> 01 juillet 2023

Lorsque l’aide de camp d’un ancien gradé du parti nazi met au point une machination afin de sauver la vie de son chef… on est, il y a fort à parier, dans un roman du duo Boileau/Narcejac.¹ L’idée consiste à repérer un pauvre type, à lui raconter une histoire invraisemblable afin de le convaincre de devenir le sosie de celui que l’on veut protéger et le tour est joué. Le sosie ainsi constitué devient une cible vivante pour les services chargés d’éliminer les nazis reconvertis en paisibles rentiers après la Seconde Guerre mondiale.

Le nazi

Paul de Baer (il s’agit, évidemment, d’un nom d’emprunt) est né, nous dit-on, à Saverne, le 13 mars 1918. Cet homme est bourré de tics. Il a, en particulier, la manie de la propreté, ne cessant de s’épousseter (pour éliminer de son costume la moindre poussière) et de se laver les mains. « Très méticuleux », c’est ainsi que l’on peut définir Paul. Franck, son aide de camp, explique à Jacques cette « manie de la propreté », qui fait que Paul ne peut toucher « un bouton de porte sans s’essuyer les mains aussitôt » ! Un réflexe à prendre !

La victime

Jacques Christen est un violoniste, né le 22 janvier 1920, à Strasbourg, qui avait tout pour réussir, le talent, la beauté… Tout sauf la volonté ! Un manque de réseau, un peu d’alcool pour brouiller les esprits… et voilà notre homme qui se retrouve musicien dans un bastringue parisien. Une dégringolade progressive, mais inéluctable.

Et puis, voilà un homme qui déboule dans sa vie et lui propose un drôle de marché. Se glisser dans la peau d’un autre, réaliser une escroquerie… et tout d’abord, passer chez le « coiffeur », afin de se faire raccourcir les cheveux !

Direction la Côte d’Azur, une villa isolée, située entre Monaco et Menton.

Et en arrivant, une bonne « douche », afin d’être le plus présentable possible devant Gilberte, celle qui est censée être sa femme.

Et très vite, en bon élève, Jacques s’amuse à prendre les tics de Paul. Après le violon, et puisqu’il a de « la poussière de colophane » sur les doigts, Jacques s’essuie les mains minutieusement et part même dans le cabinet de toilette pour se laver sérieusement (« Je reviens, dis-je. Je sens que si je ne me brosse pas les doigts tout de suite, je ne dînerai pas tranquille. »)

L’aide de camp

Franck Mayer est totalement dévoué à Paul de Baer. C’est lui qui a mis au point toute la machination destinée à sauver la vie de son frère d’armes. Evidemment, Franck n’a pas dit à Jacques qu’il allait devoir prendre la place d’un nazi, traqué par les services secrets israéliens… Il a enjolivé l’affaire, évoquant une histoire de mari disparu et d’héritage à toucher pour le plus grand bénéfice de Gilberte de Baer. Son mari volage l’a abandonné ; un vieil oncle est à l’article de la mort. On demandera donc à Jacques de prendre tous les tics de Paul afin de duper un notaire !

Franck se charge donc d’épier Jacques, afin de rendre compte à Paul de Baer des progrès de son sosie ! Il détaille, par le menu, le programme des journées de Jacques, précisant son heure de levée et même la prise d’une « douche » éventuelle.

Gilberte de Baer

Gilberte de Baer est, bien sûr, de la conspiration… Elle y met, toutefois, des réserves, désolée de voir un pauvre type condamné à la place de celui qu’elle a épousé (sans connaître d’ailleurs son passé), il y a quelques années.

Une femme de toute beauté, froide à plaisir, qui semble porter un « masque » sur son visage peu expressif. Il semble bien que Gilberte utilise un fond de teint couvrant, peu efficace, puisque sa pâleur transparaît sous le fard (« un peu pâle sous son fard »). Pour autant, chaque matin, le rituel est immuable. Gilberte s’habille, se farde !

Une femme parfumée… dont les cheveux sentent « la terre brûlée et l’orage ».

Un certain Martin

Dans la villa, vit un certain Martin von Klaus… en réalité, Paul de Baer pour ceux qui suivent (désolée, on ne l’avait pas précisé !). Le mari de Gilberte ne ressemble pas trait pour trait à Jacques Christen. Tous deux ont à peu près la même silhouette, la même couleur de cheveux. Pour le reste, Martin (c’est-à-dire Paul !) qui se fait passer pour le frère de Gilberte (attention, il faut bien suivre !) paraît vraiment plus âgé que Jacques, du fait d’une « figure craquelée de rides », des « sillons profonds » comme marqués à « coups de rasoir » !

Maître Borgères

Coup de tonnerre lorsqu’une certaine Mme Borgères, notaire de son état, vient visiter la villa pour un client. La trentaine, « les cheveux teints en blond », la jeune femme semble bien curieuse de tout ce qui concerne le fonctionnement de la villa et ses habitants. Pas de quoi être très rassurés, lorsque l’on ne souhaite qu’une chose : vivre caché !

Et puis, tout craque

Jacques s’enfuit. Martin meurt d’une crise cardiaque.

Et puis, c’est le temps d’un bonheur fugace

Gilberte retrouve Jacques. Tous deux s’aiment ! Jacques a oublié les tics de Paul ; ses cheveux ont repoussé !

Gilberte, inquiète (elle n’ignore pas que Jacques est toujours une cible à abattre, depuis qu’il a endossé la personnalité de Paul), joue les gardes du corps un peu trop présents. Jacques s’impatiente : « Est-ce qu’un patron a le droit d’embrasser son garde du corps ? Et ensuite de prendre un bain ? »

Et une vérité dure à dire

Condamnés à vivre dans le silence ces deux-là. Gilberte, car il est compliqué de dévoiler tout ce qu’elle sait sans condamner son amour. Jacques, car il lui parait difficile, après avoir rempli ses devoirs conjugaux, de dire à Gilberte qu’il n’est pas son mari. La vérité, ma foi, on s’en passera. Ou bien elle viendra plus tard… comme une « croûte qui s’en va laissant une imperceptible cicatrice. »

Maldonne, en bref

Les dés étaient pipés dans cette histoire d’amour entre un pauvre violoniste, sans volonté et la riche épouse d’un tortionnaire nazi. Jacques finira écrasé par un ascenseur. Gilberte, noyée dans la Seine. Dommage que les services secrets n’aient pas mieux fait leur travail… Deux victimes de plus !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour.

Bibliographie

¹ Boileau/Narcejac, Maldonne in « Quarante ans de suspense », Robert Laffont, collection Bouquins, 1988, 1298 pages