> 06 juillet 2024
Le roman Tarass Boulba de Gogol est un roman cruel où le sang, « pareil au jus de la framboise mûre », coule à flot.1 Le « sang généreux » de la victime éclabousse le bourreau… Les cosaques, regroupés dans la Setch, une petite cité où les guerriers se réunissent, sortent régulièrement saccager les villes voisines. Les tatars ripostent, bien sûr, en envahissant la Setch et en y pillant tout ce qui a quelque valeur.
Tarass Boulba est un vieux cosaque, qui va sacrifier son fils, André, passé, par amour, à l’ennemi. La main du père ne faiblit pas pour punir celui qui a renié les siens. Il assiste aussi au supplice de son fils Ostap, capturé par l’ennemi.
Au milieu de toute cette noirceur, une jeune fille, rieuse, au teint inimitable !
La steppe est emplie de parfums, une sorte de Sephora à ciel ouvert, où « l’ambre » se mêle aux fragrances végétales.
Une ville de cosaques, où ceux-ci affluent de toutes parts, afin de s’initier aux arts de la guerre. Une ville d’hommes, où résonnent les rires, les cris, les bruits des coups échangés. Tous ces hommes ont au leur visage hâlé par le feu du soleil qui grille la steppe et au « feu des batailles » qui ne cessent d’opposer clans et factions.
Les cosaques qui fréquentent le lieu possèdent une coiffure spéciale. Leur tête rasée n’est ornée que d’un toupet de cheveux.
Pour adouber leur chef, les cosaques prennent la terre de la Setch, transformée par une « une pluie récente en limon » et la verse sur la tête de l’impétrant. « La fange liquide lui coulait du crâne sur ses moustaches et sur ses joues déjà toutes maculées. » Plutôt particulier ce shampooing !
Lorsque le cosaque tombe aux mains de l’ennemi, il y a de fortes chances pour que le toupet de cheveux qui orne sa tête soit rasé. « Attendez un peu ! Nous vous raserons le toupet […] » ! Les cosaques à « toupets » et « à moustaches aux pointes retombantes » font alors piètre figure. S’ils ont l’habitude de raser leur crâne, ils gardent, en revanche, toujours intacte, « une longue mèche de cheveux ».
Un cosaque au repos n’est pas un vrai cosaque. Cet homme aime la guerre et s’ennuie ferme, par temps de paix. Belliqueux au nom de sa foi, il n’hésite pas à jouer du sabre pour soumettre ses ennemis. En cas de plaie, il est d’usage de boire une recette-maison ou d’en appliquer une autre sur la lésion concernée. « Diluez une charge de poudre dans une coupe d’eau-de-vie, avalez d’un trait ce mélange, et ce ne sera rien ; vous n’aurez même pas de fièvre. Et si la plaie n’est pas trop étendue, appliquez dessus un peu de terre que vous mouillerez de salive dans le creux de votre main ; la blessure se cicatrisera d’elle-même. »
Ostap, le fils aîné de Tarass Boulba, est un rude guerrier, qui ne se laisse pas conduire par ses sentiments. Une âme de chef, qui tranche à vif et prend des décisions hardies !
Lors du siège de Doubno, Ostap est cruellement blessé. Heureusement, il est retrouvé sur le champ de bataille par son père, qui l’emmaillote comme un nourrisson, dans des pansements et le ramène à la Setch, afin de le faire soigner par une « Juive experte » en phytothérapie. Grâce à des « breuvages réconfortants », administrés pendant un mois, Ostap revient à la vie. Son corps est, toutefois, marqué de multiples cicatrices indélébiles. « Trois rides » se sont également formés sur son front, des rides que « rien ne put effacer. »
A peine guéri, déjà reparti en guerre et fait prisonnier par les Tatares. A Varsovie, Ostap va être torturé et tué sous les yeux de son père, caché dans la foule des spectateurs, qui assistent à ce charmant divertissement.
Il est d’un tempérament vif et d’une intelligence aiguisée. Il est d’une « merveilleuse beauté ». A Kiev, il tombe sous le charme d’une charmante jeune fille, d’une grande beauté et joue au Père Noël, en utilisant le conduit de la cheminée pour atterrir aux pieds de celle-ci dans sa chambre à coucher.
André, parti faire le siège de la ville de Doubno, retrouve, par hasard, son amoureuse d’un soir, celle qu’il a rencontrée il y a 2 ans de cela dans la ville de Kovno. La vieille servante de la jeune fille s’est, en effet, glissée hors des remparts de la ville affamée, afin de réclamer des vivres à celui qui participe à la mort programmée des habitants de la cité.
André possède une « fine moustache », à l’éclat de « soie » ! Un séducteur, en quelque sorte !
Elle est d’une « insigne beauté, avec des yeux noirs tranchant sur un teint pareil à la neige colorée de rose par le soleil levant », la petite Polonaise, fille du voïévode de Kovno, qui a tapé dans l’œil du jeune André. Retrouvée à Doubno, deux ans après leur première rencontre, l‘adolescente « mutine » s’est muée en « une beauté accomplie », qui ravive la flamme de l’amour dans le cœur du fier guerrier. Une beauté odorante, dont la chevelure est emplie de « senteurs enivrantes » ! des senteurs qui vont ensorceler le jeune guerrier, qui décide de mettre ses armes au service de sa bien-aimée.
Après avoir tué André, passé à l’ennemi, Tarass Boulba se rend à Varsovie, afin de tenter de libérer Ostap de ses ennemis.
Pour entrer dans Varsovie, alors que sa tête est mise à prix, Tarass s’est maquillé en jeune homme. « Il s’habilla en un instant, se noircit les moustaches et les sourcils, se coiffa d’un petit toquet sombre […] », afin d’être méconnaissable. Ainsi grimé, Tarass Boulba semble avoir 30 ans ; son teint affiche « les couleurs de la santé ».
Tarass et le Juif Yankel tentent de soudoyer le geôlier d’Ostap, mais rien n’y fait. Celui-ci, après avoir fait monter les enchères quant au prix de sa trahison (« Hé ! hé ! deux ducats ! Que ferais-je de deux ducats ? Je donne deux ducats à mon barbier pour qu’il me rase seulement la moitié de la barbe. Juif, cent ducats. »), refuse tout net de laisser le père accéder à la prison du fils.
Un roman de feu et de sang, qui met en scène un peuple guerrier, aux mains rougies de sang. Une pincée d’amour est saupoudrée par Gogol, histoire de transformer un fier guerrier en un amant romantique. Il faut dire, pour l’excuser que la bien-aimée possède un teint exceptionnel. On se demande bien quelle crème de jour a bien pu utiliser celle qui fait chavirer le cœur du héros… ça Gogol se garde bien de nous le dire !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Gogol N., Tarass Boulba, GF Flammarion, 2023, 238 pages
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