfois, succulent à d’autres moments. Quelle belle brochette de chercheurs, sherpas, en quête d’informations scientifiques sur les modifications physiologiques survenant à haute altitude, en quête d’informations scientifiques sur le… Yéti… l’abominable homme des neiges. Physiologistes, glaciologues, médecins, alpinistes, autant de personnes qui vont vivre main dans la main, pendant 6 mois, afin d’extraire le plus d’informations possibles de la montagne pourtant hostile !
Deux expéditionnaires atypiques. Hillary est un gentleman appartenant à la Société Royale de Géographie de Londres. Un homme chic, svelte à la « tignasse » « rebelle » ! Doig, quant à lui, est journaliste, rédacteur du journal Statesman de Calcutta. Un homme chic (du chic parisien !), plein de rondeurs (il se plaît à nous parler de ses 102 kg 568), amateur d’alcools et de vacances « ruisselantes de champagne » ! Pas vraiment le profil de l’alpiniste convaincu !
Une fois lancés à l’assaut des sommets, les deux hommes perdent tout respect humain, se mettant à « puer selon les règles de l’hygiène ». Il faut dire que la montée se fait à marche forcée, sans même prendre le temps de se rincer la bouche !
Les bagages ont été vidés du superflu… La ration de papier toilette fixée à « 10 feuilles » par jour pour chaque participant. On voit le genre !
John Dienhart est le séducteur de la bande. Il a laissé de nombreuses fiancées à Chicago et s’en refait tout plein dès son arrivée à Katmandou. Ses bagages sont à la mesure de son besoin de conquêtes féminines…. On y trouve « des pilules toniques et des tranquillisants, des réchauffe-pieds et des refroidisseurs, du fil dentaire et des kleenex parfumés, des pansements, des onguents, des stimulants pour défaitistes »… et toutes sortes de vêtements plus inadaptés les uns que les autres au climat susceptible d’être rencontré ! John représente la World Book Encyclopedia !
Les sherpas ne sont guère adeptes des cosmétiques. Seuls, leurs cheveux sont « huilés », à l’aide, sans doute, de ce que nous prendrons la liberté d’appeler une brillantine DIY locale !
Au départ, les deux hommes (Hillary et Doig) ont prévu 14 tonnes de matériel, ce qui horrifie les montagnards de l’expédition, qui se chargent d’éliminer le superflu. Doig ironise : « Faut-il sacrifier les onguents de pieds et les sels de bains au profit des conserves et de la bière ?
Avant de chercher à aller plus haut, l’équipe de scientifiques s’établit à Katmandu, juste le temps d’admirer de « très beaux enfants, au teint de pétale ». « La tradition les farde comme des danseuses ; leurs yeux en amande, agrandis de mascara, semblent perpétuellement étonnés. Un fond de teint de vermillon et de pâte de bois de santal, étalé sur leur front, leur donne l’air irréel de papillons ou d’oiseaux exotiques, pris dans la splendeur dorée des vêtements et des coiffures vacillantes. »
L’hôtel où résident les cadres de l’expédition est tenu par un Russe qui a fui la révolution. Boris Lissenovitch est marié à une Danoise, dont la mère, une créature « voluptueuse », aux « cheveux permanentés », égaye les clients grâce à une « bonne humeur effervescente » !
Le yéti pue… atrocement. C’est ce qui ressort de tous les témoignages. La peau de yéti se vend à prix d’or dans les lamaseries. Une peau qui possède des « propriétés curatives », mais empeste littéralement pendant des mois, voire même des années.
Outre la peau, on trouve également des « scalps » de yétis. L’un deux, acheté par les hommes de l’expédition, fait ainsi une véritable tournée mondiale, allant se faire voir de pays en pays. Hillary, Doig et un sherpa, nommé Chumbi, vont ainsi parcourir des milliers de kilomètres, afin de faire admirer le scalp de yéti, aux grands de ce monde, la reine Elisabeth et Eisenhower, entre autres.
Un scalp étudié par les chercheurs du musée de l’Homme à Paris et par des savants londoniens, qui concluent à une mystification. Il s’agissait en fait des reliques de « peaux de serow », vieilles de 200 ans !
Les bottes de Chumbi exhalent « un parfum sherpa fait d’un mélange d’odeurs de laine, de sueur, de beurre de yack, de fumée et d’herbes brûlées. » Afin de rendre l’odeur de ces bottes plus supportables, Hillary et Doig recourent aux grands moyens, vidant « un atomiseur parfumé » à l’intérieur de celles-ci ! Véritablement magique aux yeux du sherpa sidéré !
Au fur et à mesure de la montée, les hommes construisent des cabanes, des refuges. L’une d’elles, située à 5800 mètres, est dénommée la cabane d’argent. On y trouve un certain confort. La pénurie d’eau impose la pratique du « sauna ou bain finois ». Quelques brocs d’eau froide sur des pierres brûlantes suffisent pour former une vapeur dense. « Il fallait alors très peu d’eau pour se savonner et ôter la crasse de la semaine. » Et puis, dans cette cabane, on trouve tous les appareils de mesure nécessaires pour remplir des cahiers et des cahiers de valeurs expérimentales !
Les hommes ont souffert dans cette expédition. Des gelures, des accidents cardiaques… et pourtant la sérénité est dans l’air. Doig conclut ainsi son ouvrage : « Mais je reviendrai quelque jour dans ce pays des nuages, près de cette population amicale et hospitalière dont la sérénité est un baume. »
Il ne nous a pas fallu 6 mois pour venir à bout de ce petit volume. Un récit étonnant, où l’on découvre des hommes qui, sans aucune préparation physique particulière, réalisent des exploits… L’occasion de tordre le cou au yéti. L’abominable homme des neiges n’habite visiblement que dans l’imagination fertile des gens du pays.
1 Hillary E., Roig D., 6 mois à 6000 mètres, Plon, 1963, 220 pages
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